FICHE N° 25
L’obligation de sécurité de l’employeur reste une obligation de résultat

L’employeur a une obligation générale de sécurité reposant sur son pouvoir de direction, un pouvoir d’organisation et un pouvoir disciplinaire. Elle se décline, outre sa responsabilité morale, sociale, etc. en responsabilité juridique : la responsabilité civile et pénale. Cette obligation générale de sécurité est une des contreparties au lien de subordination auquel sont soumis les salariés, et qui constitue un élément protecteur fort, notamment en matière de santé au travail.
L’obligation faite à tout employeur d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail a été définie par la directive européenne du 12 juin 1989 elle-même transposée dans le Code du travail avec la loi du 31 décembre 1991.
En 2002 la Cour de cassation a conféré à cette obligation le caractère d’obligation de sécurité de résultat au travers de plusieurs arrêts. Il est à noter que cette dernière s’appliquait déjà en droit des transports1, en matière de droit médical. Et depuis cette date importante, la notion d’obligation de sécurité de résultat n’a cessé d’évoluer et de s’étendre notamment au harcèlement moral et au harcèlement sexuel.
L’obligation de sécurité de résultat en matière de travail trouve son origine du côté de la protection sociale avec la faute inexcusable de l’employeur qui ouvre droit à une indemnisation majorée. Cette notion inscrite dans la loi du 8 avril 1898 sur la réparation des accidents du travail (étendu en 1919 aux maladies professionnelles) permettait d’étendre le droit à réparation en cas de faute inexcusable de l’employeur. En effet la loi de 1898 établit que dès lors qu’un lien de causalité était présumé entre l’accident ou la maladie et le travail, les salarié·es bénéficiaient d’un système de réparation forfaitaire, mais en contrepartie de la renonciation à une action en responsabilité contre l’employeur. Mais face à une appréciation trop stricte de la faute inexcusable, en 1941 les chambres réunies de la Cour de cassation lui ont donné la définition suivante : « Attendu que la faute inexcusable retenue par l’article 20, § 3, de la loi du 9 avril 1898 doit s’entendre d’une faute d’une gravité exceptionnelle, dérivant d’un acte ou d’une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l’absence de toute cause justificative, et se distinguant par le défaut d’un élément intentionnel de la faute intentionnelle. »
La faute inexcusable quant à elle résulte aujourd’hui d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat. La faute inexcusable est un dispositif complémentaire au mécanisme de réparation forfaitaire uniquement en cas d’AT/MP et sera reconnue si l’employeur manque à son obligation de sécurité c’est-à-dire qu’il ne prend pas toutes les mesures adéquates compte tenu des risques dont il avait conscience ou dont il aurait dû avoir conscience.
Cette fiche fait le point sur l’évolution de la jurisprudence depuis les arrêts amiante de 2002 à l’arrêt Air France de 2015 et de ce qu’on peut en conclure.

Le fondement de l’obligation de sécurité de résultat : les arrêts amiante

Dans plusieurs décisions publiées le 28 février 2002 dénommées par la suite comme les « arrêts amiante », la chambre sociale de la Cour de cassation a adopté une nouvelle définition de la faute inexcusable de l’employeur, en matière de maladie professionnelle, en énonçant : « En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l’entreprise ; le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ».

La Cour de cassation a retenu que l’employeur était tenu à une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des salariés en vertu du contrat de travail le liant à ses salariés.
Les juges ont ajouté que le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Avec les arrêts amiante l’obligation contractuelle de sécurité de résultat est un nouveau critère de la faute inexcusable.

Depuis les arrêts amiante l’obligation de sécurité de résultat fondée sur le contrat de travail a été étendue aux relations de travail individuelles et collectives : indemnisation du salarié exposé et insuffisamment protégé contre le tabagisme ; obligation de sécurité de résultat sanctionnée en cas d’absence de visite de reprise après un arrêt pour accident du travail, en cas de harcèlement moral et de harcèlement sexuel, de violences, en raison d’une politique de surcharge, d’objectifs inatteignables… harcèlement moral étendu aux méthodes de gestion et d’organisation dans l’entreprise, etc.

Il est important de signaler également la portée de l’arrêt SNECMA du 5 mars 2008 qui a conduit la Cour de cassation à suspendre la mise en place d’une nouvelle organisation du travail, car de nature à porter atteinte à la santé et à la sécurité des travailleuses et travailleurs concerné·es. « L’employeur est tenu, à l’égard de son personnel, d’une obligation de résultat qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs ; qu’il lui est interdit, dans l’exercice de son pouvoir de direction, de prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés ».

