Depuis novembre 2001, « L’employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l’article L. 4121-3. Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l’entreprise ou de l’établissement ». (Article L4121-2)
La réglementation a été complétée à quatre reprises :
-le décret n°2008-1347 du 17 décembre 2008 oblige l’employeur à « tenir le DU à la disposition des travailleurs » (Article R. 4141-3-1) ;
-la loi du 4 août 2014 oblige l’employeur à tenir compte dans l’évaluation des risques de l’impact différencié aux risques en fonction du sexe (Article L. 4121-3).
-le décret n°2015-1885 du 30 décembre 2015 oblige l’employeur à annexer au DU les données relatives à la pénibilité (Article R 4121-1-1).
-La loi du 2 août 2021 et le décret 2022-395 du 18 mars 2022 modifient plusieurs dispositions du code du travail : consultation du CSE, conservation du document, traçabilité des risques, publication …
Pour le syndicalisme que nous voulons développer, le DU est un outil qui peut y contribuer à condition d’accorder aux travailleurs et travailleuses une place centrale. Dans les petites ou grandes entreprises, du secteur privé comme de la fonction publique, assurer la sécurité et la santé au travail, est une question primordiale.
Le D.U. un document technique de plus ? …
Dans beaucoup d’entreprises (quelle que soit leur taille), les employeurs confient sa rédaction à des professionnels. Des logiciels et des formulaires qui « permettent de remplir des cases » existent sur internet et dans le commerce. La conception de ce document est alors essentiellement « formelle », et ne contribue pas à la prévention et à l’amélioration des conditions de travail.
Sans intervention des représentant·es du personnel, les directions exécutent (aux deux sens du terme) le DU par « obligation ». L’obligation légale à produire un document permettant une évaluation « systématique et exhaustive » et traitant de l’ensemble des risques, y compris les risques organisationnels, est contraignante. Les directions seront bien souvent tentées de la remplir a minima afin de limiter au maximum les conséquences financières de la mise en place des mesures de prévention qui vont avec. On connaît aussi le manque de préoccupation et de volonté des employeurs sur les questions de conditions et de santé au travail. Au final, le document rédigé par un responsable des Ressources Humaines est très souvent éloigné des réalités vécues par les salarié·es et rédigé sans analyse concrète de leur activité, de leurs difficultés, de leurs préoccupations…
Un risque de même nature peut guetter les instances (CSE dans le privé, CSA, CSE et CST dans la fonction publique). Alors qu’un des rôles des représentant·es du personnel est de veiller à la mise en œuvre des prescriptions législatives et réglementaires, la tentation est grande de céder à la facilité en se laissant enfermer dans des discussions « techniques » ou réglementaires sur le document proposé par l’employeur, sans faire de liens avec les problèmes rencontrés par les travailleurs·euses dans les unités de travail.
… ou un outil pour l’action ?
Désormais le CSE et sa commission SSCT apportent leur contribution à l’évaluation des risques et le CSE est consulté sur le DU et ses mises à jour. Dans ce cadre le rôle des représentant·es du personnel va être de signaler les risques oubliés, de compléter le document unique présenté par l’employeur, bien ou mal fait (mais le plus souvent incomplet), car il peut constituer un moyen très important pour rendre plus visible ce que vivent les salarié·es, leurs contraintes et ainsi contribuer à développer des démarches collectives. Notre exigence est d’obtenir une évaluation des risques qui prenne en compte tous les risques, le travail concret et pas seulement la tâche telle qu’elle est imaginée et prescrite par l’employeur ou l’encadrement… Un Document Unique d’évaluation des risques doit partir de l’activité des salarié·es et porter une attention particulière au « travail réel », ce que les employeurs (et une très grande partie de la hiérarchie) sont incapables (ou ne veulent pas) faire aujourd’hui. Discuter collectivement de l’activité réelle du travail peut se révéler un puissant levier pour l’action.
