Le 6ème congrès de Solidaires qui s’est tenue du 2 au 6 juin 2014 à Dunkerque, a été l’occasion d’enrichir et de poursuivre les travaux engagés par Solidaires autour des questions de santé et de conditions de travail, appuyés notamment par la résolution adoptée au congrès de Villefranche-sur-Saône.
Ainsi d’une part un travail important a été effectué par les équipes syndicales pour que les enjeux de santé et de conditions de travail irriguent l’ensemble des résolutions débattues et, d’autre part, la commission santé et conditions de travail a organisé une table ronde sur le thème « Inégalités sociales et santé au travail ». Pour cette dernière nous avions invité deux chercheurs engagés avec lesquels nous travaillons et luttons de manière régulière et qui ont accompagné nos actions et formations syndicales. Il s’agit d’ Annie Thébaud Mony, directrice de recherche honoraire, à l’INSERM/GISCOP93, Université Paris 13 et de Philipe Davezies, enseignant-chercheur en médecine et santé au travail, à l’Université Claude Bernard Lyon 1.
Ces questions d’inégalités sociales en matière de santé au travail sont centrales pour notre syndicalisme. En France, si on examine l’évolution du taux annuel de mortalité précoce par cancer, nous constations qu’en 1980 il était 4 fois plus élevé chez les ouvriers que chez les cadres et professions intellectuelles mais qu’en 2010 il est désormais 10 fois plus élevé chez les ouvriers que chez les cadres et professions intellectuelles. La France détient le record européen d’inégalité de mortalité masculine par cancer avant 65 ans. Ils entraînent de 125 000 à 145 000 décès par an.
Contrairement à certain qui voudraient faire croire que ces inégalités s’expliqueraient par les comportements individuels (tabac, alcool) ou par des facteurs génétiques, nous pensons qu’elle s’expliquent notamment par:
– les inégalités dans la répartition des risques entre travailleurs statutaires et travailleurs extérieurs
– des dispositifs réglementaires de prévention mis en échec
– l’invisibilité des atteintes à la santé liées au travail
– l ‘érosion des droits individuels et collectifs des salariés par rapport à l’information sur les risques du travail, la prévention et la réparation.
Les inégalités face aux risques de cancer sont les conséquences de l’invisibilité sociale et culturelle de l’exposition professionnelle aux cancérogènes et du poids de la précarisation du travail et de la sous-traitance des risques dans la production des inégalités de cancer. A cela s’ajoutent des inégalités face à l’indemnisation des cancers professionnels qui s’appuient sur un modèle historique « excluant » sans rapport avec l’évolution des connaissances et des conditions de travail et l’influence du cumul des inégalités sociales dans le (non) accès au droit de la réparation.
S’ajoutent des inégalités de genre appuyées sur un déficit de connaissances et des inégalités face à la réparation et des inégalités associées aux processus de mondialisation, c’est l’invisibilité des cancers professionnels chez les migrants rentrés au pays, le transfert des productions toxiques = transfert de l’épidémie de cancer vers l’Asie, l’Afrique, l’Amérique Latine et l’exportation de la gestion des déchets vers l’Afrique et l’Asie (ex: démantèlement des navires, des batteries et des ordinateurs).
Face à ces inégalités l’enjeu est de construire de la mobilisation sociale et de les rendre visibles. En effet, sur les questions de santé et de conditions de travail, le compromis et le chantage entre les questions d’emploi et la préservation de la santé des salarié-es conduisent souvent les organisations syndicales à privilégier l’emploi. Pour Solidaires, nous avons acté collectivement l’enjeu central de la santé au travail et nous avons relevé plusieurs enjeux pour y parvenir :
Le premier enjeu que nous avons essayé de construire, c’est celui de la mise en visibilité. Il y a toujours pour les salariés un enjeu de mettre en visibilité l’altération de leur santé en lien avec le travail, que ce soit la souffrance au travail ou l’amiante, et il y a toujours en face la même stratégie patronale de nier la réalité des faits, de renvoyer à des expertises ou à des contre-expertises cette question, il y a donc toujours la volonté de nier ce lien entre santé et travail. Cet enjeu de la mise en visibilité, et donc le combat contre l’hégémonie culturelle que peut avoir le capitalisme sur ces questions là, est un enjeu premier pour le mouvement syndical quand il veut prendre en charge cette question.
Le deuxième enjeu, c’est la compréhension et le partage dans nos organisations syndicales de cet enjeu là. Il nous semble important de nous donner les moyens d’empêcher la spécialisation qu’il peut y avoir sur ces questions, la « compartimentalisation » dans les CHSCT et enfin l’étanchéité qu’il peut y avoir entre les camarades qui agissent dans les CHSCT et les autres camarades dans l’organisation syndicale. Ce même partage doit aussi se faire en interprofessionnel. Cet enjeu est un point important sur lequel on doit s’appuyer si on veut arriver à construire de la mobilisation collective. Pour arriver à avancer sur ces questions, nous multiplions les journées « Et voilà le travail » en essayant d’avoir à chaque fois un brassage de militants de Solidaires issus de différents secteurs afin de construire ensuite de l’action syndicale sur ces enjeux.
Pour tracer ces perceptives, le troisième enjeu est la formation syndicale : pour faire en sorte que le CHSCT soit pris comme un outil de combat et non pas comme un endroit où il pourrait y avoir un consensus entre le patron et les représentants syndicaux. Si il doit y avoir des formations spécifiques pour les représentants aux CHSCT, nous devons être aussi en mesure d’offrir des formations sur les enjeux de santé au travail pour l’ensemble des militants syndicaux, c’est le cas notamment à travers la formation sur les pressions et la souffrance au travail qui s’adresse à tous les militants.
Le quatrième enjeu, c’est de ne pas rester cloisonné dans ce que nous faisons à Solidaires, mais de construire en réseau pour agir autour de ces enjeux, si les objectifs sont partagés bien sûr, parce qu’il faut être en capacité d’agir à l’intérieur des entreprises, bien sûr, mais aussi de s’appuyer sur des soutiens extérieurs. L’expérience des différentes luttes démontre qu’à chaque fois s’est posée la question de pouvoir agir et être porté par un soutien externe. C’est ce travail commun qui permet d’avancer dans la construction de la mobilisation sociale pour la défense de la santé des travailleurs. Le bulletin « Et voilà » est un des outils qui participe à la construction de ce réseau de mobilisation sociale.