Le rapport Dharréville
Enquête de l’Assemblée Nationale sur les maladies et pathologies professionnelles dans l’industrie (risques chimiques, psychosociaux ou physiques) et les moyens à déployer pour leur élimination

La commission d’enquête de l’Assemblée Nationale a adopté à l’unanimité ce rapport le 19 juillet 2018. Il est à signaler que la députée Charlotte Lecocq était membre de la commission et qu’elle en a été une des vice-présidentes.

Lors de l’examen du rapport le rapporteur a rappelé la préoccupation majeure de la commission à savoir « réfléchir aux moyens de renforcer la prévention alors que le système actuel est avant tout centré sur la réparation ».

Dans une première partie le rapport alerte sur le développement de nouveaux risques (nanomatériaux, perturbateurs endocriniens, rayonnements ionisants) et de la multi exposition à plusieurs risques en même temps ou à diverses substances chimiques. Il insiste également sur l’externalisation des risques avec le développement massif de la sous-traitance et de l’intérim qui conduit les entreprises à transférer les risques à d’autres salarié·es moins formé·es et moins protégé·es.

Il signale aussi les difficultés liées au dispositif de reconnaissance des maladies professionnelles, l’affaiblissement du système de traçabilité avec la disparition de la fiche d’exposition, le peu de notices de postes rédigées en cas d’exposition à des agents chimiques dangereux…

Pour établir son rapport la commission d’enquête a procédé à des auditions individuelles ou en table ronde et s’est déplacée sur le terrain.

Le rapport contient 43 propositions qui portent sur la nécessité d’approfondir la connaissance des risques, de créer un service public commun de toxicologie, de renforcer les effectifs des médecins du travail, d’améliorer la reconnaissance des maladies professionnelles et de prévenir leur apparition, de créer un service public de prévention, de mieux organiser la traçabilité des expositions…

Ce document n’a pas vocation à analyser chacune des 43 propositions mais à signaler celles qui nous paraissent devoir être débattues pour faire progresser le droit en matière de protection de la santé des travailleuses et travailleurs sur leur lieu de travail.

Sur la connaissance des risques

Agir sur les VLEP

Pour renforcer la protection de la santé des travailleuses et travailleurs le rapport propose de revoir les valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP) et de réduire le plus possible l’exposition au niveau le plus bas.

En effet les valeurs limites qui servent de référence dans l’évaluation de l’exposition aux polluants présents dans l’atmosphère, présentent de nombreuses limites : le respect des VLEP n’implique pas l’absence de risque, elles ne sont valables que pour un produit unique, elles ne tiennent compte que des conséquences sur le système respiratoire, les voies cutanée et digestive sont ignorées. En outre la plupart du temps les employeurs considèrent ces valeurs limites comme des valeurs plafond et se contentent de ne pas les dépasser.

Mettre en place une véritable traçabilité des expositions

Tout en soulignant l’intérêt de la fiche d’entreprise (où sont recensés les risques professionnels) mais de fait très peu renseignée et du document unique pas toujours rempli le rapport suggère de mettre le « poste de travail » au coeur du dispositif de prévention à partir duquel serait construit le document unique (DU) et autres documents règlementaires pour assurer la traçabilité des différents expositions. Le rapport propose la mise en place d’un dispositif public d’archivage du DU pour faciliter la traçabilité des risques au niveau individuel et sur l’intégralité d’un parcours professionnel.

Renforcer le lien entre la médecine de ville et la santé au travail

Actuellement le dossier médical en santé au travail (DMST) est détenu par le service de santé au travail et archivé par lui lors de la cessation d’activité du ou de la salarié·e. Il ne peut être transmis à un autre service médical qu’avec l’accord de l’intéressé·e. De ce fait le médecin traitant ne dispose d’aucun élément relatif à d’éventuelles expositions au travail en cas de consultation pour une pathologie.

Le rapport propose de remplacer le DMST en dossier médical personnel de santé au travail rattaché à la personne et non plus au service de santé de l’entreprise et de l’adosser au dossier médical partagé en cours de développement et donner aux médecins de ville (sous réserve du consentement de la personne) la possibilité d’accéder aux informations relatives aux postes occupés, aux expositions professionnelles…

Plusieurs mesures sont envisagées afin de permettre aux médecins de ville de mieux prendre en compte les questions de santé au travail via leur formation initiale, des campagnes de sensibilisation pour qu’ils s’interrogent sur la potentielle origine professionnelle de pathologies…

Introduire la notion de « responsable de l’environnement de travail »

Face au développement de la sous-traitance et de l’intérim le rapport propose de définir l’entreprise donneuse d’ordre comme responsable de l’environnement de travail sur le site. Dans ces situations il est également proposé de prévoir la mise en place d’une commission santé, sécurité et conditions de travail de site et de désigner un médecin de travail de site.

Sur le renouvellement d’une politique de prévention

Le rapport propose plusieurs mesures pour favoriser la reconnaissance de maladies professionnelles dont :
– l’abaissement du taux minimal d’incapacité permanente à 10 % (actuellement 25 %) ;
– la création d’une base de données pour recenser les décisions prises et harmoniser les décisions des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP)

Construire des outils pour créer une véritable politique de prévention

Le rapport suggère :
– la création d’un service public unique de la santé au travail et de la prévention professionnelle adossé aux CARSAT (Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail), ce service étant actuellement éclaté entre les Services de santé au travail et les CARSAT (pour la gestion et la tarification des risques) ;
– le renforcement des services de santé au travail en valorisant le rôle des infirmier·ères en santé au travail et en les dotant d’un statut de salarié·e protégé·e comme les médecins du travail ;
– une véritable association des salarié·es et de leurs représentant·es au processus d’élaboration du document unique. Le rapport suggère d’envisager une périodicité de mise à jour du DU adaptée à la taille de l’entreprise.

Plusieurs de ces réflexions et propositions et tout particulièrement la nécessité de renforcer la prévention et la traçabilité des expositions professionnelles rejoignent celles du professeur Frimat dans son rapport relatif à la prévention et à la prise en compte de l’exposition des travailleurs aux agents chimiques dangereux. En revanche elles sont à l’opposé des propositions contenues dans le rapport Lecocq.


Consulter le rapport Dharréville (PDF)