Communuiqué de Sud Rail
Au terme d’un procès hors-norme, le Tribunal correctionnel d’Évry a donc déclaré la SNCF coupable et en état de récidive, et a fixé l’amende unique à 300 000 €. Il a relaxé RFF (aujourd’hui SNCF-Réseau) et le Dirigeant de Proximité Laurent Waton. Le Tribunal ne s’est pas arrêté à la seule mécanique du retournement de l’éclisse, et à la théorie de la cause métallurgique indécelable, avancée par la SNCF pour écarter toute responsabilité. Il a au contraire examiné la centralité des organisations du travail, profondément démantelées par la « révolution managériale » initiée à la fin des années 1980, et il s’est attaché à interroger le concret du travail et de la gestion de la sécurité, c’est-à-dire l’existence ou non :
- d’un personnel suffisant, calibré non pas à la mesure d’un gain de productivité mais des exigences de maintenance renforcée d’installations vieillissantes.
- d’une connaissance des installations (impliquant des conditions concrètes de transmission des savoirs) ;
- d’une bonne coopération entre les agents et services, et non pas une individualisation par mise en concurrence interne et externe ;
- d’une certaine stabilité des organisations, et non pas de restructurations permanentes qui font perdre les repères
- d’une capacité à rendre compte de la réalité des situations, plutôt qu’une incitation tacite au mensonge pour remonter à la gouvernance de l’entreprise l’image qu’elle exige pour justifier les politiques de productivité.
Il y a d’ailleurs de grands absents dans cette procédure : les dirigeants de la SNCF (Guillaume Pépy en tête), de RFF devenu SNCF-Réseau mais aussi les architectes de la politique ferroviaire depuis 25 ans (Elisabeth Borne notamment, que l’on retrouve à toutes les étapes). Ce drame est indissociable de l’idéologie du démantèlement technique du système ferroviaire, qui engendre d’énormes surcoûts de transaction (les coûts administratifs de la gestion d’une myriade d’entités juridiques), de l’ordre de 1,5 milliard d’euros par an à l’époque du drame.
Pour compenser, on a imposé la réduction des effectifs productifs (alors que les effectifs occupés à la gestion du système démantelé, eux, croissent), et la dégradation des conditions de travail de ceux qui restent (on détruit le travail vivant, ce qui amène le désinvestissement des agents ou leur épuisement, fait perdre la maîtrise de la production et de la sécurité, et au bout de la chaîne, des vies brisées par la mort ou de lourds traumatismes).
Mais pour SUD-Rail, le pire est que ces évolutions du management moderne n’ont pas été infléchies ; elles ont redoublé d’intensité, laissant les salarié·e·s désemparé·e·s.
Aujourd’hui, ce débat sur les organisations du travail et leur lien avec le sens même d’un système social et économique doit être posé (France Télécom, Brétigny, bientôt le procès de l’accident mortel d’Eckwersheim).
À quoi bon cette « compétitivité » des entreprises, des services publics, des administrations, si le prix à payer sont des morts parmi les usager·ère·s (Brétigny) comme chez les salarié·e·s (France Télécom/Orange, Eckwersheim…) et des milliers de personnes abîmées psychiquement et physiquement pour des vies entières.
Face à des choix politiques cruciaux pour l’avenir, où les discours relayés par les médias sont ceux qui continuent de promouvoir une logique néolibérale, il est urgent que la finalité des organisations du travail, et les moyens qu’on leur consacre, soient au centre du débat public, aux côtés des enjeux environnementaux, comme nécessairement liés entre eux !