Séquence syndicale au cinéma

À Orléans, le samedi 15 septembre, les salarié-es du Cinéma Les Carmes se sont mis en grève. Précisions à toutes fins utiles : le cinéma en question, classé “Art et essai”, emploie 8 personnes – 5 à plein temps, 3 à temps partiel. Une “toute petite entreprise”, TPE, du secteur de la Culture donc.
Une entreprise dont on pourrait penser qu’en son sein l’ambiance au travail ne peut être que, et c’est certain, décontractée. Pensez-vous : quand on programme régulièrement Ken Loach… Ce serait oublier la nature profonde du rapport salarial.

TPE : Totalement Pressuré-es et Exploité-es ?

“Les Carmes”, comme on dit à Orléans, est un petit cinéma de trois salles. Installé dans une des artères les plus populaires de la ville, l’immeuble appartient à la Mairie. Les services administratifs sont à l’étage et un espace de débat et de restauration – aujourd’hui fermé – a été aménagé au sous-sol. C’est dans ce lieu, qu’en septembre, l’action syndicale s’est invitée.
L’arrivée d’un nouveau gérant il y à deux ans en aura été le déclencheur. Instaurant une organisation du travail en open space, ce sont d’abord les personnels administratifs qui ont fait les frais de ses méthodes de management, assez particulières. Très peu de temps après son arrivée, un courrier de mise en garde du secrétaire départemental du syndicat SUD Culture Loiret atterrissait sur son bureau… Deux salariées sont alors syndiquées à SUD.
Si le courrier fait d’abord son effet, et fait respirer un peu les personnels, le naturel revient vite au galop et c’est lentement, mais sûrement, que la situation va se dégrader.
Le quotidien au travail est dès lors émaillé de tensions diverses savamment distillées : menaces de licenciement régulièrement invoquées ; pressions nerveuses (le trop fameux “bon stress”) ; ordres contradictoires ; tactique éprouvée du “diviser pour mieux régner” ; cris sans chuchotements. Il arrive trop souvent que les salarié-es, à bout de nerfs, craquent. À cela s’ajoute un certain mépris pour les contrats et la convention collective, interprétée de façon plutôt libre, mais aussi des difficultés régulières dans le paiement des salaires et des heures supplémentaires.

Il n’y a pas de petite grève

Alors, la grève se prépare. Les salarié-es font état de la situation au pôle juridique de Solidaires Loiret (constitué des Conseillers du salarié et d’un avocat militant). En toute discrétion, « la cessation collective et concertée du travail » est programmée pour un samedi de septembre, jour de haute fréquentation. Comme le permet le code du travail, aucun préavis n’est envoyé. La totalité des salarié-es soutient l’initiative. Un petit groupe se réunit à plusieurs reprises pour organiser l’action, en déterminer collectivement les modalités. Un tract est élaboré, le principe d’une pétition est arrêté (plus de 800 signatures à ce jour). Lorsque le 15 septembre le gérant appelle au téléphone les personnels non postés pour leur demander de remplacer les grévistes, il essuie un refus net et sans bavures. Tout l’après-midi, un piquet de grève est installé devant le cinéma. Des militant-es de Solidaires (SUD PTT, Éducation, Culture) sont là en soutien. Ultra-majoritairement les spectateurs et spectatrices du cinéma se solidarisent avec les grévistes. Le gérant, occupant seul le hall du cinéma, tente pour sa part de jouer la contre-information, oscillant au fil de la journée entre tentatives de négociations maladroites et d’intimidations.
Interrogé le lendemain dans la presse locale, il persiste et signe : « Je revendique le droit de donner un ordre. La gestion d’une entreprise entraîne des pressions. ». C’est un point de vue. Les salarié-es des Carmes en ont un autre, que résume assez bien un texte de l’Union syndicale Solidaires : « Dans la tradition du monde du travail la grève est un rappel de la place centrale qu’occupe le/la travailleur/se. Sans travailleur pas d’entreprise, pas de service…La grève est là pour rappeler à ceux qui l’oublient trop souvent : les salariés sont au cœur de l’entreprise, sans eux, rien ne fonctionne ! ». Le 15 septembre, c’est cette réalité qu’ont affirmé, sereinement mais fermement, les salarié-es du cinéma.

Vers les prud’hommes

Depuis l’action continue. Une section syndicale SUD Culture s’est officiellement constituée au cinéma. Deux dossiers pour harcèlement ont été déposés au conseil des Prud’hommes d’Orléans, un autre pour requalification de contrat et d’autres encore sont en préparation. Le syndicat national SUD Culture a interpellé les actionnaires du cinéma. Sans perdre de vue le combat sur leurs conditions de travail, les salarié-es ont élargi leurs revendications et demandent désormais un audit comptable du cinéma. Si la reprise du travail a été rude, le collectif des salarié-es s’est imposé comme un acteur à part entière. Pied à pied, ils et elles ne cèdent pas un pouce de terrain au gérant. Et c’est de leur côté qu’est la solidarité.