FICHE N° 3
Le stress… tout le monde en parle… que faire?

Depuis un an, le débat sur le stress s’accélère. Un rapport rédigé par Philippe Nasse (magistrat honoraire, statisticien) et Patrick Légeron, (Psychiatre, directeur général de Stimulus, cabinet de conseil sur le stress professionnel) traite de «la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail».
Commandé par le ministre du travail et publié en mars 2008, ce rapport propose de ne pas expliquer les causes du stress mais seulement de décrire les conséquences en mettant en place des indicateurs… Du coup, il renvoie les salariés à leur responsabilité personnelle comme comptables de leur santé et ouvre vers les diverses techniques de « gestion du stress ».

L’accord national interprofessionnel du 2 juillet 2008 sur le stress au travail transpose l’accord cadre européen du 8 octobre 2004. Signé par les organisations patronales et syndicales « officielles », il est le résultat de « savants » compromis entre des intérêts très contradictoires :
– ceux des travailleurs qui nécessitent la prise en compte de l’activité réelle et l’organisation du travail, notamment les évolutions vers la standardisation, la perte d’autonomie, la « déresponsabilisation…
– ceux du patronat pour qui les critères financiers à court terme orientent les décisions et qui veut conserver son pouvoir sur les méthodes de gestion, l’organisation du travail et les moyens (notamment les emplois)…

Cet accord peut toutefois, malgré les ambiguïtés et les contradictions qu’il comporte, être un point d’appui pour l’action syndicale. Il reconnaît une place importante à l’organisation du travail et « la responsabilité des employeurs dans la lutte contre les problèmes de stress au travail » tout en précisant qu’il peut y avoir des causes extérieures au milieu de travail.

Autre appui d’importance : l’obligation faite à l’employeur de satisfaire à ses «obligations de sécurité de résultat» au regard des « principes généraux de prévention » des risques tels que définis dans le code du travail (art. L. 4121-1 et 2). En lui imposant notamment de « Combattre les risques à la source » et de « Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle », on trouve là encore un argument qui plaide en faveur de la prise en compte de l’organisation du travail. S’appuyant sur ces principes généraux de prévention, deux jurisprudences (dont une en date du 5 mars 2008 et connue sous le nom de « arrêt SNECMA ») ont confirmé cette obligation contraignante faite à l’employeur. (Une fiche à venir sera consacrée aux questions de souffrance au travail en lien avec ces aspects juridiques).

Stress… de quoi parle-t-on ?

Dans le monde du travail, le terme «stress» permet d’exprimer les difficultés et l’essentiel de ce qui tourne autour des risques psycho sociaux qui englobent les notions de «mal être» et de « souffrance au travail ». Le terme est assez interchangeable avec d’autres expressions comme surcharge, surmenage, intensification, anxiété, usure etc. Il renvoie à des contenus scientifiques, des enquêtes, des études, des rapports dont la maîtrise pourrait être celle des spécialistes et professionnels de la santé au travail… L’utilisation du terme de « stress » alerte sur des difficultés mais nécessite d’aller au delà du mot pour préciser ce dont il est question.
Dans le champ scientifique, le concept de stress est utilisé dans trois disciplines distinctes:
les biologistes décrivent les réactions de l’organisme en présence d’une menace ou d’une agression et les conséquences sur la santé (affections cardio-vasculaires, de l’appareil digestif et perturbations immunologiques notamment…)
les psychologues étudient la perception des situations par les individus ce que reprend l’accord stress quand il indique : « Un état de stress survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face » C’est aussi la définition de l’Agence Européenne pour la santé et la sécurité au travail.
les épidémiologistes enquêtent sur les facteurs de stress professionnel avec un modèle à 2 ou 3 composantes (contraintes, autonomie, reconnaissance) et leurs conséquences sur la santé (maladies cardio-vasculaires, TMS et manifestations dépressives).

