Au ministère du Travail, c’est double peine : Un Plan de Suppressions d’Emplois massif – Une mise au pas des services. Le CHSCT peut aider les équipes syndicales pour en analyser les conséquences

34-sud-travail-aff-socLa majorité dite socialiste arrivée en 2012 n’aura pas mis longtemps pour s’attaquer, entre-autres, au ministère du travail (on aurait aimé dire le ministère des travailleurs).
Dès le mois de décembre 2012, le ministre du travail de l’époque, Michel Sapin, annonce son projet baptisé « Ministère fort ». « Fort » de quoi ? De la suppression du corps des Contrôleurs du travail ? De l’externalisation des services Emploi et de la suppression des moyens pour les quelques services restants ? Du droit du travail sans cesse élagué au profit des chefs d’entreprise ? De la suppression d’effectifs dans l’ensemble des corps et des services de son ministère? De la démocratie sociale interne sans cesse bafouée avec un cynisme assumé ? Difficile de le croire.

Alors, peut-être, « fort » de la caporalisation de l’inspection du travail imaginée par les gouvernements successifs depuis quinze ans et mise en place par ce nouveau cabinet, « fort » de la nouvelle ligne hiérarchique renforcée par de nouveaux chefs recrutés en nombre, « fort » des graves atteintes au caractère généraliste de l’inspection du travail, et par-dessus tout lourd de menaces sur l’indépendance de ses agents. C’est pour l’essentiel ce que recèle ce plan aux funestes promesses.
Très vite, les organisations syndicales internes représentées en CHSCT (en tout cas, celles dignes de ce nom, en l’occurrence CGT, SNUTEFE-FSU, SUD Travail) s’inquiètent de ce projet qui vient s’ajouter aux précédentes réformes qui ont déjà abîmé ce ministère, et imposent en fin d’année 2013, en CHSCT ministériel, le vote d’une expertise afin d’apporter un éclairage extérieur sur ces décisions qui risquent d’avoir des conséquences évidentes sur la santé et les conditions de vie au travail des agents, notamment :

  • Sur les exigences et l’intensité du travail
  • Sur les exigences émotionnelles
  • Sur leur autonomie, leurs marges de manœuvres et leur latitude décisionnelle
  • Sur la dégradation des rapports sociaux et des relations individuelles et collectives de travail
  • Sur le sens donné à leur travail et le risque de conflits de valeur
  • Sur leur devenir professionnel menacé (cf. la disparition programmée sur 7 ans du corps des contrôleurs du travail et tous les agents qui ne font pas partie de l’inspection du travail).

Les représentants du personnel demandent que l’expertise identifie en quoi les réformes ainsi engagées par le ministère, et en regard de chacun de ces items, comportent des risques pour la santé, physique et mentale, et la sécurité des agents.

