Chevron/Texaco en Équateur : Décision d’un tribunal d’arbitrage commercial en faveur de l’impunité des crimes des multinationales

La Campagne mondiale pour revendiquer la souveraineté des peuples, démanteler le pouvoir des sociétés transnationales et mettre fin à leur impunité, coalition de plus de 200 mouvements sociaux, réseaux, organisations et communautés affectées par les activités des sociétés transnationales (STN) dans différentes régions du monde, est extrêmement alarmée par la récente sentence arbitrale qui confirme l’impunité des crimes commis par la société transnationale Chevron en Équateur.

Le 7 septembre 2018 a été rendue publique la sentence en faveur de la multinationale pétrolière Chevron et de sa filiale Texaco, émise par un tribunal d’arbitrage de la Cour Permanente d’Arbitrage de la Haye.

Texaco, prédécesseur de Chevron en Équateur, a effectué des forages pétroliers dans ce pays pendant 26 ans (de 1964 à 1992). Pendant ces années l’entreprise a déversé au moins 1.500 millions de gallons d’eau contaminée qui ont empoisonné l’environnement et affecté les communautés paysannes et peuples autochtones. En d’autres termes, les activités de cette société transnationale ont causé l’un des pires cas de violations des droits humains en Équateur. En 1993, revendiquant leurs Droits Constitutionnels et droits humains, les peuples et communautés affectés ont intenté une action en justice contre Texaco. Après 20 ans de procès devant les tribunaux nationaux et étrangers, Chevron/Texaco a été reconnu coupable par les tribunaux équatoriens (sentence ratifiée par la Cour Suprême de Justice) de dommages environnementaux. Le jugement condamne Chevron à verser 9,521 millions de dollars américains à un fonds fiduciaire destiné à réparer les dommages environnementaux, sociaux et culturels. En 2018 la Cour Constitutionnelle de l’Équateur a de nouveau validé ce verdict.

En 2009, Chevron a poursuivi l’Équateur devant des tribunaux internationaux en arguant que le gouvernement de l’Équateur aurait dû mettre fin au procès mené par les communautés paysannes et peuples autochtones, connu sous le nom de «Lago Agrio». Selon les arguments de Chevron, l’entreprise avait été déchargée de ses responsabilités en matière d’assainissement de l’environnement par un accord signé avec le gouvernement de Sixto Durán Ballén en 1995. De plus, la société a invoqué rétroactivement le Traité bilatéral d’investissement (BIT) entre les États-Unis et l’Équateur, qui est entré en vigueur en 1997, alors que la société avait quitté le pays en 1992.

Bien que le montant final que l’Équateur doit verser à Chevron ne soit pas encore connu, les répercussions de la décision de la Cour d’arbitrage sont très graves :

1. Cette sentence récuse le jugement historique émis contre l’entreprise pétrolière en 2011, condamnant la société pour les crimes commis par les opérations de Texaco.

2. La sentence arbitrale va à l’encontre de la séparation des pouvoirs de l’État. Le tribunal exige que le gouvernement équatorien empêche l’exécution du jugement concernant le cas Lago Agrio.

3. Trois arbitres privés (qui composent la Cour d’arbitrage), qui répondent à des intérêts commerciaux, ont annulé une demande équitable de plus de 20 ans présentée par un large groupe de plaignants appartenant aux communautés paysannes et peuples autochtones affectés par les déchets toxiques de la pétrolière.

4. Le jugement des arbitres a tissé un voile d’impunité permettant non seulement que cette société pétrolière transnationale échappe à la condamnation équatorienne et n’indemnise pas les milliers de victimes, mais aussi que Chevron/Texaco obtienne une somme importante provenant de fonds publics équatoriens à titre de compensation.

Cette affaire démontre une fois de plus que le Système de règlement des différends entre investisseur et États (RDIE ou ISDS en anglais) est un système qui place la protection de l’investisseur et du profit privé au-dessus du droit à la vie. Ce procès constitue une preuve supplémentaire de l’impunité judiciaire que les accords de commerce et d’investissement offrent aux sociétés transnationales, leur permettant de violer les droits humains et détruire l’environnement sans en payer et assumer les conséquences, ignorer le pouvoir judiciaire des États souverains, et agir contre les institutions publiques et l’intérêt public. A cet égard, il est important de rappeler que l’Équateur est entré dans l’histoire en incluant l’article 422 de sa Constitution de 2008, qui interdit le transfert de la compétence de l’État aux systèmes d’arbitrage internationaux, dans les accords contractuels ou les différends commerciaux, entre l’État et des personnes physiques ou morales.

L’Équateur a soutenu activement le processus visant à construire un traité contraignant au sein des Nations Unies, en présidant le Groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée sur les sociétés transnationales (STN) et autres entreprises commerciales dans le domaine des droits de l’homme (OEIGWG). Ce processus fait suite à la Résolution 26/9 de 2014 du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, qui donne à ce groupe de travail le mandat d’élaborer un instrument international juridiquement contraignant pour réglementer, dans le cadre du droit international des droits de l’Homme, les activités des sociétés transnationales et autres entreprises.

La Campagne mondiale s’est engagée activement dès le début de ce processus et a toujours insisté sur le fait que le Traité contraignant doit inclure des mesures spécifiques pour éviter des situations telles que celle à laquelle les communautés affectées par Chevron en Équateur sont confrontées aujourd’hui, ce qui constitue une menace majeure et un précédent au niveau international. Conformément à la proposition de Traité élaborée par la Campagne mondiale en 2017, les États ne devraient en aucun cas accepter des traités qui les exposent à des poursuites judiciaires de la part des STN et qui affectent les obligations des États en matière de respect, de protection et de mise en œuvre des droits humains. Dans une récente lettre ouverte adressée à tous les États, la Campagne mondiale a fait part de ses préoccupations concernant l’avant-projet (draft zéro) récemment publié par l’Équateur et qui sera négocié lors de la 4ème réunion de l’OEIGWG du 15 au 19 octobre 2018 à Genève. En ce sens, la Campagne appelle tous les États à s’engager dans le processus et à parvenir à un Traité contraignant qui permette de répondre de manière adéquate aux attentes de justice des communautés et des peuples affectés par les activités des STN.

La Campagne mondiale appelle l’Équateur à reprendre et rejeter cette nouvelle application du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et État (ISDS), qui place l’intérêt des sociétés transnationales au-dessus des droits humains. La Campagne mondiale exhorte l’État équatorien à garantir le respect des droits humains et des droits constitutionnels des 30.000 personnes affectées représentées par l’Union des communautés affectées par Chevron/Texaco (UDAPT). La Campagne demande que justice soit faite en faveur des victimes de Chevron et que la résolution du procès de la Cour de justice nationale de l’Équateur de 2013 soit appliquée contre Chevron/Texaco. Enfin, ces dernières années ce cas a suscité une importante mobilisation internationale, une immense solidarité internationale avec les communautés affectées. Aujourd’hui plus que jamais, la Campagne appelle à élargir et à renforcer la solidarité internationale avec l’Union des communautés affectées par Chevron en Équateur (UDAPT).