L’obligation de sécurité de résultat est donc une obligation de prévention qui s’applique aussi bien à la relation individuelle de travail qu’à l’organisation du travail dans l’entreprise.

L’article L. 4121-1 du Code du travail impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et l’article L. 4121-2 de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour éviter les risques, évaluer ceux qui ne peuvent pas être évités, les combattre à la source…

Des évolutions à partir de 2015

Dans cette affaire un pilote pris en avril 2006 d’une crise de panique qui a donné lieu à un arrêt de travail a saisi ultérieurement la juridiction prud’homale aux fins de condamnation de son employeur à lui payer des dommages-intérêts pour manquement à son obligation de sécurité après les attentats du 11 septembre 2001. Ce salarié a été licencié le 15 septembre 2011 pour ne pas s’être présenté à une visite médicale prévue pour qu’il soit statué sur son aptitude à exercer un poste au sol.
Avec l’arrêt Air France du 25 novembre 2015, l’objet de l’obligation de sécurité de résultat a été modifié.

« Ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail.
À pu déduire l’absence de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat la cour d’appel qui a constaté que celui-ci avait pris en compte les événements violents auxquels le salarié avait été exposé en le faisant accueillir par le personnel médical mobilisé pour assurer une présence jour et nuit et l’orienter éventuellement vers des consultations psychiatriques, que l’intéressé, déclaré apte à quatre reprises par le médecin du travail, avait pendant plusieurs années exercé sans difficulté ses fonctions et que les éléments médicaux produits étaient dépourvus de lien avec les événements dont il avait été témoin ».
Cass.soc. 25 novembre 2015, no 14-24.444, Air France

Cet arrêt a été très commenté et analysé comme étant une évolution importante de la jurisprudence relative à l’obligation de sécurité de résultat des employeurs.

Une deuxième jurisprudence en matière de harcèlement moral est venue confirmer cette évolution alors que jusqu’à présent dans des affaires de violences et de harcèlement la Cour de cassation avait toujours jugé que l’employeur manquait à son obligation de sécurité dès lors qu’un-e salarié-e était victime de tels agissements quand bien même il aurait pris des mesures pour les faire cesser.

« Ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.
Viole les articles L. 1152-1, L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail, la cour d’appel qui rejette la demande d’un salarié en harcèlement moral sans qu’il résulte de ses constatations que l’employeur avait pris toutes les mesures de prévention visées aux deux derniers articles précités, notamment par la mise en œuvre d’actions d’information et de prévention propres à en prévenir la survenance. »
Or dans cette affaire si l’employeur avait pris les mesures pour faire cesser le harcèlement, les juges avaient relevé « l’absence d’actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral ». La Cour précise que « la seule circonstance qu’il [l’employeur] a pris toutes les mesures immédiates propres à faire cesser le harcèlement moral et qu’il l’a fait cesser effectivement, circonstance nécessaire, n’est pas suffisante. Il importe également qu’il ait pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail et notamment qu’il ait (préalablement) mis en œuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral ».
Cass.soc. 1er juin 2016, no 14-19.702.

Il est intéressant de relever que dans un arrêt de la cour d’appel de Douai du 30 novembre 2018, les juges ont établi la matérialité du harcèlement moral d’une salariée en démontrant que l’employeur n’avait pas mis en œuvre les mesures de prévention prévues aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail et notamment celles permettant d’adapter le travail à l’homme (4e principe général de prévention) en particulier en ce qui concerne la conception les méthodes de travail et de production. À cela ils ont ajouté que l’entreprise bien qu’informée des faits susceptibles de porter atteinte à la santé de la salariée n’avait pris aucune mesure pour les faire cesser.

Enfin cette position a été confirmée par un autre arrêt pris en matière de harcèlement sexuel :

« Mais attendu, […] que la cour d’appel, qui a fait ressortir que l’employeur n’avait pas pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail et, notamment, n’avait pas mis en œuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement sexuel, et qui a relevé qu’il n’avait pas pris toutes les mesures propres à mettre un terme aux faits de harcèlement sexuel dénoncés par la salariée, a pu en déduire que l’employeur avait manqué à son obligation légale résultant de l’article L. 1153-5 du Code du travail ».
Cass. soc., 13 décembre 2017, no 16-1499

Jusqu’à l’arrêt du 25 novembre 2015, seule la force majeure pouvait exonérer l’employeur de son obligation de sécurité et lui permettre d’échapper à une condamnation à des dommages-intérêts. Si l’employeur peut désormais s’exonérer de sa responsabilité lorsqu’il justifie avoir pris toutes les mesures de prévention, en matière de harcèlement il lui appartient de justifier :

  • qu’il a pris, en aval, toutes les mesures immédiates propres à faire cesser le harcèlement moral ou sexuel et qu’il l’a fait cesser effectivement ;
  • et qu’il a mis en place, en amont, une politique de prévention respectant les articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail.