Un document pour intervenir : la circulaire ministérielle (n° 6 drt du 18 avril 2002)
« L’employeur peut assurer la qualité de l’évaluation des risques et développer une culture de la prévention dans son entreprise avec les instances représentatives du personnel (CHSCT et délégués du personnel), le médecin du travail, en qualité de conseiller de l’entreprise (salariés et employeur), les compétences internes à l’entreprise, d’ordre technique et organisationnel, lesquelles peuvent se trouver dans les services de sécurité, des méthodes, des ressources humaines…
Enfin, les travailleurs eux-mêmes apportent une contribution indispensable, sachant qu’ils disposent des connaissances et de l’expérience de leur propre situation de travail et des risques qu’elle engendre. »
Le cadre fixé permet donc une prise en charge très large… les « acteurs » de l’entreprise sont invités à produire leurs contributions, évaluations et hiérarchisations des exigences de transformation. C’est de la confrontation de ces points de vue que peuvent intervenir des évolutions.
Quelques pistes pour l’action collective…
Le document unique peut être un point d’entrée pour débattre des risques liés au travail avec les salarié-es. Il faut donc recenser en section syndicale (avant la consultation du comité social), avec les adhérent-es et les autres représentant-es, les salarié-es, les éléments qui portent atteinte à la sécurité et la santé des salarié·es. On va définir à cette occasion ce que l’on voudrait ou ce que l’on veut questionner dans les conditions et l’organisation du travail, dans les méthodes ou procédés de travail.
Associer les adhérent-es est INDISPENSABLE si nous souhaitons favoriser l’émergence d’une réflexion collective. En outre, c’est choisir de ne pas laisser les membres du CSE dans un « face à face » technique avec le patron ou l’administration.
Nous devons également déterminer la façon de procéder afin de contraindre l’employeur à associer les salarié·es puisque ce sont eux et elles (dixit la circulaire) qui « disposent des connaissances et de l’expérience de leur propre situation de travail et des risques qu’elle engendre ». Rien d’intelligent ne peut être avancé si les salarié·es ne participent ou ne contribuent pas à la discussion sur la base de leur expérience du travail. La place du personnel – y compris les travailleurs temporaires et ceux des entreprises extérieures présentes sur le site -, est un élément central du dispositif.
Les textes permettent, par exemple de constituer en amont de l’établissement du Document Unique, un groupe de travail (à adapter en fonction des réalités des entreprises) composé par :
-Les personnes-ressources (animateur sécurité, …).
-Les représentants des salarié-es.
-Les salarié-es dont l’expérience sera jugée utile.
-Les services de prévention et de santé au travail.
-Les experts ou autres intervenants extérieurs.
Selon les entreprises et les administrations, ce groupe prévu par les textes peut être mis en place mais il appartient aux équipes syndicales de définir ce qui leur paraît le plus adapté afin d’éviter d’être pris au piège de réunions sans fin où les vrais sujets ne sont pas abordés. Pour Solidaires, il ne s’agit pas, dans ce groupe de travail de rédiger le DU puisque c’est de la responsabilité du chef d’Entreprise ou du chef de service… mais cela peut être l’occasion de mettre en évidence des risques insuffisamment pris en compte voire pas du tout par l’employeur. En effet c’est lui qui décide des moyens et de l’organisation du travail et il est légalement responsable de ce qui se passe dans « son » entreprise ou dans ses services… Ce qui sera en débat alors, ce sont les objectifs (par exemple: « évaluer tous les risques à partir du travail réel », la méthode (notamment pour l’expression des travailleurs-euses » et les moyens (c’est le moment d’exiger des moyens nécessaires). Là où se met en place ce groupe, l’objectif syndical sera d’impliquer la hiérarchie et la Direction dans ce qui va être engagé à l’occasion du débat sur le DU.
La prise en compte du travail réel et de tous les risques
Le document unique d’évaluation des risques professionnels répertorie l’ensemble des risques professionnels auxquels sont exposés les travailleurs et assure la traçabilité collective de ces expositions (article L4121-3-1).
Il faut exiger que l’évaluation des risques repose sur la réalité des expositions aux différents risques auxquels sont exposé-es les salarié-es d’un service, d’un atelier, d’un bureau ou d’un poste de travail. Il est essentiel d’avoir une approche des expositions dans toutes leurs dimensions qu’elle soit: technique, organisationnelle et personnelle. Il faut prendre en compte tous ces domaines d’analyse qui interagissent.
Les risques liés aux facteurs organisationnels (organisation du travail, intensité, durée et rythme de travail, pressions, relations hiérarchiques, effectif insuffisant, perte de sens du travail, mesures vexatoires ou discriminatoires, suppression des marges de manœuvre, etc.) sont à inclure dans le DU. L’employeur a désormais l’obligation d’évaluer les risques liés à l’organisation du travail.
