La Cour de cassation confirme la reconnaissance en maladie professionnelle d’un cancer du poumon dont est décédé un comptable exposé à l’amiante malgré deux avis défavorables de CRRMP

Cass. Civ. 2, 10 octobre 2013, n° 12-21757
Dans cette affaire, la veuve d’un comptable d’une papeterie de Bergerac, la société Bernard Dumas, tente d’obtenir la reconnaissance du caractère professionnel du cancer broncho-pulmonaire primitif contracté par son époux, dont il est décédé.

Elle se prévaut du tableau 30 bis des maladies professionnelles relatif aux cancers broncho-pulmonaires provoqués par l’inhalation de poussières d’amiante, mais ne peut bénéficier de la présomption d’imputabilité de l’article L461-1 du Code de la sécurité sociale, certaines conditions du tableau n’étant pas remplies. Ce tableau dresse en effet une liste limitative des travaux susceptibles de provoquer cette maladie, dans laquelle ne figure pas le poste de comptable.
Ledit article prévoit dans ce cas qu’il doit être établi un lien direct entre la maladie et le travail habituel de la victime et que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) doit saisir pour avis un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP).
Le comité de Bordeaux ayant rendu un avis défavorable, l’épouse du défunt sollicite du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale (TASS) la désignation d’un second CRRMP qui rend également un avis négatif. Le Tribunal déboute la veuve de sa demande, suivant en cela l’avis des CRRMP de Bordeaux et de Dijon.
La Cour d’appel de Bordeaux infirme ce jugement et reconnaît le caractère professionnel du cancer, écartant ainsi les avis desdits comités.
L’intérêt de l’arrêt de la Cour de cassation, qui rejette le pourvoi formé contre la décision rendue par la Cour d’Appel, est double.
D’abord, La Haute juridiction confirme que les juridictions des affaires de sécurité sociale ne sont pas tenues par les avis défavorables des CRRMP.
Elle avait déjà reproché à des juges de n’avoir pas recherché, dans un cas similaire, « si l’affection invoquée n’avait pas été causée directement par le travail habituel du salarié » (Cass. Civ. 2ème, 17 mai 2004, n° 03-12807), et avait cassé une décision qui avait rejeté la demande de reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie du demandeur en faisant uniquement référence à l’avis défavorable du second comité «sans s’expliquer sur les attestations produites devant elle (…) dans le but d’établir l’exposition (…) » (Cass. Civ. 2ème 17 mars 2010, n°09-10422).
Il est ainsi de plus en plus fréquent que les juridictions du fond reconnaissent le caractère professionnel de pathologies malgré des avis de CRRMP défavorables (voir notamment CA DOUAI 30 septembre 2009 ; CA AMIENS 4 mai 2010, CA CHAMBERY 13 septembre 2011, CA ORLEANS 27 juin 2012).
Certaines juridictions ont même ordonné la prise en charge du caractère professionnel de maladies, malgré trois avis défavorables de CRRMP (cf jugement du TASS d’Avignon du 11 avril 2013 précédemment commenté dans le bulletin « Et voilà… » n° 22 de novembre 2013).
Ensuite, et surtout, la Cour de cassation juge que « même si M. V. était fumeur et qu’un lien entre le tabac et sa pathologie peut être établi, le fait qu’il ait été exposé à l’amiante est établi et suffisant pour pouvoir faire droit à la demande de reconnaissance de maladie professionnelle ».
Elle réaffirme ainsi avec force sa jurisprudence sur le lien direct, dans un sens favorable aux victimes, même en présence d’un facteur de risque concourant tel que le tabagisme, suffisamment important dans cette affaire pour que la Cour souligne que le lien entre le tabac et le cancer dont était décédé la victime pouvait être établi.
Cet arrêt du 10 octobre 2013 s’inscrit dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui déjà, dans un arrêt du 19 décembre 2002 (n° 00-13097), avait jugé que le texte susmentionné « n’exige pas que le travail habituel soit la cause unique ou essentielle de la maladie », et que le lien direct est établi quand bien même la maladie aurait une origine multifactorielle.
Finalement l’exposition à l’amiante est suffisante pour établir un lien direct entre la maladie et le travail de la victime.
Cela suppose que cette exposition soit démontrée, comme c’est le cas en l’espèce, la Cour prenant un soin particulier à motiver sa décision sur les conditions de travail de la victime, en relevant l’existence de nombreuses attestations de collègues de travail qui témoignent de l’inhalation de poussières d’amiante sans protection et sans information.
L’évolution de la jurisprudence ces dernières années paraît constituer un désaveu à la dérive du système dit « complémentaire », créé en 1993 pour faciliter la prise en charge des maladies professionnelles. L’appréciation judiciaire du lien de causalité paraît ainsi de plus en plus éloignée de celle qui en est faite par les médecins qui composent ces comités régionaux de reconnaissance de maladies professionnelles et qui ont trop souvent tendance à raisonner en termes de certitude scientifique, ce qui n’entre pas dans leur mission et ce qui serait au surplus difficile voire impossible à établir en présence de pathologies cancéreuses, le plus souvent d’origine multifactorielle.
François LAFFORGUE
Avocat