Deux autres arrêts rendus en 2015 (Areva et FNAC) qui concernaient des demandes de suspension de projets de réorganisation s’inscrivent dans la continuité de l’arrêt Air France, mais aussi dans celle de l’arrêt SNECMA.

Dans l’arrêt FNAC du 5 mars 2015, la Cour de cassation a rejeté la demande de suspension de la réorganisation en considérant que les représentants des personnels « ne démontrent pas que la réorganisation de l’entreprise dans le cadre du projet “Fnac 2012” entraîne des risques psychosociaux caractérisés ou avérés pour les salariés de l’entreprise et que l’employeur n’a pas rempli ses obligations légales et conventionnelles en matière de santé et de sécurité des travailleurs de l’entreprise ».
Dans l’arrêt Areva du 22 octobre 2015 qui concernait un projet de réorganisation et d’externalisation, la Cour de cassation a rejeté les demandes des syndicats au motif que la société avait mis en place « un plan global de prévention des risques psycho-sociaux (…) ainsi qu’un dispositif d’évolution des conditions de vie au travail et de formation des managers et que cette démarche s’était poursuivie dans la durée, donnant lieu à un suivi mensuel ».
De ces deux arrêts, on peut conclure qu’en cas de litige sur un projet de réorganisation il appartient au juge de vérifier si le projet présente des risques pour la santé et la sécurité et dans l’affirmative de vérifier si l’employeur a pris les mesures utiles et efficaces pour les prévenir et les prendre en charge.

Obligation de sécurité de résultat et action syndicale

Beaucoup de jugements confirment cette obligation de sécurité de résultat en condamnant les employeurs qui n’agissent pas pour prévenir les risques ni pour mettre un terme à des situations qui mettent en danger la sécurité et la santé des travailleurs/euses (se reporter aux liens vers les jurisprudences en fin de document).
La lecture des arrêts intervenus depuis 2015 montre que le régime juridique de l’obligation de sécurité n’est pas modifié puisque l’obligation de résultat est réaffirmée. Cependant l’arrêt Air France (ainsi que les suivants) modifie le résultat attendu de l’employeur qui n’est plus défini par l’absence d’atteinte à la santé ou à la sécurité, mais par la mise en œuvre de tous les moyens pour prévenir les risques professionnels. Doit-on en déduire pour autant que l’obligation de sécurité de résultat a été assouplie et remplacée par une simple obligation de moyens comme certains l’ont écrit ?
On peut en faire une autre analyse : le déplacement de l’objet de l’obligation vers la prévention tend à renforcer le fait que l’obligation de l’employeur est bien de résultat.

L’arrêt Snecma rappelait que l’obligation de résultat de l’employeur lui imposait de prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs et c’est d’ailleurs la raison qui a conduit les juges à suspendre le projet de la direction.

De plus selon l’article L. 4121-1 du Code du travail « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». On peut en déduire que l’obligation de sécurité est avant tout une obligation légale et pas seulement contractuelle.

Ces différentes jurisprudences s’inscrivent dans « une logique de prévention » plutôt que de « réparation » dans lesquelles les juges insistent sur la nécessité de l’employeur de respecter l’article L 4121-1 fondement légal de l’obligation de sécurité ainsi que les 9 principes généraux de prévention énumérés à l’article L4121-2. L’employeur doit prévenir, informer, former et mettre en place une organisation et des moyens adaptés. Comme la Cour de cassation précise qu’il revient à l’employeur de prendre toutes les mesures préventives prévues par le Code du travail on peut en déduire que l’obligation de sécurité reste une obligation de résultat.

Il reviendra désormais aux juges du fond d’apprécier la nature des mesures prises par l’employeur pour évaluer les risques et les prévenir. Ce qui est en jeu c’est l’effectivité de la protection de la santé et de la sécurité et non un affichage de façade.

Article L. 4121-1 L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

Article L. 4121-2 L’employeur met en œuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Éviter les risques ;
2° Évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l’article L. 1142-2-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Quelques jurisprudences récentes sur l’obligation de sécurité de l’employeur extraites du bulletin « Et Voilà »


1 Arrêt Compagnie Générale Transatlantique du 21 novembre 1911 : « Que l’exécution du contrat de transport comporte, en effet, pour le transporteur l’obligation de conduire le voyageur sain et sauf à destination […] »