Une vision syndicale d’ailleurs :
l’exemple de la Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec

Texte de Nina Tarhouny, Doctorante en Droit de la santé au travail.

Au Québec, l’action syndicale ne bénéficie qu’à ses propres membres. Les salariés non syndiqués ne sont donc pas directement visés par les avancées, accords et aides des syndicats.

La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) est la plus grande centrale syndicale au Québec avec plus d’un demi-million de membres et 40 syndicats nord-américains, canadiens et québécois affiliés. La FTQ est présente dans tous les secteurs, public et privé. Son principal objectif est de promouvoir les intérêts professionnels de ses affiliés et d’œuvrer à la promotion sociale, économique, culturelle et politique des travailleurs et travailleuses du Québec.

Le réseau des délégués sociaux : un réseau d’entraide syndical

La FTQ s’est dotée, dès 1984, d’un réseau d’entraide animé par quelques 2500 délégués sociaux qui sont des travailleurs formés spécialement pour aider leurs membres faisant face à des difficultés, qu’elles soient d’ordre professionnel ou personnel : problèmes d’épuisement professionnel, de santé mentale, d’alcoolisme, de toxicomanie, d’endettement, problèmes familiaux, etc.

Les délégués et coordonnateurs sociaux sont reconnus par l’employeur et interviennent de plusieurs façons auprès des travailleurs. Les coordonnateurs du réseau d’entraide constituent une force d’intervention en temps de crise qu’il s’agisse d’accident grave, de suicide, d’une restructuration ou d’une fermeture de site. Leur rôle est essentiellement celui de redonner la parole aux travailleurs pour mettre des mots sur les maux.

Cette démarche d’écoute et d’accompagnement des travailleurs est au cœur de l’activité du réseau. Elle permet à tout membre en difficulté de ne pas rester seul face à ses problèmes et de retrouver le soutien du collectif lorsque l’organisation du travail tend vers sa destruction. L’approche humaine est ici mise au centre de l’action syndicale.

Ce programme d’aide aux employés s’inscrit dans la volonté d’améliorer leurs conditions de travail et leur qualité de vie globale en leur apportant soutien et solidarité. L’individu est considéré dans sa totalité ; il est, en effet, difficile de dissocier la qualité de l’emploi de la qualité de vie en général, d’autant plus que les problèmes de santé mentale en lien avec le travail sont en constante croissance. Si au début de la création du réseau d’entraide, ses membres y faisaient appel essentiellement pour des problèmes de dépendance ou de divorce, en 2008, 64 % des cas concernaient des situations de détresse psychologique.

Les délégués sociaux ont aussi pour rôle l’orientation de leurs membres vers les institutions compétentes en cas d’atteinte à leur santé aussi bien physique que mentale. En effet, depuis l’arrêt Chagnon et Marché Bel-Air de 2000, rendue par la Commission des lésions professionnelles, la loi sur la santé et la sécurité au travail s’applique aux lésions physiques mais aussi psychiques.

Les délégués sociaux interviennent enfin lors de la préparation, en collaboration avec l’employeur, du retour à l’emploi après un arrêt-maladie.

 

Au Québec, on parle de lésion professionnelle pour désigner la blessure ou la maladie qui survient à l’occasion d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

L’action de la FTQ en faveur des salariés couverts par la loi sur la santé et la sécurité au travail

La FTQ siège au sein de la Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST) qui est l’organisme auquel le gouvernement du Québec a confié l’administration du régime de santé et de sécurité du travail. La CSST veille à l’application de la Loi sur la santé et la sécurité du travail et de la Loi sur les accidents du travail et maladies professionnelles.

Toute la gestion de la santé et de la sécurité au travail est regroupée au sein de cette unique entité qui possède un large éventail de compétences : prévention, inspection et expertise des risques professionnels ; indemnisation et réadaptation des travailleurs lésés ; élaboration, proposition et mise en œuvre des politiques relatives à la santé / sécurité au travail. Elle gère son budget via les prélèvements des cotisations employeurs et finance son propre institut de recherches sur la santé et la sécurité au travail (IRSST).

