La lettre d’un salarié en réponse à son patron

Cher monsieur Boulevard,

Suite à votre belle lettre du mardi 7 avril, je tenais moi aussi, à vous remercier pour tous vos mots d’encouragements et de gratitude éternels adressés à l’ensemble de votre équipe salariée dont je fais partie. Merci de saluer notre courage, car effectivement il en faut avec seulement 5 masques en poche depuis le début de la crise. 5 masques en poche depuis 21 jours maintenant, livrant des hôpitaux et des officines tous les jours, croisant des centaines de personnes malades, oui c’est vrai, il faut certainement une bonne dose de courage, voire de témérité, pour ne pas dire d’inconscience pour oser prendre de tels risques en étant payé le SMIC, sans prime de risques. Mais que voulez-vous, c’est ça d’être un Super-Salarié, à défaut d’être Superman, c’est nous qui faisons tourner la boutique, M’sieur. Et oui, depuis le 16 mars, la France est en guerre et nous, on passe entre les balles. Et moi aussi, ça me rend fier tout ça : tenir la première ligne de front la fleur au fusil, l’engagement, le courage, la ténacité, la persévérance et l’espoir de lendemains qui chantent. Ouais, tout ça m’anime chaque matin quand je me lève et j’y pense en me brossant les dents, et en enfilant mon slip, et en montant dans ma voiture et jusqu’à ce que j’arrive au bureau et quand là, quand j’vois le logo de la boîte « 5 étoiles Service », là, à ce moment-là précis, là, ça me donne envie de chialer, tellement c’est beau, tellement c’est grand, tellement c’est historique ce qu’on vit tous ensemble. Parce que moi, depuis le 16 mars, je vous le dis, m’sieur Boulevard, je ne travaille plus pour une entreprise, mais je dialogue, j’échange, j’évolue, j’interagis avec des membres de ma famille. Bah, oui parce que comme dans une famille, on partage les moments durs, les joies et les peines et la gastro, bah, nous c’est le Covid 19, mais c’est pas grave, c’est pareil, ça me fait quand même chaud au cœur.

Monsieur Boulevard, vous savez parler aux gens comme nous, à ceux qui sont tout en bas, et qui sont tous minuscules dans l’œilleton des jumelles. Mais oui, vous savez les jumelles comme y a à la Tour Eiffel, quand on regarde les gens d’en bas et qu’on s’dit « oh, on dirait des p’tites fourmis ! ». Et là, quand j’ai lu votre belle lettre ce soir, mais j’ai pensé — j’ai pensé dans ma tête et j’me suis dis — ça y est, il nous a vu. Et comme les petites fourmis, je me suis mis à agiter les mains pour dire : « hé les copains, les copines, y a quelqu’un là-haut qui nous r’garde. J’crois qu’Il nous a vu. Oui, Il nous voit ! Il nous voit !!! Monsieur Boulevard, on est là, on est là !!! Oui c’est nous les p’tites fourmis !!! » Et ça m’a gonflé le cœur que vous sachiez nous voir et nous parler en langage fourmis de « courage », de « fierté », tout ça. Oui, vous savez bien parler aux petites fourmis qui font chaque jour un travail de titans, mais qui sont pourtant si invisibles. Ni applaudit à 20 h, ni visibles sur BFM, mais sans qui, aujourd’hui le monde ne tournerait plus rond.

Alors monsieur Boulevard, merci. Merci pour tout. Merci du fond du cœur. Moi aussi, jsuis fier. Fierté de fourmis. Salutations.

PS : et au cas où, j’vous redonne mon RIB, comme ça si vous l’avez pas pris avec vous, à votre domicile pour faire du télétravail, bah vous l’aurez et vous pourrez le regarder le soir avant de vous coucher. Bisous. Bisous tous doux. Avec masque artisanal — que c’est même ma femme qui les a faits avec sa Singer.