L’imputabilité au service enfin reconnue… six ans après !

Le 24 juillet 2012, Hugues Martin, Chef de la surveillance douanière (CSD) à Chamonix, se suicidait quelques jours avant de rentrer de congés. Tous ses collègues et amis, immédiatement, déplorèrent qu’indéniablement le geste de Hugues avait un lien avec sa situation professionnelle.

Une administration dégradante

Très impliqué dans son travail, attaché à notre administration, Hugues avait vécu la réforme de la chaine SU (1) comme la réforme de trop.

Celle qui le plaçait de chef de subdivision de trois brigades (autour de 100 agents) à chef de poste d’une seule.

Elle était perçue comme une « dégradation » imméritée au regard de son implication et de ses années de lutte pour sauvegarder un outil douanier efficace dans l’exercice de ses missions.

Immédiatement après l’annonce du décès de Hugues Martin, l’administration des Douanes entreprit un exercice de distanciation sur la causalité professionnelle entre le suicide et les incessantes réformes, évolutions, réorganisations subies depuis 2005.

Le geste aurait résulté d’une fragilité de l’agent ou de problèmes personnels (familiaux ou conjugaux) !

Mais voilà, Hugues avait alerté l’administration sur sa situation de souffrance devant le démantèlement du maillage et des effectifs de la surveillance mais aussi sur son ressenti « d’être dégradé » depuis des mois voire plusieurs années (courriel à sa hiérarchie, notation, journal, propos…).

Des agents de la direction de Chambéry avaient aussi alerté l’administration sur la situation de Hugues. Sans écho, ni réponse…

D’abord, en quête de responsabilité(s)

Fort de cette connaissance des faits et considérant qu’il aurait été injuste de faire porter uniquement sur la responsabilité de l’agent et de sa famille le poids de ce drame – comme l’aurait voulu la « haute » administration –, SOLIDAIRES Douanes décida de prendre contact avec la famille de Hugues.

Pour la soutenir, mais aussi lui dire qu’elle était légitime à demander la reconnaissance en accident de service (elle seule le peut réglementairement).

SOLIDAIRES Finances (en local Solidaires Douanes et Solidaires Finances Publiques), avec le soutien de la CGT et de FO (syndicats représentés au Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail de Savoie – CHSCT 73), demanda la convocation d’une réunion extraordinaire du CHSCT.

Le 21 septembre 2012, ils votèrent donc la mise en place d’une délégation d’enquête et les membres de sa délégation (26 octobre 2012), en vue d’établir :
– s’il existait un lien entre le geste de Hugues et sa situation professionnelle ;
– d’analyser le travail, son organisation, les contraintes professionnelles dans le but de rédiger un rapport (présenté et validé le 28/01/2014) et de proposer des mesures de prévention et des actions d’amélioration des conditions de travail.

Surtout, en quête de respect

Cette procédure doit aider la famille à comprendre le geste désespéré, éclairer la commission de réforme dans son arbitrage, et chercher des pistes de recommandations pour que ce drame ne se reproduise pas.

Lors de cette enquête, les membres de la délégation collationnèrent des témoignages, des documents auprès des collègues mais aussi auprès de la famille de Hugues. Ceci pour établir le rapport d’enquête qui allait servir de support à la demande de reconnaissance en accident de service présentée à la commission de réforme de Lyon.

À aucun moment, l’Administration n’a soutenu la famille dans ses démarches, ni même informé de son droit ou du déroulé de la procédure, bien au contraire…

Sans appui syndical, elle se serait retrouvée absolument seule à assumer ce drame !

Retorse commission de réforme…

La commission de réforme a donné un avis négatif à la demande de reconnaissance en accident de service au prétexte de l’absence d’un lien unique et direct entre le geste de Hugues et son travail.

Avis rendu au mépris de la jurisprudence et des études médicales et sociales actuelles qui établissent qu’en aucun cas, il n’est besoin de ce lien unique et direct pour établir l’imputabilité au travail.

Même un pourcentage peu élevé de responsabilité dû aux conditions de travail suffit pour que l’employeur doive reconnaître l’accident de service.

Pourtant l’Administration des Douanes, s’appuyant sur l’avis de la commission de réforme (seulement un avis donc pas impératif), décida de rejeter la demande en reconnaissance en accident de service de la famille de Hugues Martin.

Et la notifia avec un cynisme terrible à l’épouse de Hugues, précisément le jour du premier anniversaire de sa mort.

Une justice reconnaissant l’imputabilité au service

Cette décision administrative a été condamnée en appel auprès du tribunal administratif de Grenoble en décembre 2016. Cet arrêt intime à la Douane de reconnaître le suicide comme imputable au service et de modifier le barème indemnitaire des ayants droits en conséquence – chose faite… en 2018 par l’administration des Douanes, enfin !

Et cela, malgré le déni, le cynisme ou la violence de l’administration à l’égard des ayants droits de Hugues et de notre syndicat.

À la demande de la famille de Hugues Martin, mais aussi pour respecter l’engagement pris auprès des douaniers lors de l’enquête du CHSCT, SOLIDAIRES Douanes se devait de rendre public la conclusion positive de la démarche entreprise depuis 2012 de reconnaissance en accident de service du suicide de Hugues Martin.

La lecture du jugement du tribunal administratif est intéressante et pourra servir de point d’appui à d’autres équipes syndicales qui se trouveront en présence de situations similaires.

Les juges ont en effet rappelé « qu’un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service (…) est un accident de service, qu’il en va ainsi lorsqu’un suicide ou une tentative de suicide intervient sur le lieu et dans le temps du service (…) ; qu’il en va également ainsi, en dehors de ces hypothèses, si le suicide ou la tentative de suicide présente un lien direct avec le service (…) ».

Les juges ont analysé les effets des réorganisations des services imposées par la direction générale des douanes sur la victime et sur ce qu’il a pu en dire. En s’appuyant sur les éléments du dossier et notamment les certificats médicaux des médecins généralistes et spécialistes, le rapport du médecin de prévention qui tous très circonstanciés ont fait le lien entre le stress dont souffrait la victime avec ses conditions de travail, les juges ont considéré qu’il existait « de manière certaine un lien direct de causalité entre le suicide et le service ».

Ils ont donc annulé la décision de la direction générale des douanes et droits indirects qui avait rejeté la demande de la famille de la victime de reconnaitre le suicide comme un accident de service.


(1) Réforme initiée en 2010, également dénommée repyramidage de la chaîne hiérarchique en Surveillance. Derrière l’abondement de la prime d’Allocation Complémentaire de Fonctions (ACF) à une myriade de nouveaux cadres (surtout supérieurs), il y eut la fusion/régression de nombreuses fonctions : disparition des chefs de subdivisions, déclassement des CSD et chefs d’unité (CDU). Elle fut validée à l’époque par divers syndicats (CFDT, CFTC, FO, SNCD, UNSA). SOLIDAIRES étant malheureusement le seul syndicat à être opposé dès le départ à cette réforme.