La CSST fonctionne sur la base du paritarisme employés / employeurs avec une direction centrale et plusieurs directions régionales. Ce mode de fonctionnement assure une meilleure efficacité dans la mesure où, d’une part, la gestion paritaire lui donne une plus grande légitimité tant du côté des employés et que des employeurs ; d’autre part, la gestion décentralisée permet une plus grande proximité avec ses administrés, ce qui favorise leur collaboration quant à l’application de la loi et lui permet de promouvoir la prévention de manière plus efficace.

Le régime de la SST fait l’objet d’un large consensus donnant lieu à un contrat social : d’un côté, les employés, victimes d’atteintes à leur santé physique ou psychologique, sont indemnisés de leurs préjudices sous le régime de la responsabilité sans faute (il n’y a alors nul besoin de rechercher la faute de l’employeur pour avoir le bénéfice de l’indemnisation du préjudice subi), et de l’autre, les employeurs sont protégés contre le risque judiciaire car les travailleurs ne peuvent les poursuivre en justice.

Lorsqu’un travailleur est confronté à une lésion professionnelle, il saisit la CSST afin de faire reconnaître ses droits et être indemnisé du préjudice subi. Son représentant syndical lui apporte l’aide nécessaire à la constitution de son dossier et le conseille sur les démarches à suivre et les procédures à sa disposition.

S’il est insatisfait de la décision rendue, il peut saisir la Commission des lésions professionnelles, qui est un tribunal administratif, indépendant de la CSST. La FTQ dispose, à cet effet, de syndicalistes spécialisés en la matière, les plaideurs, qui ont pour mission de défendre les travailleurs devant la Commission des lésions professionnelles.

L’arbitrage des griefs

L’arbitrage des griefs est une voie de résolution des conflits nés de l’interprétation ou de l’application de la convention collective, entre employeurs et syndicats. Au Québec, la santé et la sécurité au travail ont toujours fait l’objet de négociation collective et sont donc naturellement intégrées à la convention collective, ce qui donne compétence aux syndicats pour agir lorsqu’un problème de santé se pose.

Les décisions de l’arbitrage sont finales et exécutoires. Il s’agit d’un mode de résolutions des conflits privé dans la mesure où ce sont les parties qui en définissent le fonctionnement, décident du choix de l’arbitre (sur liste déterminée par le Ministère du Travail) et en assument le coût financier, ce qui peut freiner l’action syndicale et le dépôt d’un grief alors même que celui-ci serait légitime.

En matière d’atteinte à la santé mentale par un risque professionnel psychosocial, la priorité du syndicat est de protéger l’individu. Un procès en arbitrage des griefs peut être difficile à vivre pour le travailleur victime. Dans ce cas, même si un arbitrage pourrait aider la lutte et les revendications collectives pour le respect du droit à la santé des individus, les syndicats hésitent parfois à lancer la procédure compte-tenu de l’état psychologique de la victime.

L’action syndicale face au harcèlement moral

Au Québec, les lésions psychologiques bénéficient d’une définition plus large que dans la plupart des autres provinces du pays. Elles peuvent résulter du harcèlement moral, d’un stress post-traumatique, d’une surcharge de travail et non pas uniquement d’un traumatisme. Toutefois, les lésions psychologiques dues au droit de gérance de l’employeur ne sont pas reconnues. Elles ne le sont que si elles sont le résultat d’une violation des droits des travailleurs ou d’une gestion jugée abusive par le tribunal.

La FTQ organise régulièrement des sessions de formations sur le harcèlement psychologique afin que les délégués sociaux puissent s’approprier la démarche syndicale à mettre en place pour régler les cas de harcèlement et les prévenir.

Toutefois, ils peuvent se retrouver en difficulté lorsque la victime et l’auteur du harcèlement sont tous deux membres du syndicat mais, des mécanismes de traitement équitable ont été développés comme le recours à deux enquêteurs distincts ou à l’aspect organisationnel plutôt qu’individuel du problème.

La FTQ privilégie, en effet, la prévention collective et souhaite voir se développer le recours aux programmes d’aides aux organisations (PAO) mais les employeurs préfèrent mettre l’accent sur le programme d’aide aux employés (PAE) qui ne tiennent compte ni de l’approche collective ni de l’organisation du travail dans la gestion de la santé et de la sécurité dans les entreprises.

 

Bibliographie :