La transposition de l’ANI du 11 janvier 2013 entérinerait un grave recul du droit des salariés et des prérogatives de leur CHSCT
Les experts agréés auprès des CHSCT soussignés souhaitent par le présent texte faire état publiquement de leur plus vive inquiétude et de leur plus grande préoccupation devant les conséquences que dessinent la récente signature de l’ANI (Accord National Interprofessionnel) – le 11 janvier dernier – et sa transposition en avant-projet de loi.
Notre alerte porte sur plusieurs dispositions de ces textes passées jusqu’ici totalement inaperçues et qui touchent pourtant à certaines des prérogatives les plus importantes des CHSCT qu’avaient initiées les secondes lois Auroux en 1982 :
– L’obligation d’information et de consultation du CHSCT en cas de projet important modifiant l’organisation, les conditions de travail, l’hygiène et la sécurité ;
– Le droit à l’expertise du CHSCT.
Le droit à l’expertise s’est d’abord imposé dans un souci de protection de la santé et de la sécurité des salariés. En cas de risque grave ou de projet important, les représentants du personnel au CHSCT peuvent choisir un expert indépendant agréé par le ministère du Travail. C’est par l’analyse du travail que l’expert va établir un diagnostic sur les conditions de travail et les éventuels risques professionnels auxquels peuvent être exposés les salariés. Et c’est à partir de son diagnostic et de ses préconisations que le CHSCT peut émettre un avis sur le projet présenté par la Direction. Même dans le cas d’un projet national, chaque CHSCT doit formuler cet avis à partir des répercussions locales sur les salariés et sur leurs activités de travail.
L’ampleur et la gravité des modifications envisagées par l’avant-projet de loi résultent de plusieurs amalgames :
– Il dessaisit les CHSCT locaux de la possibilité d’instruire eux-mêmes les projets, au profit d’une instance regroupant les CHSCT concernés (1 seul membre par CHSCT, avec 20 membres maximum choisis par la Direction quand le nombre de CHSCT concernés est supérieur à 20 !) ;
– Il vide de son sens et de sa portée l’avis du CHSCT, réputé rendu à la fin du délai imparti, même si les membres du CHSCT n’ont pas eu le temps d’étudier le projet et de se faire assister par leur expert. Or cet avis est essentiel, puisqu’à sa suite l’employeur devra prendre les mesures de prévention nécessaires, sa responsabilité se trouvant engagée eu égard à ses obligations légales ;
– Il fait un amalgame entre les expertises CHSCT et celles réalisées par l’expert–comptable. Alors que ce dernier procède principalement par analyse documentaire, l’expert en santé au travail doit, d’une part, réaliser des entretiens avec les salariés à tous les niveaux de la hiérarchie et, d’autre part, observer des situations de travail réel en vue de produire une analyse des risques professionnels ainsi que des recommandations. Tout cela prend du temps, mais l’enjeu est d’importance : c’est à partir de ces analyses que les représentants du personnel argumentent leur avis sur les conséquences d’un projet ou d’une réorganisation sur les conditions de travail ;
– En cas de projet de licenciements, il réduit le rôle du CHSCT et confond ses prérogatives avec celles du comité d’entreprise. En effet la consultation du CHSCT ne se ferait plus que dans le cadre temporel donné au comité d’entreprise, ce qui réduirait mécaniquement le délai maximum accordé à l’expert du CHSCT. Ce délai est actuellement de 45 jours à compter du jour où l’expert est en capacité de travailler, ce qui se révèle souvent un délai difficile à tenir.
Cette réduction des délais aurait pour conséquence inévitable d’empêcher une évaluation des risques professionnels fondée sur l’analyse du travail réel et conduirait à des expertises au rabais et standardisées sans véritable utilité pour les CHSCT.
Dans un contexte actuel d’intensification du travail et de réorganisations multiples et permanentes – contexte marqué notamment par une véritable explosion des risques organisationnels ou psychosociaux –, l’utilité de ces expertises pour la préservation de la santé des salariés et la mise en exergue des enjeux de prévention n’est pourtant plus à prouver. Plusieurs jurisprudences récentes sont ainsi venues illustrer l’importance grandissante de ces enjeux de santé au travail, notamment en donnant corps à la responsabilité de l’employeur en la matière : on songe ici aux milliers de décès liés à l’amiante ou à l’accident d’AZF, mais également aux cas de suicides à France Télécom ou à Renault sans parler de ceux qui surviennent dans des entreprises moins médiatisées. Rappelons également plusieurs arrêts suspendant des réorganisations jugées pathogènes suite à des expertises (à la FNAC, à la SNECMA ou à AREVA par exemple).
En l’état, un tel projet de loi se positionne donc à rebours de toutes les évolutions législatives, réglementaires et jurisprudentielles qui, depuis les lois Auroux, n’ont eu de cesse de faire progresser la prévention des risques, la protection de la santé des salariés et avec elles les prérogatives des CHSCT : il constitue une véritable remise en cause du droit des CHSCT à s’appuyer sur des expertises pour faire analyser le travail. Plus largement, il affaiblit l’instance CHSCT et remet en cause un acquis crucial en matière de prévention des risques professionnels et de protection de la santé des salariés.
7 Ergonomie, Abilis Ergonomie, ADDHOC CONSEIL, ALIAVOX, ALTERNATIVES ERGONOMIQUES, APS YS Ergonomie, AN TEIS, AP TéIS, Christophe BOUHRIS, Gaëtan BOURMAUD, CEDAET, Jean-Luc CIPIèRE, CIDECOS, DEGEST, ERETRA, ERGOLIA, Jean-Marie FRANCESCON, IRCAF RESEAU, Pierre FRANCHI Conseil, Christian REVEST, Sésame Ergonomie, SEXTANT CONSEIL, SOCIAL CONSEIL.