Les risques liés à la pénibilité doivent être appréhendés globalement pour mesurer leurs conséquences sur la santé des salarié-es. L’employeur doit présenter en annexe du DU (article R4121-1-1) des informations relatives à la pénibilité retenue par le législateur (ArticleD4161-2).
En outre l’employeur doit évaluer les effets combinés de poly-expositions aux agents chimiques (Article R 4412-6)
Dès lors que le DU est en débat dans l’entreprise, dans l’administration …, c’est l’occasion de reprendre les évènements importants comme les restructurations, les accidents du travail/accidents de service, « presqu’accidents » (sans soins et sans arrêt), les incidents répétés …, avec les travailleurs et les travailleuses concerné·es. Il faut discuter des causes et comprendre comment l’organisation du travail génère des risques et de mauvaises conditions de travail, pour ensuite formuler des propositions d’action améliorant les conditions de travail.
La mise à jour du document unique
Elle est réalisée au moins tous les ans (sauf pour les TPE), lors d’une décision d’aménagement important modifiant les conditions de travail, lorsqu’une information supplémentaire relative à l’évaluation d’un risque est connue (Article R4121-2).
Par exemple, dans ce service d’accueil du public, la direction va considérer qu’il n’y a peu de risques puisqu’il faut simplement orienter ou renseigner… Mais dans la pratique, il faut par exemple régler les contentieux de client·es et d’usager·ères mécontent·es, tenir compte de l’insuffisance de moyens matériels et humains, des collègues absents pour maladie, formation, congés ou en rendez-vous, de l’outil informatique inadapté, etc.
Analyser les situations réelles c’est faire émerger le travail dans les situations tendues, inhabituelles…
Évaluer les risques en cas d’utilisation de produits toxiques, ce n’est pas seulement prendre la fiche de l’INRS et imposer aux salarié·es des protections individuelles ou collectives ou un protocole d’utilisation…
Il faut travailler avec eux et elles sur les difficultés auxquelles ils et elles sont confronté·es : les moyens qui manquent, les situations inhabituelles, les situations d’urgence qui impliquent des réactions différentes…, les mesures adaptées à mettre en place.
L’analyse des situations tendues doit être examinée dans le détail avec la participation active des salarié·es même si, pour eux et elles, il est souvent difficile d’exprimer leurs difficultés surtout face à la hiérarchie. Si on ne veut pas en rester à des conflits de personnes, il faut repérer les conflits de logique et les impasses de l’organisation du travail dans lesquelles sont pris les salarié·es. Il faut donc disposer de temps pour rencontrer, écouter, élaborer des propositions avec les salarié·es.
Le DU est un outil qui peut contribuer à faire avancer les exigences des salarié·es à condition de leur accorder une place centrale. Développer des enquêtes avec les salarié·es, permettre leur expression sur ce qu’ils et elles souhaitent changer, modifier, est une nécessité.
Avoir une approche genrée des risques professionnels
Comme le précise l’article L 4121-3 : l’« évaluation des risques tient compte de l’impact différencié de l’exposition au risque en fonction du sexe ».
Les équipes syndicales doivent se saisir de cette question pour analyser et comprendre :
-les effets différenciés du travail sur la santé physique et mentale des femmes et des hommes d’où l’intérêt de disposer de données statistiques en santé au travail contenues dans la BDESE (privé) ou la BDS (fonction publique) et d’archiver l’historique des déclarations d’accidents et de maladies professionnelles.
-les expositions différenciées des femmes et des hommes dans leurs situations de travail.
Des analyses de terrain ont en effet montré que les femmes et les hommes n’occupent pas exactement les mêmes métiers ou postes de travail, qu’ils et elles n’ont pas les mêmes possibilités d’évolution professionnelle (ce qui a des répercussions sur le type de poste occupé) et pas non plus les mêmes contraintes de temps de travail et hors travail.
Il faut intégrer la santé au travail dans les politiques d’égalité entre les femmes et les hommes avec la précision suivante : l’égalité ne saurait être pensée comme une négation des différences (physiologiques ou physiques) qui sont bien réelles.
