La commission européenne au banc des accusés

Perturbateurs endocriniens : la commission européenne condamnée pour inaction
Dans un arrêt du 16 décembre 2015, le tribunal de l’union européenne¹ a condamné la commission européenne pour n’avoir pas respecté ses engagements de donner une définition scientifique des perturbateurs endocriniens.
L’union européenne s’était effectivement engagée en 2009 à définir d’ici  le 13 décembre 2013 toute une série de substances susceptibles de perturber le système endocrinien et d’être néfastes pour les humains et cela dans l’objectif de les soumettre à une réglementation spécifique. Or en 2013, la Commission lançait une étude d’impact économique alors  qu’elle n’y était pas obligée, et cela sans avoir défini au préalable les perturbateurs endocriniens ! L’action des lobbies de l’industrie chimique (fabricants de plastiques et de pesticides notamment) n’est vraisemblablement pas étrangère à cette étude d’impact. Compte tenu du non respect de l’engagement pris, la Suède a introduit en juillet 2014 un « recours en carence » contre la commission. D’autres Etats membres, ainsi que le conseil et le parlement européens se sont joints à la plainte. Les juges européens ont rejeté tous les arguments de la commission justifiant  son retard, ils ont notamment rappelé que le règlement n’exigeait aucune analyse d’impact et qu’en conséquence la commission avait violé le droit de l’Union.

Qu’est-ce qu’un perturbateur endocrinien ?

Ce sont des substances chimiques d’origine naturelle ou synthétique susceptibles de porter atteinte à la santé humaine et à l’environnement. Ces substances sont présentes dans la chaîne alimentaire, dans les produits ou objets d’usage quotidien, tels que détergents, matières plastiques, cosmétiques, textiles, peintures, pesticides… Certains d’entre eux ont déjà fait l’objet de restrictions voire d’interdiction comme le Bisphénol A (en France le BPA est interdit dans tous les matériaux au contact alimentaire et dans les tickets de caisse depuis le 1er janvier 2015). Plus de 1 500 substances susceptibles d’influer sur le système hormonal on été recensées !

Plusieurs études scientifiques suggèrent que ces substances pourraient être à l’origine de la survenue de certaines maladies chroniques, comme les cancers du sein, de la prostate, l’obésité, le diabète et les maladies cardiovasculaires, ainsi que des troubles de la fertilité. Par ailleurs ces substances peuvent agir de manière isolée ou en combinaison avec d’autres substances et provoquer un effet « cocktail ». Les expositions professionnelles comme les expositions environnementales sont importantes ainsi que leurs conséquences sur la santé des salarié-es et des populations. Des études récentes (les premières du genre) conduites par des chercheurs américains et européens ont estimé le coût économique des perturbateurs endocriniens à quelques 150 milliards d’euros soit 1,23% du PIB européen ! La décision du tribunal a été saluée par de nombreuses  associations qui dénoncent les manœuvres dilatoires de la commission. Mais en attendant, l’inaction de l’Europe s’est révélée préjudiciable aux milliers de salarié.es de l’UE qui travaillent dans l’agriculture, l’industrie alimentaire, l’industrie plastique, les services du nettoyage et qui sont affectés par les perturbateurs endocriniens.

Pour en savoir plus se reporter à l’ouvrage « Intoxication, perturbateurs endocriniens, lobbystes et eurocrates : une bataille d’influence contre la santé » de Stéphane Horel (cf. Et Voilà n°41 : http://www.solidaires.org/Et-voila-no-41-Novembre-2015)

Une autre décision à signaler, le report –de courte durée- de l’autorisation de mise sur le marché du glyphosate

L’Union Européenne devait se prononcer le 7 mars 2016 sur le renouvellement pour 15 ans de l’autorisation du glyphosate principe actif du désherbant « Roundup » de la firme Monsanto. La décision semblait d’autant plus acquise qu’elle était confortée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) qui a jugé « improbable » le caractère cancérogène pour l’humain du glyphosate dans un avis rendu public le 12 novembre dernier. Mais comme il n’y eut pas de majorité qualifiée pour voter la réhomologation, la décision d’autoriser ou d’interdire le glyphosate a été reportée. Ce report est à mettre à l’actif d’une très forte mobilisation de plusieurs ONG dont Générations Futures qui s’est traduite par une pétition, une plainte au pénal, des interventions auprès des politiques, des élu-es (au niveau national et européen)… Les ONG qui exigent l’interdiction de ce produit ont notamment mis en exergue d’une part l’avis rendu par le CIRC² en mars 2015 déclarant le glyphosate « cancérogène probable pour l’homme » et d’autre part l’adresse de 96 scientifiques critiquant vivement l’avis rendu par l’EFSA, celui-ci reposant selon les auteurs sur une démarche « scientifiquement inacceptable ». Les divergences de vue entre les deux institutions s’expliquent en partie pour les raisons suivantes : le CIRC s’appuie sur des études publiques et publiées dans les revues scientifiques qui ont fait l’objet d’une expertise préalable à leur publication tandis que l’EFSA tient compte des résultats d’études industrielles non publiques et qu’elle n’a pas retenu certaines études publiques au motif que le glyphosate utilisé ne l’était pas à l’état pur !

Dernière minute

– Le parlement européen a voté le 13 avril une résolution renouvelant l’autorisation du glyphosate pour une durée limitée à 7 ans (au lieu des 15 années initialement prévues) mais dont l’utilisation serait restreinte aux usages agricoles, et interdite pour les particuliers et les collectivités. Mais on peut se demander si le projet de règlement que la commission européenne soumettra aux Etats membres les 18 et 19 mai en tiendra compte. Rien n’est moins sur !

– La plate forme des 23 industriels commercialisant des pesticides à base de glyphosate a refusé de rendre publiques leurs études comme le leur demandait le commissaire européen à la santé dans un courrier du 4 avril.

Le glyphosate est présent dans plus de 750 produits phytosanitaires utilisés dans l’agriculture, la foresterie, pour les usages urbains et domestiques. C’est le pesticide de synthèse le plus utilisé en France. 720 000 tonnes produites dans le monde en 2012 contre 600 000 en 2008.

Pesticides, la commission coupable de « mauvaise administration »

Dans une décision du 18 février 2016 la médiatrice européenne donne 2 ans à la commission européenne pour lui fournir un rapport prouvant qu’elle a changé ses pratiques concernant l’autorisation de mise sur le marché des pesticides. Cette décision a été prise à la suite d’une plainte pour « mauvaise administration » déposée par deux organisations « Pesticide Action Network Europe (PAN Europe) » et « Générations Futures » qui dénonçaient les manquements de la Direction Générale de la santé de la commission européenne. En effet la DG santé autorisait la mise sur le marché de substances entrant dans les produits pesticides en l’absence de données sur leur toxicité et sur le simple engagement des fabricants de les fournir ultérieurement ! Or la réglementation sur les pesticides ne prévoit cette procédure de données de confirmation que dans des cas exceptionnels !

Ces trois affaires illustrent les conflits d’intérêts, la soumission des Etats membres de l’Union Européenne, de la commission et de l’agence européenne aux intérêts des industriels, et ce au détriment de la santé humaine et animale et des ses implications sur l’environnement. Elles illustrent aussi le renoncement européen de toute stratégie en matière de santé au travail. Toutefois la bonne nouvelle est qu’il toujours possible de réagir, d’agir et de gagner. Alors ne nous en privons pas !

1 Le TUE est une des 2 juridictions de la cour de justice de l’union européenne
2 Le centre international de recherche sur le cancer est une agence de l’organisation Mondiale de la Santé (OMS)

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