1 – Une politique de réduction des effectifs et un alourdissement de la charge de travail peuvent représenter un risque grave
Dans cette affaire le CHSCT avait voté une expertise « afin de réaliser une étude détaillée des situations de travail susceptibles de constituer un risque grave pour la santé physique et mentale au travail, aider le CHSCT à formuler des propositions de mesures de prévention en matière de santé et sécurité au travail et prendre toutes autres initiatives permettant d’éclairer le CHSCT sur les particularités de ces situations de travail ; au titre d’un risque grave ».
L’employeur avait contesté le recours à l’expertise pour plusieurs raisons allant d’une délibération irrégulière à l’absence de démonstration du risque grave et avéré en passant par la non communication de documents 15 jours avant la séance (il s’agissait d’une réunion extraordinaire à la demande de 2 représentants) du CHSCT).
La chambre sociale de la cour de cassation a confirmé le jugement de la cour d’appel sur tous les points de litiges évoqués par l’employeur.
La cour de cassation a en effet rappelé que le risque grave justifiant le recours à une expertise s’entend d’un risque identifié et actuel, ce que le CHSCT avait démontré au travers « des enquêtes menées par les représentants du personnel et les nombreux témoignages versés aux débats, corroborés par une note de l’ingénieur-conseil de la CRAMIF et un courrier de l’inspecteur du travail ».
Selon les juges ces documents « établissaient que la politique de réduction des effectifs menée depuis 2010 par la société avait entraîné un alourdissement de la charge de travail ainsi qu’une importante pression sur les salariés, à l’origine de cas sérieux de souffrance au travail, voire de harcèlement moral se traduisant par une augmentation sensible des plaintes relatives à des situations de stress ainsi que par des arrêts de travail pour dépression » et qu’en conséquence il existait bien un risque grave au sens de l’article L 4614-12 du code du travail.
La cour de cassation a également rappelé que la résolution préparée à l’avance par les représentants du CHSCT « ne faisait pas partie des documents nécessitant un examen préalable et un envoi avec l’ordre du jour ».
Ce jugement est très intéressant au regard de ce qui se passe dans de très nombreuses entreprises et services de la fonction publique où les multiples vagues de suppressions d’emplois créent des tensions au travail. Toutefois ce qui emporte la décision des juges ce sont des éléments objectifs et concrets prouvant que le risque invoqué est réel et qu’il ne s’agit pas d’un risque général de stress pouvant faire suite à une restructuration ou l’annonce de suppressions d’emplois par exemple.
Cela confirme la nécessité et l’utilité pour les membres des CHSCT de recueillir le plus possible de documents écrits: enquêtes, témoignages de salarié-es, de médecin du travail ou de prévention, pétitions, PV, délibérations etc. Parfois les militants peuvent être dubitatifs sur l’intérêt de voter une délibération argumentée sur les conséquences d’une réorganisation par exemple alors que la direction a décidé de l’imposer, mais il ne faut pas perdre de vue qu’à moyen ou long terme elle pourra se révéler très utile. Dans l’affaire jugée cela a été déterminant.
Cour de cassation, chambre sociale, arrêt n°14-15815 du 25 novembre 2015
2 – Risque d’exposition à l’amiante et expertise pour risque grave
Dans cette autre affaire le CHSCT avait aussi voté le recours à une expertise « pour évaluer le risque lié à la présence d’amiante dans les locomotives conduites par les agents ». L’employeur a saisi le TGI en référé pour lui demander d’annuler la délibération au motif de l’absence de risque grave dans l’établissement.
La Cour d’appel a donné gain de cause à l’employeur et jugé qu’il n’y a pas de risque grave pour les raisons suivantes :
– même si toutes les locomotives n’ont pas été désamiantées, les agents de conduite ont été sensibilisés au risque amiante lors de journées de formation.
– que le risque d’exposition à l’amiante se révèle à l’occasion de deux évènements accidentels bien identifiés et que les salariés ont reçu des consignes très strictes pour ne pas intervenir ou faire appel à des équipes habilitées.
Mais la Cour de cassation a rejeté les arguments des juges d’appel en s’appuyant sur les faits, c’est-à-dire la présence d’amiante dans l’établissement. Partant du fait que « toutes les locomotives en service sur les sites concernés n’avaient pas été désamiantées et que le risque d’exposition à l’amiante était reconnu à l’occasion de deux événements accidentels », les juges en on déduit l’existence d’un risque grave caractérisé, et ce malgré la sensibilisation des agents lors de journées de formation.
Cour de cassation, chambre sociale, arrêt n°14-17468 du 25 novembre 2015