Après l’analyse des risques, prendre des mesures de prévention adaptées
Les résultats des risques identifiés dans chaque unité de travail sont transcrits dans le document unique par l’employeur. Ils vont déboucher sur l’élaboration d’un programme annuel de prévention des risques et d’amélioration des conditions de travail (entreprises d’au moins 50 salarié·es) ou sur la définition d’actions de prévention des salarié·es pour les autres entreprises.
Ce programme fixe la liste détaillée des mesures à prendre au cours de l’année pour prévenir les effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels ainsi que, pour chaque mesure, ses conditions d’exécution, des indicateurs de résultat et l’estimation de son coût. Il faudra donc s’assurer que les mesures de prévention soient véritablement adaptées et respectent les 9 principes de prévention hiérarchisés de l’article L 4121-2.
Le programme annuel comprend aussi un calendrier de mise en œuvre…
Lors de l’avis rendu sur le rapport et le programme annuels de prévention, le comité peut proposer un ordre de priorité et l’adoption de mesures supplémentaires.
Le DUERP continuera à être utilisé pour établir le bilan annuel de l’évolution des risques (article R 4121-3) et les actions menées au cours de l’année passée qui devront détailler façon spécifique les mesures de prévention prises en matière de pénibilité. (L2312-27)
Il ne s’agit donc pas d’un document sans portée pratique mais au contraire d’une obligation pour l’employeur de mettre en œuvre « les actions de prévention, ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs » (article L 4121- 3).
En cas d’accident de travail, de service ou de maladie professionnelle le juge ira rechercher le document unique pour vérifier si le risque était bien recensé et si les mesures de prévention étaient adaptées ou pas.
En outre comme le DU est devenu un outil de traçabilité collective, il devrait permettre aux salarié·es et ex-salarié·es de démontrer la responsabilité de l’employeur dans le cadre de la reconnaissance des accidents et maladies professionnelles notamment. Mais encore faudra-t-il qu’il soit correctement rempli, d’où la nécessité pour les équipes de sensibiliser les salarié·es pour qu’ils et elles consultent le document et interviennent ensuite pour obtenir les corrections nécessaires.
La consultation du CSE sur le DUER et ses mises à jour est une opportunité pour évoquer les risques liés à l’organisation du travail, à l’environnement de travail (ambiances physiques, utilisation de produits toxiques…) dans tel ou tel service, atelier, l’inadaptation des mesures de prévention mises en face de risques.
L’avis motivé qui en résultera est l’occasion de laisser une trace écrite sur la réalité des risques professionnels, les insuffisances des mesures de protection, etc.
Comme la mise à jour du DU est au minimum annuelle, les possibilités d’intervention des équipes syndicales sur les conditions de travail s’inscrivent donc dans la durée.
L’identification des risques avec les travailleurs et travailleuses doit donc permettre d’imposer « le meilleur niveau de protection » et en définitive de débattre avec le management et les Directions de l’organisation du travail et tout ce que le personnel s’efforce de promouvoir ou de préserver…
Au bout du compte, pour les syndicalistes Solidaires le Document Unique peut être l’occasion de développer la capacité collective à penser le travail et à en discuter avec les salarié·es.
Conservation du DU et accessibilité
Le DU (et ses versions successives) est obligatoirement conservé pendant 40 ans minimum et publié sur un portail informatique à compter du 1er janvier 2023 pour les entreprises d’au moins 50 salarié·es, et au plus tard au 30 septembre 2022 pour les autres.
Le DU étant un outil de traçabilité collective des expositions aux risques professionnels, il sera accessible aux salarié·s présent·es dans l’entreprise et aux ancien·nes salarié·es. L’employeur doit informer les salarié·es de l’entreprise des modalités d’accès au DU via un avis affiché à une place convenable. Lorsque l’entreprise ou l’établissement ont un règlement intérieur, l’avis relatif au DU est affiché à la même place que celle réservée au RI.
Cadres professionnels et juridiques :
Les textes de référence
• La directive européenne du 12 juin 1989
• La loi n°91-1414 du 31 décembre 1991 sur la prévention des risques professionnels
• Le décret 2001-1016 du 5 novembre 2001 sur la création du document unique
• La circulaire d’application n°2002/6 de la direction des relations du travail du 18 avril 2002
• Le Décret 2022-395 du 18 mars 2022.
Les articles du code du travail
• L 4121-1 à 4121-5
• R 4121-1 à R4121-4
Ces articles sont applicables aux employeurs publics.
La circulaire fonction publique du 18 mai 2010