La réforme du contentieux de la Sécurité Sociale et de l’incapacité

Une loi dite de « modernisation de la justice du XXIe siècle » (1), puis une ordonnance (2) et enfin plusieurs décrets ont au 1er janvier 2019, profondément transformé le contentieux de la sécurité sociale. Une réforme qui a fait peu de bruit, dont on aura peu parlé alors qu’il s’agit d’une réforme majeure avec des conséquences loin d’être anodines pour des publics souvent fragiles et en grande difficulté.

Création d’une juridiction sociale unique

Les 242 juridictions spécifiques de sécurité sociale disparaissent et leurs compétences passent aux mains des juridictions de l’ordre judiciaire (tribunal de grande instance et cour d’appel).

Les attributions du tribunal des affaires de Sécurité Sociale (TASS), du tribunal du contentieux de l’incapacité (TCI), des commissions départementales d’aide sociale (CDAS) et de la Commission centrale d’aide sociale (qui relevaient de l’ordre administratif) sont transférées au pôle social des tribunaux de grande instance (TGI) spécialement désignés.

Enfin à compter du 1er janvier 2020, le tribunal d’instance (TI) et le tribunal de grande instance (TGI) vont être fusionnés pour former le tribunal judiciaire et le greffe de cette nouvelle entité comprendra celui du conseil des prud’hommes.

Pour mémoire

Les 115 tribunaux des affaires de Sécurité Sociale jugeaient les conflits d’ordre administratif entre les caisses de sécurité sociale et les usagers comme les prestations versées au titre de la législation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur… Les 26 tribunaux du contentieux de l’incapacité traitaient notamment des litiges portant sur l’état ou le taux d’invalidité ou d’incapacité de travail liée aux accidents de travail et aux maladies professionnelles, les décisions prises par les commissions de recours amiable (CRA).

La Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail (Cnitaat) juridiction d’appel est également supprimée. Le contentieux de l’incapacité va relever de cours d’appel spécialement désignées et celui de la tarification des accidents du travail est confié à la cour d’appel d’Amiens seule compétente pour statuer en premier et dernier ressort.

La représentation par avocat ne sera plus obligatoire comme c’est le cas aujourd’hui devant les juridictions de sécurité sociale. Enfin, l’appel des décisions relève désormais de la compétence des chambres sociales des cours d’appel.

Était-ce une réforme nécessaire ?

Le moins que l’on puisse dire est que les critiques portant sur ces juridictions étaient très nombreuses et justifiées. En effet si nous nous appuyons sur les enquêtes menées par la revue Santé et travail ces juridictions présentaient de nombreux dysfonctionnements. Le n° 91 de juillet 2015 met en exergue les critiques affectant le fonctionnement de la Cnitaat (encombrement, délais de traitement particulièrement longs de 1 à 3 ans) qui viennent de toutes parts (avocats, défenseurs dont médecins spécialisés..) et le n° d’octobre 2014 traite des dysfonctionnements des TCI.

On peut également citer l’action du Syndicat des avocats de France menée contre l’Etat pour déni de justice face à des délais d’attente jugés déraisonnables aux Prud’hommes ou devant d’autres juridictions sociales.

Enfin dans son livre Soif de justice. Au secours de juridictions sociales, Pierre Joxe appelle à la création d’un ordre spécialisé pour les juridictions sociales. Selon lui « elles sont maltraitées parce qu’elles sont à la fois la justice des pauvres et les parentes pauvres d’une justice judiciaire elle-même pauvre ».

Difficile de se prononcer aujourd’hui sur la portée et les conséquences de cette réforme pour les justiciables. Il n’est pas certain que les tribunaux de l’ordre judiciaire soient en capacité d’absorber cette charge supplémentaire et disposent des compétences et des moyens suffisants pour le faire et ce malgré le transfert des personnels administratifs.

Il n’est pas certain que les tribunaux de l’ordre judiciaire soient en capacité d’absorber cette charge supplémentaire et disposent des compétences et des moyens suffisants pour le faire et ce malgré le transfert des personnels administratifs.


(1) Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016
(2) Ordonnance n°2018-358 du 16 mai 2018