Une insoutenable opacité

La fin d’année 2016 aura vu la publication d’un certain nombre de décrets issus de la loi El Khomri, notamment ceux relatifs à l’expertise CHSCT ou la médecine du travail. L’un comme l’autre participent à la destruction qui a été opérée de manière méthodique par les différents gouvernements Hollande des outils permettant de rendre visible les atteintes à la santé et aux conditions de travail des travailleuses et travailleurs. Ces décrets sont dans la suite logique des lois Macron et Rebsamen qui ont réduit les prérogatives des CHSCT, de la médecine du travail, le délit d’entrave… (voir les détails).

En ce qui concerne la loi El Khomri et la médecine du travail, cette nouvelle réforme n’est pas là pour assurer une meilleure protection de la santé au travail des salarié-es mais pour l’adapter à une démographie médicale déclinante et alléger les obligations des employeurs vécues comme des contraintes. Après avoir espacé les visites médicales à deux ans, allégé les visites de reprise pour libérer du temps au médecin du travail en 2011, aujourd’hui ce sont les visites médicales d’embauche et la périodicité des visites médicales qui sont ciblées et toujours pour les mêmes raisons,

De plus des tâches précédemment confiées au médecin du travail pourront être assurées par l’équipe pluridisciplinaire de professionnels de santé sous son autorité.

Concernant l’inaptitude si on peut noter un renforcement des garanties formelles, l’harmonisation des régimes juridiques, en revanche sa contestation va être rendue beaucoup plus hypothétique.

En ce qui concerne l’expertise CHSCT les nouvelles règles mises en place risquent de rendre beaucoup plus compliqué la mise en œuvre de cet outil qui est souvent indispensable aux équipes syndicales sur des projets importants ou des risques graves. Elles rendront plus compliquées un travail de qualité pour les cabinets d’expertises qui ont une éthique importante et qui se voit comme un outil au service de la santé des travailleuses et travailleurs. Ce n’est d’ailleurs pas sans lien avec leur engagement dans le collectif pour la santé des travailleuses et des travailleurs.

Pourtant les enjeux en matière de santé et de conditions de travail sont importants à l’heure où en France le nombre de mort-es au travail augmente (il est passé de 259 en 2008 à 517 en 2014).

Poursuivre la lutte pour rendre visible les cancers d’origine professionnelle

En France,  environ 280 000 cancers (non professionnels et professionnels confondus) sont diagnostiqués annuellement. Ils causent la mort de quelques 150 000 personnes par an. Les chiffres des cancers pour cause professionnelle varient de 5 000 à 32 000. Cet écart s’explique par une absence d’outil permettant un suivi de la carrière professionnelle, outil qui permettrait d’attribuer au travail la cause de ces cancers.

A l’occasion de la publication de l’étude Santé publique France «Environnement socioéconomique et incidence des cancers en France », l’Union syndicale Solidaires tient à affirmer que cette analyse ne traite malheureusement pas des cancers d’origine professionnelle.  Dans sa conclusion, elle indique que « ce travail permet également d’estimer que, pour les localisations dont le risque augmente avec la défavorisation sociale, près de 15 000 cas de cancers pourraient être évités en France chaque année par une amélioration appropriée des conditions de vie et la promotion de la santé des populations les plus défavorisées, ce gain potentiel étant plus important chez l’homme que chez la femme et maximal pour les cancers du poumon ».   Une fois encore, nous sommes dans un modèle d’interprétation dominant  renvoyant aux responsabilités individuelles telle la consommation de tabac et d’alcool.

Seul est pointé dans cette étude, le milieu socio-économique comme étant le responsable alors que la multi exposition notamment au travail favorise l’apparition de nombreux cancers.

Les populations les plus défavorisées socialement et économiquement sont aussi celles qui sont le plus exposées et dont le statut  est  le plus fragile (CDD,  emplois précaires, saisonniers, sous-traitance…). En pointant la responsabilité personnelle et non professionnelle on retrouve là les relents de l’hygiénisme patronal datant du 19e siècle.

Pourtant les chiffres parlent d’eux-mêmes, en 1980 le taux de mortalité précoce par cancer chez les ouvrier-es était 4 fois plus élevé que chez les cadres et professions intellectuelles, en 2010 c’était 10 fois plus. Faut-il également rappeler que près de 2 millions de salarié-es sont exposé-es à au moins un produit chimique cancérogène.

Combien de cancers pourrait-on éviter si une vraie politique de santé au travail était mise en œuvre ?

L’Union syndicale Solidaires revendique l’interdiction de tous les produits chimiques classifiés CMR  (Cancérogène-Mutagène-Reprotoxique) et le renforcement des moyens de tous les acteurs impliqués dans la santé et les conditions de travail afin que le lien entre les cancers et leurs origines professionnelles puissent être clairement établi.

Continuons la lutte pour rendre visible le lien entre travail et cancers et pour ne plus perdre sa vie à la gagner.