Expertise et risque grave : le risque doit être identifié et non général !

Selon l’article 4614-12 du code du travail le CHSCT peut faire appel à un expert agréé dans deux situations et notamment « lorsqu’un risque grave révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement ». Sans autre précision du code du travail c’est la jurisprudence qui a explicité au fil du temps la notion de risque grave.

En s’appuyant sur cette possibilité trois CHSCT d’une entreprise avaient décidé de conduire une expertise au titre du risque grave pour « rechercher les facteurs de risques et analyser les accidents et les conditions de travail des situations et accidents liés au stress et/ou aux situations stressantes, et aider le CHSCT à avancer des propositions de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail. »
Le TGI de Nanterre avait annulé le 29 janvier 2010 les délibérations des CHSCT en invoquant le fait que leur argumentation se contentait de faire état d’un risque général de stress lié aux différentes réorganisations mises en œuvre dans l’entreprise, sans apporter d’éléments objectifs susceptibles de caractériser un risque avéré. Après un jugement identique de la Cour d’appel de Versailles le 14 décembre 2011, la Cour de cassation a confirmé ces deux jugements avec les arguments suivants :

– il appartient au CHSCT de démontrer l’existence du risque qu’il invoque dans sa délibération, étant précisé par ailleurs que le risque grave peut être un risque sur la santé physique des salariés mais aussi sur leur santé mentale et résulter notamment d’un stress professionnel.
– que le risque grave doit relever d’éléments objectifs avérés : or les éléments fournis et examinés (bilan annuel et programme annuel de prévention des risques professionnels, expertise antérieure) ne faisaient état que d’inquiétude ou d’incertitude face à l’avenir, d’absence de dialogue au sein des équipes de travail évoquées par les salariés lors des visites médicales, que tout changement, toute réorganisation est un facteur de risque sur la santé psychique des salariés …. et donc ne permettaient pas d’établir le constat d’un risque de stress dans l’établissement ni à fortiori d’un risque grave.
– dans cette affaire le CHSCT n’a mis en avant que des observations générales sur les conséquences des réorganisations du travail et sur la nécessité d’accompagner ces changements : aucun document émanant du médecin du travail, de l’inspection du travail, aucune attestation des salariés n’ont pu confirmer l’existence du risque grave invoqué.
– que par ailleurs la direction avait mis en place des outils pour évaluer les risques psychosociaux

Dans un précédent jugement la cour de cassation (Cass.soc, 26 janvier 2012, n°10-12183) avait déjà précisé « que le risque grave propre à justifier d’une expertise s’entend d’un risque identifié et actuel » et que dans l’affaire jugée le CHSCT n’avait (entre autre) pas fait le lien entre les réorganisations évoquées et l’état de santé des salariés.

En conclusion pour décider d’une expertise il faut des faits précis, circonstanciés et vérifiés et ne pas se contenter de faire état d’un risque général.
Cette jurisprudence vient confirmer l’obligation pour les équipes militantes de préparer le plus en amont possible le recours à un expert agréé : les objectifs poursuivis, les points sur lesquels les représentants en CHSCT ont besoin d’un éclairage, l’importance toute particulière à apporter au contenu de la délibération, à la qualité de l’argumentaire…

Cass.soc., 14 novembre 2013, n°12-15206