Enfin, il est demandé à cette expertise de dégager des pistes de réflexions et de proposer des réponses adaptées (mesures de prévention notamment).
L’expertise ainsi revendiquée dans un CHSCT de l’administration d’Etat trouve sa légitimité dans l’article 55 du décret n°82-453 du 28 mai 1982 modifié par le décret n°2011-774 du 28 juin 2011.
Après maintes réunions préparatoires dans lesquelles il aura fallu batailler en intersyndicale pour sauvegarder les moyens d’intervention de l’expert (à ce propos, nous rappelons la nécessité d’une forte vigilance lors de l’élaboration du cahier des charges soumis au cabinet d’expertise), la procédure de marché public (*) fera ressortir le cabinet Alternatives Ergonomiques pour conduire cette analyse en quatre mois, à partir de la désignation jusqu’à la remise du rapport.
(* Le risque sous-jacent à la mise en œuvre de cette procédure de marché public –dont le caractère prétendu obligatoire en ce cas par l’Administration est sujet à contestation- est de permettre à celle-ci, sous couvert d’impératifs financiers liés à cette procédure, d’imposer le choix de cabinets d’expertise au rabais, ou trop proches d’elle. Nos craintes ne se sont heureusement pas vérifiées, le cabinet Alternatives Ergonomiques ayant accompli un travail de qualité, en toute indépendance. Mais le risque demeure : en l’occurrence, la direction du ministère était si pressée de mettre en œuvre cette réforme que l’appel d’offres a été très tardif, d’où un très faible nombre de réponses, dont celle d’Alternatives Ergonomiques que la Direction n’a pu que valider, pour ne pas perdre de temps).
L’enquête d’Alternatives Ergonomiques s’appuie sur des études documentaires et des analyses (Enquêtes et expertises RPS antérieures, étude universitaire sur les métiers de l’inspection du travail, « Doléances » exprimées par les agents en 2012, à l’initiative de SUD et de la CGT, sur leurs conditions de travail dans les services déconcentrés du ministère du travail de plusieurs dizaines de départements), sur des entretiens professionnels avec des agents de diverses catégories, sur des observations de situations de travail.
En quatre mois, les analystes du cabinet d’expertise ont réalisé la prouesse de dresser un tableau fidèle de la situation vécue par les agents du ministère du travail et des craintes de ceux-ci pour leur avenir, et pour l’avenir de leurs missions de service public, de leur métier et de leurs services. Plus encore, Alternatives Ergonomiques a réussi un travail de prospection et d’analyse de ce qui attend les agents si le pouvoir politique décidait de maintenir sa réforme (réforme en cours de réalisation actuellement).
Tout d’abord, les expertes se sont interrogées sur la pertinence de remplacer ce qui fonctionne et ce qui tient la route malgré les difficultés constantes (liées notamment à des années de RGPP et de MAP) par des réorganisations aléatoires installées dans la précipitation.
Elles ont mis utilement en opposition l’absence de la hiérarchie centrale en soutien aux agents, à la capacité de ces derniers à s’organiser et à travailler dans leurs collectifs et s’interrogent sur la pertinence de casser ces collectifs au profit d’une organisation hiérarchisée.
Elles constatent, avec un étonnement non dissimulé, que ministre et hauts fonctionnaires proclament leur ambition de répondre aux problèmes des agents par leur réforme alors qu’ils n’ont aucun diagnostic à présenter sur ces prétendus problèmes et, plus globalement, sur l’état de leurs services.
Outre ce risque de dévastation des structures existantes, ce sont les alertes posées par les analystes dans le domaine de la santé au travail qui sont les plus préoccupantes. Elles démontrent par de nombreux exemples que tous les agents sont affectés par cette réforme dans leur quotidien, tant dans leurs conditions de travail que dans leur santé.

Leur bilan est accablant pour le ministère : « La réforme est une décision politique prise dans la précipitation sans étude préalable sur les conséquences en matière d’organisation, d’avenir professionnel, de conditions de travail et surtout de santé au travail ».
Personne n’aurait mieux pu résumer l’absurdité de cette entreprise délibérée de destruction, dans laquelle on cherche en vain ce qui pourrait justifier l’appellation de « ministère fort »
Cette expertise de 67 pages aura été et demeure un outil efficace pour faire porter, et apporter, un regard extérieur dans un ministère où la hiérarchie n’écoute absolument plus la parole syndicale oppositionnelle (les trois organisations syndicales précitées). En introduisant ces personnes extérieures, la hiérarchie du ministère du travail a été obligée d’écouter d’autres personnes qu’elle-même et a permis aux organisations syndicales opposées à la réforme de bénéficier d’une parole « experte » pour soutenir leurs alertes et revendications.

Cette réorganisation est violente, sur le fond et dans la forme. Sa mise en œuvre par le ministère du travail relève d’un passage en force permanent : un des outils utilisés, et plus que jamais depuis le lancement de cette mise au pas, est la décrédibilisation de la parole syndicale, taxée par la hiérarchie d’ « idéologique », notamment auprès des agents et de la presse.

Cette expertise, commandée par le CHSCT (et d’ailleurs très mal reçue par la DRH), nous a permis, en crédibilisant nos analyses et en contribuant à valider nos actions de résistance notamment auprès des salariés, des médias et de nos propres collègues, de rétablir en partie le rapport de forces en notre faveur, et nous a permis de retourner cette violence verbale et symbolique en démontant la logique et le discours du ministre-patron.

En outre, nous avons cité les principales analyses de cette expertise dans les recours contentieux que nous avons déposés devant le Conseil d’Etat, notamment pour dénoncer le refus catégorique du ministère du travail de consulter le CHSCT ministériel sur… la réorganisation elle-même !