Depuis quelques mois, les employeurs multiplient les actions auprès du conseil de l’ordre des médecins. Ces attaques se situent dans un contexte de dégradation de la santé des travailleurs-ses, et contribuent à l’emballement sans limite du système de domination dans le travail : quand la mise en danger de la médecine du travail met en danger la santé des travailleurs-ses.
Attaques tous azimuts contre la médecine du travail
Les médecins du travail sont désormais attaqués personnellement sur leur pratique médicale en santé au travail. Si les pressions de toutes natures sont monnaie courante (médecins et infirmières poussées à la démission, sur le matériel mis à leur disposition, sur leur participation aux CHSCT…), les employeurs ont désormais lancé une attaque politique, juridique et coordonnée contre les médecins du travail, avec la complicité/duplicité du conseil de l’ordre.
Pour le patronat, il ne s’agit pas de considérer la santé au travail comme un objectif primordial, mais bien d’empêcher les acteurs préventeurs que sont les médecins du travail d’établir le lien médical entre des organisations du travail délétères et leurs conséquences sur la santé physique et mentale des travailleurs-ses. Ceci en contradiction avec l’obligation de sécurité de résultats qui pèse sur tout employeur.
Pour arriver à ses fins, le patronat instrumentalise la juridiction ordinale que constitue le conseil de l’ordre : les employeurs profitent d’une brèche introduite par une modification de l’article R4126-1 du Code de la santé publique en avril 2007 (décret n° 2007-552 du 13 avril 2007), pour porter plainte contre les médecins du travail.
Pour contrecarrer l’analyse des médecins du travail, le conseil de l’ordre les attaque sur le lien qu’ils établissent, par leur pratique médicale, entre l’atteinte à la santé des travailleurs- ses et le travail : « il est interdit d’attester d’une relation causale entre les difficultés familiales ou professionnelles et l’état de santé présenté par le patient ».
Santé au travail et droits des travailleurs-ses
Par ces remises en cause personnelles, les médecins du travail se trouvent un peu plus fragilisés alors même que leur profession est déjà bien en peine pour susciter les vocations ! La pénurie de médecins du travail est bien réelle et le gouvernement n’a toujours pas présenté de solution à ce problème.
Il s’agit également d’une remise en cause de la manière dont les médecins conduisent leur travail. En effet, quand l’un d’entre eux fait un certificat médical attestant du lien santé travail, il le fait d’abord à la suite d’une analyse clinique en santé au travail. Les rôles d’accompagnement des patients et de mise en visibilité sociale des atteintes du travail sur la santé des travailleurs-ses sont étouffés. Nous devons donc rejeter l’idée selon laquelle un médecin du travail peut être condamné pour avoir attesté du lien santé-travail. Les employeurs préfèrent quant à eux conduire des études de poste de travail et mettre en avant les questions de productivité qui en découlent…
Ces certificats constituent pourtant un enjeu essentiel pour les salariés quand il s’agit d’obtenir la reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, ou quand il s’agit d’obtenir réparation. De fait, toute action prudhommale est compromise en l’absence de certificat probant. Cela remet en cause directement les droits des salariés dans un contexte où les RPS constituent un enjeu majeur de leur santé. Les intérêts des patients sont donc totalement ignorés par l’ordre des médecins. Les employeurs peuvent donc agir en toute liberté, et impunité, laissant libre court à leur idéologie réactionnaire. Via des conciliations quasi obligatoires entre patrons et médecins, sans le patient en cause, l’ordre des médecins contribue à envoyer automatiquement devant la chambre disciplinaire un médecin, s’il ne trouve pas un accord avec un employeur sur le contenu de son certificat médical. Le constat est clair : les droits des patients sont anéantis, et les atteintes à l’indépendance et à leur dignité des médecins sont consommées !
La multiplication de ces plaintes, outre qu’elles constituent un moyen de pression supplémentaire pour les employeurs, évincent également l’inspection du travail (attaquée également par le gouvernement en place), autorité pourtant légalement nommée pour traiter de tout conflit de procédure ou d’aptitude entre médecin du travail et employeur, et également nommée pour faire respecter le droit du travail dans les entreprises.
De la nécessité d’engager les luttes
Les médecins incriminés doivent d’abord engager des recours systématiques. Il faut remettre en cause le discours idéologique de l’ordre des médecins qui s’abritant derrière la déontologie nie totalement l’intérêt de la santé du patient.
Les médecins ont déjà commencé à s’organiser collectivement : pétitions, solidarité constituée au travers d’un collectif de six organisations pour le soutien aux médecins (FNATH, Union Syndicale Solidaires, SNPST, SMTIEG-CGT, Association Santé et Médecine du Travail)… Les syndicats pourraient prendre le relais en interpellant les ordres des médecins départementaux pour les rappeler à leur cadre de droit et responsabilités.
Il faut également interpeler le pouvoir Exécutif. Pourquoi ne pas envisager que la loi sur la protection des lanceurs d’alerte est entrée en vigueur en avril 2013 s’applique aux médecins ? Le gouvernement veut-il assumer la responsabilité d’une disparition de la médecine du travail ? Veut-il liquider la possibilité pour les travailleurs d’accéder à leurs droits légitimes à une juste réparation des atteintes à la santé liées au travail ? Tient-il à se priver de toute visibilité sur les effets du travail sur la santé? Une infime rectification de l’article R4126-1 du code de la santé publique pourrait rétablir une situation plus conforme aux principes de protection de la santé des travailleurs, afin que cette procédure ne soit plus ouverte aux employeurs. Toute plainte patronale de cette nature devrait comme antérieurement, être conditionnée à la saisie patronale des juridictions judiciaires appropriées. De plus, l’exercice de la médecine du travail doit voir sa nature d’ordre public clairement reconnue : la procédure de saisine des juridictions de l’Ordre réservée aux médecins exerçant dans le cadre du service public doit être appliquée aux médecins du travail. Il faut repenser les pouvoirs exorbitants de cet ordre réactionnaire médical d’exception qui pèse illégalement sur les diagnostics des médecins.
L’ordre des médecins doit revenir à sa mission originelle au service exclusif de la santé des personnes ainsi qu’au respect de l’indépendance des médecins, et ne pas se faire le porte parole des intérêts économiques des entreprises, qui n’ont rien à voir avec la santé des salariés. Il se doit d’accompagner les médecins dans la prévention et la transformation du travail.
Il est donc nécessaire d’engager les luttes à plusieurs niveaux: plaintes individuelles, collectives, pétitions, rassemblements, et dans le cadre plus large d’un débat juridique, social et citoyen. Solidaires s’inscrit résolument dans cette démarche !
Pour aller plus loin :
http://www.a-smt.org/
http://www.petitions24.net/signatures/
http://csdr84.net/
http://www.bastamag.net/