Trois décisions de justice importantes pour développer dans les CSE/CHSCT des initiatives et des actions communes, quel que soit le statut des salarié·es

1 — Le CHSCT de l’entreprise est compétent pour agir contre un prestataire extérieur

Dans cette affaire, une société de services en ingénierie informatique exerce une activité d’assistance téléphonique et technique qui est confiée en majeure partie à un prestataire extérieur (seuls 8 salariés sur les 50 présents sont employés par l’entreprise utilisatrice).

À la suite d’une expertise conduite dans ce centre d’appel sur les conditions de travail des salariés (un salarié du prestataire s’était suicidé) le CHSCT de l’entreprise utilisatrice a fait assigner en justice les deux sociétés (l’entreprise utilisatrice et le prestataire) pour obtenir « la suspension des objectifs fixés aux salariés en matière de taux de décroché, de résolution et d’intervention ainsi que la modification des espaces de travail ».

L’entreprise prestataire conteste le droit au CHSCT d’intervenir pour des salariés qui ne sont pas placés sous l’autorité la société donneuse d’ordre et qui n’ont donc pas de lien de subordination avec elle.

La Cour de cassation ne partage pas cet avis, elle en conclut que « le CHSCT est compétent pour exercer ses prérogatives, à l’égard de toute personne placée à quelque titre que ce soit sous l’autorité de l’employeur ».

Pour reconnaitre la recevabilité de l’action du CHSCT, la Cour de cassation s’est appuyée sur plusieurs articles du Code du travail et notamment :

  • l’article L. 4612-1 du Code du travail qui indique que le périmètre de compétence du CHSCT inclut les travailleurs de l’établissement ainsi que ceux mis à disposition par une entreprise extérieure.
  • l’article L. 4111-5 qui précise « que les travailleurs sont les salariés, y compris temporaires, et les stagiaires, ainsi que toute personne placée à quelque titre que ce soit sous l’autorité de l’employeur ».

Concernant le lien d’autorité les juges ont relevé que les objectifs des salariés du centre d’appel étaient définis par l’entreprise utilisatrice, que les salariés exerçaient largement sous le contrôle du personnel de l’entreprise utilisatrice présent sur le site.

Concernant le deuxième point de l’action du CHSCT la Cour de cassation a retenu que « les salariés travaillaient sous le contrôle permanent de leur activité au moyen de la gestion informatisée du centre d’appels, un bandeau d’affichage placé en hauteur diffusant l’état du flux des appels et la disponibilité des salariés présents, que si le fait de ne pas atteindre les objectifs n’était pas sanctionné sur le plan du salaire ou de l’emploi, il donnait lieu à des rappels à l’ordre individuels, dans un contexte d’exigence élevée des utilisateurs, à l’origine de conditions de travail mettant en péril la santé des salariés ».

Cette décision est importante, car elle confirme que le CHSCT/CSE de l’entreprise utilisatrice est compétent, pour exercer ses prérogatives, à l’égard de toute personne placée à quelque titre que ce soit sous l’autorité de l’employeur. De plus il est à noter que les juges ont caractérisé « l’autorité de l’employeur » en examinant plusieurs critères (donner des ordres, contrôler l’exécution et sanctionner les manquements) approche beaucoup plus souple que celle qu’imposerait la reconnaissance d’un lien de subordination. L’autorité de l’employeur ne se confond pas non plus avec un contrat de travail.

Cass. soc., 7 décembre 2016, no 15-16769

2 — Le CHSCT de l’entreprise utilisatrice est compétent pour décider d’une expertise

Une entreprise d’intérim a présenté à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité dans le cadre d’un litige l’opposant à un CHSCT d’un de ses établissements. La question posée était de savoir quel était le CHSCT compétent pour désigner un expert agréé en cas de risque grave constaté dans l’entreprise utilisatrice dans laquelle sont mis à disposition des travailleurs temporaires.

La Cour de cassation a considéré « qu’il n’existe pas d’interprétation jurisprudentielle constante autorisant le CHSCT d’une entreprise de travail temporaire à diligenter une expertise au sein d’une expertise utilisatrice, en application de l’article L. 4614-12 du Code du travail, alors en vigueur, au titre d’un risque grave concernant les travailleurs mis à disposition de cette entreprise utilisatrice ».

