Pénibilité, le compte n’y est pas !

Comme tout ce qui concerne le travail, la notion de pénibilité est  polémique. Elle est l’expression du  rapport de force entre employeurs et salariés.   Il convient de constater que ce sujet n’entre dans le débat public qu’à propos de l’âge de départ à la retraite ainsi elle est donc  essentiellement discuté en terme de compensation et rarement en terme de prévention.

En 2003, Struillou, dans un rapport demandé par le gouvernement, écrivait: la pénibilité correspond à “des expositions qui réduisent “l’espérance de vie sans incapacité“ des travailleurs, c’est-à-dire la durée de vie en bonne santé  », et précisant que “les pénibilités étudiées (dans le rapport) seront donc celles qui sont susceptibles de contribuer à une pathologie d’origine professionnelle affectant, à long terme, la santé de façon grave et irréversible. » (souligné par le rédacteur).

En janvier 2006 un rapport : “Pénibilité du travail, évaluation statistique“ n°55, CEE,  (CEE-DARES) s’appuyant sur le rapport Struillou note l’existence de deux conceptions :

  • “la pénibilité comme “astreintes nocives“ ayant des conséquences irréversibles à long terme sur la santé.
  • la pénibilité “vécue“, c’est-à-dire difficile à vivre pour les travailleurs vieillissants mais n’ayant pas nécessairement de conséquences à long terme sur la santé. »

En précisant que ces deux conceptions ne se superposent pas, le rapport fait le choix de la 1ère conception orientant vers “une solution (le départ anticipé) en termes de justice sociale à ceux dont les conditions de travail et les expositions professionnelles réduisent l’espérance de vie sans incapacité“ renvoyant la deuxième approche à “une meilleurs gestion des carrières et à l’amélioration des conditions de travail“.

Ce choix voulant répondre à un double enjeu : “légitimer le départ précoce à la retraite, synonyme de compensation, en se fondant sur des considérations liées à la pénibilité du travail, et inciter les entreprises à améliorer les conditions de travail pour permettre le maintien des salariés en emploi sans altérer leur santé. »

La création d’un dispositif de prévention et de compensation de la pénibilité du travail aurait pu constituer une avancée. Mais la faiblesse du nombre d’années de préretraite gagné, les incertitudes sur le dispositif transitoire et, surtout, un nouvel allongement de la durée de cotisation, alors que le maintien dans l’emploi des salariés vieillissants n’est toujours pas assuré, ne le réduisent du coup qu’à un simple palliatif loin de répondre aux enjeux globaux.

Pour faire passer leur pilule amère de l’allongement de la durée de cotisation, Hollande et Ayrault ont largement communiqué sur les douze facteurs de pénibilité retenus dans leur projet.

Premier constat : ces facteurs sont essentiellement physiques et ne prennent nullement en compte les facteurs psychiques. Or, pour ne prendre qu’un exemple, il est prouvé de longue date que les troubles musculo-squelettiques, qui sont et de loin la première atteinte à la santé de nombreux travailleurs, ont une double origine, physique et psychologique, ce deuxième aspect de la pénibilité générée par le stress au travail est donc totalement ignoré.

Deuxième constat : en limitant à deux le nombre de facteurs pouvant être pris en compte pour chaque salarié, le gouvernement ignore ce que les spécialistes appellent « l’effet cocktail », qui signifie que lorsqu’une personne est exposée en même temps à plusieurs facteurs de pénibilité, ils ne font pas que s’additionner, mais se combinent et se multiplient.

Le projet propose un système dans lequel les salariés accumuleront des points au fil des trimestres, en fonction de leur exposition aux facteurs de pénibilité retenus. On pourra ainsi cumuler jusqu’à 100 points maximum, donnant droit à réduire de deux ans sa durée de cotisation. En pratique,les salariés qui ont été exposés 25 ans à une pénibilité (ou 12,5 ans à deux pénibilités ou plus) ne pourront bénéficier que de deux années de retraite anticipée ! Au regard des différences réelles d’espérance de vie, cela ne fait pas le compte.  Et au-delà de 25 ans de métier pénible, les salariés n’en verraient plus aucune qui soit prise en compte.  Le texte est d’autant plus insuffisant concernant la pénibilité au travail que, dans le même temps, il  demande aux salariés de travailler plus longtemps. Comment des salariés « cassés », fragilisés, usés pourront-il tenir au travail 173 trimestres moins les 8 trimestres de bonification ? Combien de temps pourront-ils jouir pleinement de leur retraite avant d’être rattrapés par des limitations sévères de leurs capacités et de graves problèmes de santé ?

S’il est temps de prendre en compte cette question, l’objectif premier doit être de faire reculer la pénibilité. Chaque travailleur doit avoir droit à une retraite en bonne santé. L’espérance de vie en bonne santé est aujourd’hui déjà, en moyenne, à 62 ans et nous constatons depuis quelques temps qu’elle commence à régresser.

Si le projet de loi précise que le compte personnel de prévention de la pénibilité entrera en vigueur au 1er janvier 2015, le flou persiste quant aux dispositions applicables aux personnes ayant été exposées à des facteurs de pénibilité et arrivant à l’âge de la retraite dans les prochaines années. Certes un décret devra prévoir des bonifications, mais uniquement pour les « assurés âgés de plus de 59 ans et 6 mois. » Autant dire que toute la génération ayant à ce jour entre 50 et 59 ans et 6 mois se voit sacrifiée : elle pourra certes accumuler des points mais les critères annoncés d’utilisation laissent peu d’espoir de partir en retraite avant l’âge légal !

Enfin, et c’est loin d’être anodin, la reconnaissance de l’exposition à des facteurs de pénibilités risque de dépendre beaucoup des employeurs. Or on sait qu’une partie des cotisations payée par ceux-ci dépendra du nombre de leurs salariés qui y seront soumis, comme pour la branche AT/MP avec les sous-déclarations que cela représente, il  y donc de fortes probabilités pour qu’il en soit de même. Par ailleurs le délai de recours pour cette reconnaissance ne sera que de deux ans et il faudra répondre à des seuils d’exposition qui ne seront déterminés qu’en 2014 par décret !

Pour Solidaires, les inégalités face à l’espérance de vie, notamment en bonne santé, rendent pourtant indispensable la prise en compte réelle de toutes les formes de pénibilités au travail. Une vraie prise en compte de la pénibilité devrait permettre aux travailleur/euses exposés de bénéficier d’un départ anticipé à 55 ans : le gouvernement ne s’inscrit pas dans cet objectif !