Tout cela reste l’affaire de spécialistes. Pour le syndicalisme « Solidaires », le stress est une composante de la souffrance au travail ou plus précisément une étape dans un processus de dégradation de la santé au travail. Il doit représenter une situation exceptionnelle qui, quand elle devient habituelle, traduit un dysfonctionnement dans l’organisation réelle du travail. Non résolues, les difficultés déboucheront sur une dégradation de la santé des salariés concernés.

La prise en charge du stress, une approche individuelle sur les conséquences…

Les directions apprécient particulièrement les retombées des théories cognitives du stress : si, comme le disent les psychologues, le stress est dû à l’évaluation et à la perception de sa situation par le sujet, il n’y a qu’à changer sa façon de voir… Certains parlent même de « stress positif » pour désigner des méthodes de management extrêmement coûteuses pour la santé… Le mot d’ordre est « tout est dans la tête »… Les méthodes vont de la littérature de gare (respirez par le ventre, anticipez, pensez positivement…) aux interventions de consultants qui vont mettre en place des « groupes de parole », des techniques d’auto-évaluation, de relaxation, des formations « gestion du stress »…
Les groupes mis en place le sont selon une théorie résumée ici : « Les sujets sont invités à abandonner leur logique professionnelle (avec ses critères d’évaluation, sa hiérarchie, les exigences de soin…) pour entrer dans un espace où ils pourront dire ce qui est non-dit habituellement, les émotions rattachées à l’histoire personnelle… La parole permet de métaboliser la souffrance, de clarifier les sentiments et de comprendre les réactions de chacun. Le groupe de parole prévient l’usure, la fatigue, les blocages grâce à son action thérapeutique ».

Cette gestion du stress renvoie la responsabilité sur le comportement et la personnalité des salariés et ne prend pas en compte les causes. Elle ne peut pas déboucher sur des mesures de prévention pour supprimer ou réduire les causes du stress au travail… Il en va de même des observatoires (patronaux) sur le stress ou des numéros verts mis en place. Ils peuvent permettre d’avoir une vision du malaise des salariés mais ils n’expliquent pas l’origine des difficultés des personnels. Cette origine n’étant pas mise en cause, l’échec de la gestion individuelle du stress ne peut que culpabiliser le salarié, augmentant dans un cercle vicieux son stress.

… ou une approche collective sur les causes

L’accord interprofessionnel sur le stress est potentiellement porteur d’une autre logique… notamment dans son chapitre 4 : «L’identification d’un problème de stress au travail doit passer par une analyse de facteurs tels que :
– l’organisation et les processus de travail (aménagement du temps de travail, dépassement excessifs et systématiques d’horaires, degré d’autonomie, mauvaise adéquation du travail à la capacité ou aux moyens mis à disposition des travailleurs, charge de travail réelle manifeste- ment excessive, des objectifs disproportionnés ou mal définis, une mise sous pression systématique qui ne doit pas constituer un mode de management, etc.),
– les conditions et l’environnement de travail (exposition à un environnement agressif, à un comportement abusif, au bruit, à une promiscuité trop importante pouvant nuire à l’efficacité, à la chaleur, à des substances dangereuses, etc.),
– la communication (incertitude quant à ce qui est attendu au travail, perspectives d’emploi, changement à venir, une mauvaise communication concernant les orientations et les objectifs de l’entreprise, une communication difficile entre les acteurs etc.),
– et les facteurs subjectifs (pressions émotionnelles et sociales, impression de ne pouvoir faire face à la situation, perception d’un manque de soutien, difficulté de conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle, etc.).
L’existence des facteurs énumérés peut constituer des signes révélant un problème de stress au travail. Dès qu’un problème de stress au travail est identifié, une action doit être entreprise pour le prévenir, l’éliminer ou à défaut le réduire. La responsabilité de déterminer les mesures appropriées incombe à l’employeur. Les institutions représentatives du personnel, et à défaut les travailleurs, sont associées à la mise en œuvre de ces mesures ».

