Amiante : un même combat pour tous les travailleurs

La nouvelle réglementation (décret n°2012-639 du 4 mai 2012) est-elle adaptée au risque d’exposition à l’inhalation de fibres d’amiante ? L’administration l’affirme au motif qu’elle permet désormais de décompter les fibres fines. Malheureusement, elle a décidé de reporter à 2015 l’abaissement de la valeur limite d’exposition à 10 f/l et d’exclure les fibres courtes. Pour Solidaires, l’Etat est défaillant et met en danger à la fois les travailleurs de l’amiante et les agents de contrôle dans le cadre de leur mission.

Revenons en arrière…

Il aura fallu plus de cent mille morts et quatre-vingt dix années de lente prise en compte des remontées de terrain1 pour que l’État se décide à interdire la vente, la production et l’utilisation de matériaux contenant de l’amiante par décret du 7 février 1996. Les citoyens ont alors pu découvrir, notamment, que depuis plusieurs années, le ministère du travail laissait tranquillement les industriels de l’amiante s’entendre entre eux pour définir la politique que l’État menait pour préserver la santé des populations et des travailleurs . Pire, il favorisait cette entente en déléguant un de ses fonctionnaires pour assister aux réunions de ce Comité Permanent Amiante. Une instruction est en cours depuis plusieurs années afin d’enquêter sur d’éventuelles responsabilités pénales de représentants de l’Etat.

Ce n’est pas qu’une question de taille

En application du décret de 1996, l’évaluation du risque présenté par l’exposition à l’amiante ne se basait que sur le décompte des fibres d’une certaine taille, en application d’un consensus « scientifique » établi dans les années 60. Seules les fibres longues étaient alors décomptées, et on ignorait les fibres dites fines et courtes car elles étaient présumées non dangereuses.

En 2005, suite à une étude indépendante, le ministère du travail a demandé à l’AFSSET de se faire préciser les risques liés à l’inhalation de ces fibres courtes et fines. Le rapport rendu en février 2009 va confirmer l’effet cancérogène « important » des fibres fines, établir que « l’existence d’un effet cancérogène des fibres courtes d’amiante ne peut pas être écartée au vu des connaissances scientifiques actuelles », et poser la nécessité de décompter systématiquement ces fibres fines (on occultait précédemment 85% des fibres en ne comptant que les fibres longues).

Dans un avis d’août 2009 devant servir à l’État pour fixer un futur seuil d’exposition censé garantir la santé et la sécurité des salariés, la même agence (désormais dénommée ANSES) précise qu’« aucun seuil d’effet sanitaire ne peut être déterminé chez l’homme pour les fibres d’amiante quels que soient leur nature ou leur caractère dimensionnel ». En clair, il n’y a pas de seuil en-deçà duquel l’amiante ne serait pas cancérogène. En conclusion, selon l’Anses, la valeur de 10 fibres par litre ne saurait constituer qu’une première étape vers la réduction du risque d’exposition à l’amiante et recommande même, « pour ce puissant cancérogène sans seuil, de retenir une valeur cible de 0,03 fibre par litre ».2 Elle va également préciser les conséquences en terme de surmortalité de l’adoption de 3 valeurs limites :
• 1 décès additionnel par cancer du poumon ou de mésothéliome pour 10 000 personnes pour une exposition de 3 fibres par litres sur 8 heures.
• 1 décès additionnel par cancer du poumon ou de mésothéliome pour 100 000 personnes pour une exposition de 0,3 fibres par litres sur 8 heures.
• 1 décès additionnel par cancer du poumon ou de mésothéliome pour 1 000 000 de personnes pour une exposition de 0,03 fibres par litres sur 8 heures.

Après deux années d’intenses réflexions et de consultation du lobby des désamianteurs, que décide l’État ? On reste à 100 fibres au litre pendant trois ans supplémentaires ! Faites le calcul, selon l’Anses cela fait une probabilité d’un décès additionnel par cancer du poumon ou de mésothéliome pour 330 personnes ! Mais rassurez-vous, l’État a prévu de baisser le seuil à 10 fibres par litre en 2015, cela ne représentera plus alors qu’un décès supplémentaire par cancer pour 3300 personnes ! On est loin, très loin du 0,03 fibres par litre préconisé par l’ANSES…

Jean Denis COMBREXELLE, directeur général du travail et décisionnaire en la matière, explique, sans rire, que c’est pour des raisons techniques qu’il reporte à 2015 l’abaissement de la valeur limite « parce que les entreprises ne sont pas prêtes »3, sacrifiant ainsi la santé de milliers de travailleurs.

L’alternance politique n’a malheureusement pas permis de changer cette situation alors même qu’un député socialiste avait déclaré en février 2012, à l’Assemblée Nationale, qu’ « il ne peut être envisagé de laisser les salariés et les agents de contrôle confrontés à ce risque [exposition 100 f/l] pendant 3 ans ». En conséquence, il avait demandé au ministre s’il envisageait « de prendre une décision de moratoire pour arrêter les chantiers à risque »1. Neuf mois plus tard, on l’attend toujours ce moratoire….

Et pour les agents de contrôle ? L’État patron se comporte comme… un patron !

Les agents de l’Inspection du Travail, exposés aux fibres d’amiante dans l’exercice de leurs fonctions, sont soumis aux mêmes dangers. Après plusieurs mois de silence, le ministère du travail, en sa qualité d’employeur, a produit une note en janvier 2012 dans laquelle il prévoit que les agents doivent aller faire des contrôles en zone malgré la surmortalité potentielle engendrée par le seuil de 100 fibres au litre et l’absence de masques adaptés.

La protection des travailleurs comme des agents doit l’emporter sur toute autre considération d’ordre économique, c’est pourquoi le report de l’abaissement de la valeur limite n’est pas admissible.
Pour ces raisons, les associations BAN ABESTOS, ARDEVA Sud Est, ADDEVA 81, Caper Auvergne et l’Union syndicale SOLIDAIRES ont demandé l’annulation du décret du 4 mai 2012 devant les juridictions administratives en juillet 2012.
En attendant l’issue de ce recours, nous exigeons un moratoire immédiat pour l’ensemble des opérations sur des matériaux amiantés qui présentent des risques et la définition de nouvelles réglementations conformes aux recherches scientifiques actuelles.

1 Denis Auribault, inspecteur départemental du travail à Caen, publie en 1906 un rapport dénonçant la « forte mortalité des ouvriers dans les filatures et dans les usines de tissage d’amiante ».
2 De plus, dans son avis d’août 2009, l’ANSES préconise de limiter à 15 min la concentra- tion correspondant à 5 fois la VLEP sur 8h (10f/l) afin de limiter l’importance des niveaux d’exposition sur de courtes durées.
3 Le Monde, 16 mars 2012 dans un article intitulé « De nouvelles normes attendues pour l’exposition aux fibres d’amiante »
4 http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-1737QOSD.htm