Accident du travail : silence, des ouvriers meurent

Qui êtes vous et depuis quand avez-vous commencé ce recensement des accidents du travail et pourquoi avez-vous décidé de le lancer ?

Je m’appelle Matthieu Lépine, je suis enseignant et j’ai 32 ans. Je ne suis pas un spécialiste de la question des accidents du travail. Paradoxalement c’est Emmanuel Macron qui m’a fait me pencher pour la première fois sur ce sujet. Celui-là même qui, malgré les plus de 500 morts et 600 000 victimes d’accidents du travail chaque année, estime que le terme de « pénibilité » ne peut être accolé au mot travail car « il induit que le travail est une douleur. » Celui-là même qui affirme que « la vie d’un entrepreneur est plus dure que celle d’un salarié » bien que les ouvriers soient 2,5 fois plus exposés aux risques d’accident que les cadres. Suite à ses déclarations, j’ai commencé à m’intéresser à la question des accidents du travail, il y a maintenant un peu plus de deux ans. Rapidement, face à l’importance des cas, m’est venue l’idée d’opérer une sorte de recensement, d’abord une fois par mois, puis chaque jour depuis le 1er janvier 2019.

A combien êtes-vous pour effectuer ce travail et comment récupérez-vous les informations ?

Je suis seul à effectuer ce travail. C’est une entreprise chronophage et même parfois anxiogène. Il m’est d’ailleurs arrivé à plusieurs reprises d’arrêter puis de reprendre. C’est la mort d’un jeune livreur UberEats de 18 ans, début janvier 2019, qui m’a fait me relancer dans cette activité de veille citoyenne sur les accidents du travail. J’espère pouvoir tenir le rythme un maximum de temps pour continuer d’informer et de sensibiliser à mon humble échelle. Si la Carsat publie chaque année des données assez précises sur le sujet, j’essaye de mon côté de donner davantage de corps (je ne sais pas l’expression convient vraiment) à ces statistiques. Derrière les chiffres, il y a avant tout des drames humains, des vies brisées, des familles déchirées. Commenter une fois par an le bilan morbide de l’année passée ne peut pas suffire. Avec mes publications quotidiennes, j’essaye de faire en sorte que le sujet reste sur le devant de la scène. A l’heure où je m’exprime j’ai déjà recensé plus de 170 accidents graves ou mortels depuis le début de l’année. Mes données sont malheureusement bien en deçà de la réalité. L’essentiel des informations que je consulte vient de la presse locale ou régionale. Des sources qui ont le mérite d’exister mais qui ne transmettent que des données imprécises. Pour les récupérer, j’entre plusieurs fois par jour une dizaine de mots clés dans des moteurs de recherche. Grace à la bonne audience du compte twitter, je reçois aussi régulièrement des témoignages ou des alertes. Cela m’aide beaucoup car comme je l’ai déjà dit, le travail de recherche est long et fastidieux.

Quels outils utilisez-vous pour faire connaitre ce recensement et pourquoi ceux-ci ?

A l’origine, j’ai débuté ce travail sur mon blog, avant de créer une page Facebook puis plus récemment un compte twitter (Accident du travail : silence des ouvriers meurent). L’utilisation des réseaux sociaux permet une diffusion et un partage de l’information bien plus rapide. M’inspirant de ce que fait David Dufresne sur les violences policières, j’interpelle dorénavant à chaque accident grave ou mortel le ministère du Travail. L’utilisation de twitter m’a permis de faire connaitre mon activité aux journalistes, très présents sur cette plate-forme. Je remercie d’ailleurs celles et ceux qui se sont intéressés à ma démarche. Globalement, au-delà de quelques médias comme Bastamag par exemple, la presse donne peu d’importance à ce sujet. Elle lui réserve uniquement une petite place dans la rubrique « faits divers ».

Quels sont les événements ou constats qui depuis le début de ce recensement vous semblent le plus remarquables ?

Deux dramatiques accidents début janvier m’ont particulièrement marqué et justement poussé à reprendre ce travail de recensement. D’abord, la mort d’un ouvrier auto-entrepreneur de 68 ans à Versailles. Ensuite, celle de Frank Page, ce jeune livreur UberEats de 18 ans évoqué précédemment. Voilà deux drames qui sont les symboles de la précarisation des conditions de travail et des conséquences que cela induit. Les dernières données de la Carsat pointent d’ailleurs une augmentation de la sinistralité dans l’intérim. La mort en 2017 de Quentin Zaroui-Bruat, un jeune cordiste intérimaire de 21 ans, en est malheureusement l’illustration. Pour conclure, puisqu’on m’interpelle souvent sur l’absence de femmes dans mon recensement, je tiens à rappeler que s’il est vrai que les accidents les plus graves touchent essentiellement des hommes (ouvrier du BTP…), le secteur des services à la personne, où beaucoup de femmes sont employées, reste l’un des plus accidentogènes.


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