Amisol : « non-lieu » pour la mort ouvrière

jussieu_manifA quand la création d’un délit pour « crime industriel » ?
Le 5 février 2015, dans le cadre du procès pénal engagé à l’initiative des victimes ouvrières de l’usine d’amiante AMISOL, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris a statué par un « non-lieu », qui met Claude Chopin, dernier PDG de cette entreprise, à l’abri des poursuites pour homicide involontaire. « En l’absence de lien de causalité certain, de faute délibérée et de faute caractérisée, il ne résulte pas de charges suffisantes contre Claude Chopin d’avoir commis des blessures et un homicide involontaire », a estimé la chambre de l’instruction dans son arrêt.

Ainsi subsisterait-il un doute sur le lien de causalité entre le mésothéliome des victimes d’Amisol et l’amiante manipulé à mains nues par les ouvrières et ouvriers de cette entreprise ? Ainsi les infractions caractérisées au Code du travail, sanctionnées par un procès‐verbal de l’inspecteur du travail, ne constitueraient pas pour la chambre d’instruction, une « faute caractérisée » pour celui qui, en 1973, a assumé l’héritage industriel de sa famille, lorsqu’il en est devenu le PDG. Pouvait-il  ignorer l’existence du PV de l’inspecteur du travail ? Non. Peut-il décliner toute responsabilité dans la mort ouvrière chez Amisol ? Non. Jean-Paul Teissonnière, avocat des victimes d’Amisol, a précisé l’intention des victimes de se pourvoir en cassation. La lutte continue pour que l’institution judiciaire se prononce enfin sur les crimes industriels.

Depuis plus d’un siècle, industriels, actionnaires et employeurs ont acquis un « permis de tuer » au nom du profit, avec la complicité du pouvoir politique. Comme le souligne Jean-Paul Teissonnière : « ce “ permis de tuer ” est d’autant plus toléré que cette forme moderne de criminalité démultipliée par la puissance de l’industrie ne suppose chez ses auteurs au sens propre du terme aucune intention de nuire à l’égard d’aucune victime en particulier. L’élément intentionnel dans sa forme classique y disparaît au profit du simple consentement. Ignoré des lois pénales, ce “ consentement meurtrier ” doit enfin être énoncé comme un interdit majeur ».

En 2012, à l’occasion du refus de la légion d’honneur par Annie Thébaud-Mony, nous avions porté à la connaissance de Cécile Duflot, alors ministre, une proposition de loi pouvant s’inscrire dans le livre V du Code pénal, qui, au lieu de s’intituler « Les autres crimes et délits », deviendrait « Les crimes et délits mettant en cause l’éthique biomédicale, la santé publique et l’environnement » (Proposition 12 – pour la condamnation pénale des crimes industriels). Nous l’avons également porté à la connaissance de  parlementaires. Cette proposition a été totalement ignorée.

Face à l’obstination judiciaire de déni de justice pour les victimes ouvrières d’Amisol, les associations Henri-Pézerat et Ban Asbestos France en appellent aux élus européens et français pour que ces crimes et délits soient enfin inscrits dans la loi. Nous sommes prêts à travailler avec tous les parlementaires qui accepteraient enfin de considérer l’urgence de briser l’impunité patronale et actionnariale face à la mort ouvrière.