Ceci signifie que c’est le CHSCT de l’entreprise utilisatrice qui peut intervenir auprès des salarié·es mis à disposition. Cette décision est logique puisque le risque doit être constaté dans l’établissement c’est-à-dire dans le périmètre duquel l’instance a été constituée. Par ailleurs il faut rappeler que la loi donne compétence au CHSCT puis au CSE d’exercer ses missions en matière de prévention non seulement au profit des salariés de l’entreprise, mais également des salariés d’entreprises extérieures intervenantes ou encore des travailleurs temporaires (Art. L. 2312-6 et L. 2312-8).

Cass.soc., 5 juin 2019, no 18-22556

3 — Le CHSCT de l’entreprise temporaire est compétent pour désigner un expert au sein de l’entreprise utilisatrice

Dans cette 3e affaire, le CHSCT de la société d’intérim (celle qui a présenté une question prioritaire de constitutionnalité voir ci-dessus) a voté le recours à un expert agréé pour risque grave encouru par les travailleurs intérimaires employés sur le site d’une entreprise utilisatrice. La société d’intérim a saisi le tribunal pour faire annuler cette décision estimant que le CHSCT n’était pas compétent l’expertise pouvant être assimilée « à autoriser à pénétrer dans une entreprise extérieure, à une immixtion dans sa gestion et à accéder à des informations confidentielles, en contradiction notamment avec le principe de la liberté d’entreprendre », ce qu’a confirmé le TGI. Mais le CHSCT n’a pas lâché l’affaire, il a saisi la Cour de cassation considérant que « les conditions de travail des travailleurs temporaires, même lorsqu’ils sont exclusivement mis à disposition d’entreprises utilisatrices, dépendent aussi de l’entreprise de travail temporaire ».

La Cour de cassation a donné raison au CHSCT en s’appuyant notamment sur les articles suivants :

  • les articles L 4614-12 et L 1251-21 du Code du travail : le premier prévoit la possibilité de faire appel à un expert agréé en cas de risque grave dans l’établissement, le 2e précisant que pendant la durée de la mission des travailleurs temporaires mis à sa disposition, l’entreprise utilisatrice est responsable de la santé et de la sécurité au travail.
  • l’article 6 § 4 de la directive européenne 89/391 du 12 juin 1989 qui prévoit que « lorsque, dans un même lieu de travail, les travailleurs de plusieurs entreprises sont présents, les employeurs doivent coopérer à la mise en œuvre des dispositions relatives à la sécurité, à l’hygiène et à la santé et, compte tenu de la nature des activités, coordonner leurs activités en vue de la protection et de la prévention des risques professionnels, s’informer mutuellement de ces risques et en informer leurs travailleurs respectifs et/ou leurs représentants ».
  • l’article 8 de la directive européenne 91/383 du 25 juin 1991 qui précise que pendant la durée de la mission l’entreprise utilisatrice est responsable des conditions d’exécution du travail qui comprennent celles qui sont liées à la sécurité, à l’hygiène et à la santé du travail. Et qu’en conséquence c’est au CHSCT de l’entreprise utilisatrice en application de l’article 6 de la même directive qu’il appartient d’exercer une mission de vigilance à l’égard de l’ensemble des salariés de l’établissement placés sous l’autorité de l’employeur.

Considérant que le CHSCT de l’entreprise de travail temporaire a constaté que les salariés mis à disposition de l’entreprise utilisatrice sont soumis à un risque grave et actuel, sans que l’entreprise utilisatrice prenne de mesures, et sans que le CHSCT fasse usage des droits qu’il tient, la Cour de cassation a jugé que le CHSCT peut au titre de l’exigence constitutionnelle du droit à la santé des travailleurs, faire appel à un expert agréé.

Dès lors que le droit à la santé des travailleurs et des travailleuses est un droit protégé à la fois par le droit européen et par le droit constitutionnel (alinéa 11 du préambule), la chambre sociale a reconnu la possibilité au CHSCT de l’entreprise de travail temporaire d’intervenir au profit des travailleurs temporaires travaillant pour le compte d’une entreprise extérieure, dans le cas, et uniquement dans le cas où2 :
il est avéré qu’il existe un risque grave et actuel pour ces travailleurs ;
il est constaté l’inaction de l’entreprise utilisatrice et de l’institution représentative du personnel en charge des questions de santé et sécurité en son sein.

C’est un arrêt très important qui précise qu’en cas de défaillance de l’entreprise utilisatrice et de son CHSCT/CSE dans la mise en œuvre des mesures destinées à préserver la sécurité et la santé des travailleurs temporaires, le CHSCT/CSE de l’entreprise de travail temporaire a compétence pour agir.

Cass.soc., 26 février 2020, no 18-22556