La digitalisation du travail : introduction

Michèle Rault souhaite la bienvenue aux présent-es à cette journée de réflexions et de débats organisée par la commission Santé et conditions de travail de Solidaires.
Après celle organisée autour du « Lean management », nous avons jugé utile et nécessaire d’engager une réflexion sur l’économie du numérique, de la robotique et de la digitalisation.
En effet, de nombreux secteurs sont concernés et il nous paraît essentiel d’en analyser les répercussions sur l’économie, l’emploi, le travail, les conditions de travail, la protection sociale, le statut du salariat…
Certes, les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) ne datent pas d’hier, elles sont dans le paysage depuis quelques décennies déjà. Toutefois, nous devons noter une certaine accélération, liée au développement des réseaux, des appareils comme les mobiles, et l’apparition de plates-formes qui mettent en relation des usagers.
Aujourd’hui, il s’agit d’une première journée d’échanges, à l’issue de laquelle nous déciderons comment poursuivre le débat qui touche à beaucoup de sujets de société.

Les conséquences sur l’économie

Sommes-nous en présence d’un nouveau modèle économique qui permettrait d’inventer et d’expérimenter d’autres manières de produire et d’échanger, alternatives au système capitaliste marchand ?
On parle beaucoup d’économie collaborative, mais ne s’agit-il pas plutôt d’une captation de la rente, qui s’appuie sur les nouvelles technologies et sur un affranchissement des règlementations, tant en matière de fiscalité que de cotisations sociales ?
On peut citer, pour exemple, la capitalisation boursière d’Airbnb, équivalente à celle du groupe d’hôtels ACCOR : d’un côté, on a une plate-forme qui échappe à toute règlementation, de l’autre pour le groupe ACCOR, 40 milliards d’immobilisations, du personnel, des impôts et des cotisations sociales payés.
Le développement de plates-formes qui, le plus souvent, sont localisées dans les paradis fiscaux, représente un danger pour notre modèle social, en raison de la perte de recettes fiscales et de cotisations sociales qu’il entraîne.

Les questions à se poser : quelles règlementations imposer pour éviter la distorsion de concurrence et comment développer une véritable économie de partage ?

Les conséquences sur l’emploi

Les études portant sur les conséquences sur le nombre d’emplois sont assez contradictoires.
Certains analystes estiment qu’on se dirige vers des destructions massives d’emplois, ce qui n’est pas sans alimenter des peurs qui font accepter la remise en cause d’acquis sociaux et de la régulation du droit du travail.
L’automatisation de certaines tâches peut avoir un intérêt si elle réduit la pénibilité et si le-la travailleur-euse n’est pas soumis.e au rythme de la machine. La mise au travail des utilisateurs, des clients, des usagers (se reporter aux travaux de Marie-Anne Dujarier et Guillaume Tiffon) réduit l’emploi, les plates-formes menacent des professions (taxis, libraires).
On peut sans doute affirmer qu’il y aura aussi des créations d’emplois, avec de nouveaux services, ou encore une transformation des emplois existants.
Pour d’autres observateurs, le retour au plein emploi étant impossible, il faut donc envisager la mise en place d’un revenu universel de base ou d’existence.

Les questions à se poser : mener une réflexion sur la signification et le sens du travail, qui va bien au-delà de l’emploi salarié.

Les conséquences sur les formes d’emploi

Aux côtés de l’emploi salarié qui reste très majoritaire, on assiste au développement du travail indépendant qui permet de répondre à des aspirations de liberté et d’autonomie bien compréhensibles, en présence de situations de travail particulièrement stressantes et contraignantes aujourd’hui.
Toutefois, le statut d’auto-entrepreneur peut être synonyme d’extrême flexibilité et de grande précarité. Il suffit pour cela de regarder les luttes actuelles en France, en Grande Bretagne, aux Etats-Unis. Ces travailleurs assument seuls les risques (pas de protection sociale ni de droit du travail), leur liberté et autonomie sont très formelles, on a parfois le sentiment d’un retour du travail à la tâche.

Les questions à se poser : quelle place pour le salariat et quelles formes de protection sociale reconnaître aux travailleurs et travailleuses, quel que soit leur statut ?

Les conséquences sur les conditions de travail et la nature du travail

Le travail continue à occuper une place centrale dans la construction des identités individuelles et collectives. Le travail en réseau, les possibilités d’exploitation des données, l’existence de plates-formes bouleversent les repères de temps et de lieu de travail. Les frontières entre vie privée et vie professionnelle s’estompent. On assiste à une intensification du travail, une augmentation de la charge de travail ainsi que de la durée du travail.
Ces nouveaux outils ont des conséquences directes sur le contenu même du travail et son organisation.

Les questions à se poser : L’automatisation des emplois, la dématérialisation ce n’est pas qu’une question technologique, c’est aussi une question d’acceptation sociale, de mode d’organisation du travail. Retrouver du sens et de l’intérêt au travail représente un enjeu essentiel.

L’économie du numérique, la robotisation, la dématérialisation bousculent l’économie, les formes d’emploi, de rémunération, de travail. Nous devons nous saisir des défis ainsi posés, prendre toute notre place dans la réflexion et continuer à porter des revendications émancipatrices.

La journée s’est organisée autour d’une matinée consacrée principalement à l’intervention des deux sociologues Patrick Cingolani et Guillaume Tiffon suivie d’une série de questionnements de la salle. L’après-midi les équipes syndicales ont présenté les formes prises par la numérisation et la digitalisation dans leurs secteurs respectifs, ses conséquences sur la nature du travail, les conditions de travail, les services rendus au public ainsi que les stratégies mises en place.