Même s’il s’agit d’un catalogue assez général, il y a là des pistes d’interventions avec les travailleurs. La responsabilité du stress ne repose pas sur les individus mais sur l’organisation du travail…

Dans le chapitre 6, les pistes d’interventions proposées sont intéressantes : « Ces mesures incluent par exemple :
– des mesures visant à améliorer l’organisation, les processus, les conditions et l’environnement de travail, à assurer un soutien adéquat de la direction aux personnes et aux équipes, à donner à tous les acteurs de l’entreprise des possibilités d’échanger à propos de leur travail, à assurer une bonne adéquation entre responsabilité et contrôle sur le travail, et des mesures de gestion et de communication visant à clarifier les objectifs de l’entreprise et le rôle de chaque travailleur,
– la formation de l’ensemble des acteurs de l’entreprise et en particulier de l’encadrement et de la direction afin de développer la prise de conscience et la compréhension du stress, de ses causes possibles et de la manière de le prévenir et d’y faire face,
– l’information et la consultation des travailleurs et/ou leurs représentants, conformément à la législation, aux conventions collectives et aux pratiques européennes et nationales.»

Compte tenu de leur approche, il est très vraisemblable que les directions vont avoir recours à des cabinets de consultants pour des formations, des expertises, des audits… Mais, avec les conséquences ou le prétexte de la crise économique, on peut craindre une pression encore plus forte sur le travail, et dans le même temps une inquiétude plus grande des salariés liée aux incertitudes sur l’avenir… d’où la nécessité de mettre au cœur des débats et des actions des équipes militantes les questions de stress, de risques psychosociaux…
L’accord stress est applicable dans les entreprises. Dans les secteurs relevant de l’état, il peut être la base d’interventions puisque l’accord découle de directives européennes… Il n’est pas nécessaire d’être signataire pour imposer le respect d’engagements pris par le patronat…

Il ne s’agit pas d’une question de spécialiste, parallèle à l’action syndicale mais de ce qui est au cœur de ce que vivent les salariés et de leur activité quotidienne.

Que faire concrètement ?

Le stress et plus précisément l’intensification, la souffrance au travail doivent alimenter une réflexion commune des militants dans les instances représentatives du personnel, au sein de la section syndicale. Il ne s’agit pas d’une question de spécialiste, parallèle à l’action syndicale mais de ce qui est au cœur de ce que vivent les salariés et de leur activité quotidienne.

L’accord sur le stress reconnaît certains indicateurs (niveau élevé d’absentéisme notamment de courte durée ou de rotation du personnel en particulier fondée sur des démissions, des conflits personnels ou des plaintes fréquents de la part des travailleurs, un taux de fréquence des accidents du travail élevé, des passages à l’acte violents contre soi même ou contre d’autres, même peu nombreux, une augmentation significative des visites spontanées au service médical sont quelques-uns des signes pouvant révéler la présence de stress au travail.) qu’il est utile de demander dans les instances. Mais c’est avec les salariés (et non à leur place) que nous devons élaborer des exigences sur l’organisation du travail.

Les groupes de paroles constitués par les directions ne sont pas la réponse au stress parce qu’ils orientent vers les émotions personnelles et la perception de l’individu. A l’inverse, l’impossibilité ou la difficulté pour les salariés de parler, de comprendre et d’agir sur les situations vécues dans le travail sont à l’origine de nombreux problèmes de santé… Pour parler de stress, il faut pouvoir parler de l’organisation du travail, du degré d’autonomie des salariés, et c’est donc ce travail d’écoute et de contacts avec les salariés qu’il s’agit d’intensifier.

Écouter, repérer ce qui fait souffrir, c’est se donner comme règle d’essayer de comprendre comment les salariés vivent les contradictions et les injonctions de l’organisation du travail…

Face aux directions qui vont mettre des moyens d’études et de compréhension, il faut comprendre les mécanismes du stress, et ses conséquences sur les salariés. La formation des équipes syndicales devraient donc être à l’ordre du jour. Les commissions « Formation Syndicale » et « Conditions de Travail » de Solidaires peuvent aider les équipes syndicales (sections syndicales, syndicats, fédérations et Solidaires locaux) et organiser les réflexions et formations nécessaires.