Et après ?

« Les dirigeants s’étaient, délibérément ou non, donné les moyens de ne pas être contredits dans leur façon de percevoir la situation de l’entreprise. Pour [eux], il n’y avait au fond pas d’alternative, donc pas de débat possible, pas de contradiction audible. »
Arnaud Mias, professeur de sociologie, La raison des plus forts.

La période particulière que nous vivons avec la pandémie de la Covid-19 a remis largement en avant les questions de santé et de conditions de travail. Pendant la période du confinement, les équipes syndicales et les salarié·es poursuivant leurs activités de travail ont agi de manière forte pour que leur santé soit préservée. Nous en avons largement rendu compte dans notre dernier numéro. Jamais les droits d’alerte, droits de retrait n’ont été aussi massivement discutés et mobilisés, de la même manière les questions de conditions de travail dans les entreprises ont fait l’objet de larges débats et d’échanges nourris parmi les salarié·es. Malheureusement, sans surprise, il aura fallu souvent aller devant les tribunaux pour obliger les employeurs non seulement à mettre en place les mesures nécessaires, mais aussi à en débattre dans les instances représentatives.

Du côté du gouvernement, là aussi pas de bonne surprise, les outils de défense des travailleuses et travailleurs ne furent pas défendus, c’est un inspecteur du travail suspendu pour avoir fait son travail, une ministre obligeant le BTP à reprendre son activité ou contestant le bien fondé des droits de retrait, des ordonnances réduisant les délais de consultation et comme toujours s’attaquant in fine aux droits des salarié·es pour mieux permettre aux profits de se poursuivre, malgré tout. En ce sens, cette période aura montré au-delà des discours une continuité destructrice et une absence complète de protections collectives. Tout fut renvoyé aux responsabilités individuelles avec un discours infantilisant et autoritaire.

Le monde d’après ?

Tel qu’il se profile le monde d’après ressemble comme une goutte de gel hydroalcoolique au monde d’avant. Le 15 juin dernier s’est ouvert une négociation nationale interprofessionnelle sur la santé au travail. Quelques jours avant, le ministère du Travail a transmis un document d’orientation, très inquiétant qui s’appuie sur les conclusions du rapport de la députée Charlotte Lecocq (voir le bulletin Et Voilà n° 63) et vise à :

  • dépénaliser les infractions en matière de santé et sécurité au travail, soi-disant pour renforcer la relation de confiance entre l’inspection du travail, les préventeurs et les employeurs… ;
  • assouplir la réglementation (suppression du document unique d’évaluation des risques, de la fiche d’entreprise du médecin du travail, suppression de certaines formations obligatoires…) ;
  • remplacer les obligations réglementaires par des règles négociées entreprise par entreprise ;
  • supprimer l’obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l’employeur.

Dans la foulée, le 22 juin 2020, l’Assemblée nationale déconfinée et masquée a adopté une résolution présentée par la même députée Charlotte Lecocq, et pas moins de 288 membres du groupe La République en marche et apparentés, « appelant à faire de la France l’un des pays les plus performants en matière de santé au travail. » Si le titre de la résolution peut paraître alléchant, le contenu ne correspond pas aux besoins des travailleur·es. Toujours les mêmes techniques de DRH…

Ainsi, la première ambition concerne principalement le fait d’encourager les entreprises « à diffuser les messages de santé publique portant par exemple sur les addictions, le sommeil, la nutrition », une autre manière de dire que les vrais problèmes de santé des travailleur·es résulteraient de circonstances extérieures à l’activité de travail. Le texte ose même affirmer qu’« à titre d’exemple, l’activité physique et sportive au travail doit être facilitée, car il a été démontré qu’elle avait un impact positif tant pour la santé des salarié·es, que pour la dynamique de l’entreprise. » Nous revoilà renvoyés à de lointaines époques hygiénistes et au contrôle des travailleuses et travailleurs.

Seconde ambition, entériner une bonne fois pour toutes « la pénurie de médecins du travail », qui bénéficie à ce jour d’une garantie formelle d’indépendance, pour accélérer leur disparition au profit d’autres professionnels de santé travaillant sous la dépendance directe des directeurs de services de santé au travail piloté de fait par le patronat. Cette résolution indique surtout la volonté du groupe LREM de « légiférer d’ici la fin de la législature sur le sujet de la réorganisation de la gouvernance et du fonctionnement des institutions en charge de la santé au travail ». Débarrassons-nous de manière définitive de toute indépendance en profitant de cette pénurie bien opportune.

Face à cela le collectif initié en 2015 (regroupant notamment des organisations syndicales dont Solidaires, des juristes, des professionnels de la santé au travail, etc.) « Pour ne plus perdre sa vie à la gagner » s’est réuni et se prépare à conduire les batailles indispensables en reprenant nos nombreuses revendications reprises en décembre dernier dans le texte collectif « Après France Télécom : de nouveaux droits pour la santé au travail et l’environnement « auquel il faut ajouter une urgence : le rétablissement de comités d’hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) avec des moyens renforcés, dont un droit de véto en cas de risque grave .

https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/201219/apres-france-telecom-de-nouveaux-droits-pour-la-sante-au-travail-et-l-environnement