(Droits d’) Alertes sur la douane

Un accident survenu lors d’une séance d’entraînement au tir dans une brigade des douanes a provoqué la mise en œuvre du droit d’alerte au sein des CHSCT dont dépendent les différents services douaniers. Cet article analyse les raisons qui ont conduit à l’utilisation de ce droit d’alerte et les différentes étapes de cette procédure.

Le 17 janvier 2013, des agents de la brigade des gardes côtes de Brest dans le Finistère participent à une séance d’entraînement au tir avec le pistolet semi-automatique SIG SAUER. Lors de cette activité la culasse d’une des armes se fend en deux parties et occasionne une blessure au tireur. Le SIG SAUER est l’armement dont sont dotés les agents de la police, de la gendarmerie, de la douane, et des services pénitenciers. Cette arme a été retenu car elle répondait à un cahier des charges bien précis en terme de sécurité : cran de sécurité du marteau, verrouillage, sécurité de la percussion et sécurité de la culasse, etc…

Les agents des douanes qui sont équipés de cet armement ont l’obligation de faire des entrainements réguliers et de tirer un certain nombre de cartouches pour conserver leur aptitude au port de l’arme de service. Les agents ont une dotation d’armement individuelle à l’exception de certaines unités qui ont une dotation d’armement collective en rapport avec la spécificité de leurs missions, la brigade des gardes côtes de Brest est concernée par cette exception.

Suite à l’accident du 17 janvier, l’administration des douanes, immédiatement informée de ces faits, prend aussitôt des mesures de précaution et demande le 18 janvier l’arrêt immédiat de toutes les séances d’entrainement au tir et une expertise des causes de « l’incident » .

Si les décisions sont rapides, l’utilisation de la terminologie « incident » soulève quelques interrogations. Peut-on qualifier d’incident le fait qu’un agent soit blessé par la projection d’un morceau de la culasse de son arme ? Le terme le plus approprié dans cette situation est indéniablement « accident ». L’administration a-t-elle voulu minimiser les conséquences de cet événement? L’ensemble des notes administratives qui suivront ne dérogeront pas à ce vocable réducteur, transformant ainsi cet accident en un simple incident.

Le 24 janvier, la direction générale adresse une note de reprise des séances de tir avec le compte rendu de l’expertise interne du SCA (service central de l’armement), sous réserve d’un contrôle technique préalable de chaque PSA. Pour l’anecdote, le rédacteur de la note souligne également que « l’incident rencontré n’a occasionné qu’une blessure légère », tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes… Or le rapport du service central de l’armement indique qu’« une micro fissure (invisible à l’œil nu) a probablement démarré le processus de casse de la culasse…et que la qualité de l’acier est clairement remis en cause. » Par ailleurs le rapport précise que d’autres cas de micro-fissure se sont déjà produits sur des culasses d’armes utilisées pour l’instruction des agents.

Malgré les alertes des organisations syndicales auprès de la direction générale sur la faiblesse des mesures prises qui ne garantissent pas la sécurité et l’intégrité des agents, les directions régionales demandent aux moniteurs de se conformer aux directives de la note du 24 janvier et de reprendre les séances de tir. Devant cette situation nous avions tous les motifs raisonnables de penser que cela représentait un danger grave et imminent pour la vie et la santé des agents et des usagers.

Comment allions nous procéder ? En utilisant le droit d’alerte d’un membre du CHSCT qui est prévu par l’article 5-7 du décret N°82-453 du 28 mai 1982.

C’est ainsi que de nombreux CHSCT du ministère des finances (Bretagne, Paris, Roissy, Franche Comté, etc..) ont déposé des droits d’alertes et demandé au chef de service de faire procéder immédiatement à une enquête avec le représentant du CHSCT.

Le 19 février, la direction générale décide le retrait des armes collectives de la même série que l’arme qui a provoqué « l’incident ». C’est une avancée insuffisante au regard des risques et des enjeux, l’administration considère que seules les armes collectives qui appartiennent à une série unique peuvent représenter un danger.

Mais le plus singulier, c’est que l’administration déresponsabilise les moniteurs de tir en leur demandant de faire des vérifications qui n’auront aucune conséquence si elles ne sont pas réalisées consciencieusement, il suffit juste de regarder avec une loupe la culasse et de dire que l’on a pas vu de micro fissure. Et comme le précise le rédacteur : « dans l’hypothèse où un nouvel incident interviendrait »., cela n’emporterait pas de responsabilité personnelle particulière…

Les moniteurs de tir auront-ils la naïveté de croire que si un agent décède ou est gravement blessé, cet incident n’entraînera pas leur responsabilité personnelle ?

Les CHSCT en désaccord avec cette réponse n’ont alors d’autre choix que de recourir à l’article 5-7 alinéa 5 du décret N°82-453 du 28 mai 1982 qui prévoit qu’en cas de divergence sur la réalité du danger ou de la façon de le faire cesser, le CHSCT compétent est réuni d’urgence dans un délai n’excédant pas 24H00. L’inspecteur du travail doit être informé de cette réunion et peut y assister.

Malheureusement, le plus souvent, les débats de ces CHSCT extraordinaires n’ont pas pu permettre de lever le désaccord qui persiste entre les représentants du personnel et l’administration, celle-ci estimant que toutes les mesures prises par la direction générale sont amplement suffisantes.

Dans l’intervalle,l’administration soucieuse de régler cet « incident » dans les meilleurs délais, a demandé au fabriquant d’expertiser lui-même « l’arme endommagée ». Sans voir de malice dans le résultat de l’expertise, est-il judicieux de faire effectuer cette tâche par une entreprise qui est à la fois juge et partie ? Sans surprise, la société rejette toute responsabilité relative à « l’incident concerné » et rattache la rupture de la culasse à des insuffisances imputables à l’entretien et au contrôle de l’arme.

La direction générale des douanes afin de disposer des éléments les plus objectifs possibles va diligenter une contre expertise indépendante, expertise que nous demandions depuis le début de cet accident… Par ailleurs, elle met en place de nouvelles mesures de précaution concernant l’utilisation, les contrôles et la maintenance de l’arme.

Nous montons d’un cran nos actions et intervenons au CHSCT ministériel le 4 avril pour demander la suspension des séances de tir dans l’attente des résultats de la contre expertise
L’administration a décidé de faire appel à l’APAVE afin d’expertiser les armes qui, d’après elle, sont concernées, à savoir deux pistolets de la série 407 (dont celui impliqué dans l’accident) et un exemplaires des séries 400 000, 401 000 et 402 000.

Outre le fait que l’administration ne s’est pas donné la peine de répondre favorablement aux CHSCT locaux, le périmètre de cette expertise est largement en dessous de nos exigences de sécurité. De plus à la question de la reprise des exercices de tir, l’administration des Douanes a fait une réponse très évasive qui montre qu’à l’évidence, elle ne prend pas du tout la mesure du danger, ni du malaise qui règne dans les services.

Nous sommes maintenant dans la dernière phase de cette procédure, et le recours à l’inspection du travail comme le prévoit l’article 5-7 alinéa 6 semble inéluctable…

Dans ces conditions les agents commencent légitimement à exercer leur droit de retrait et nous ne pouvons que les inciter à le faire ! Serons-nous, en dernier ressort, obligé de restituer nos armes pour être enfin entendu?