Une expérience de délégation d’enquête de CHSCT au ministère des finances suite au suicide d’un douanier. Deuxième partie.

37-solid-douanesSuite de l’article du numéro 26.

Le travail collectif :

Lors de la première réunion de la délégation d’enquête, près d’un mois et demi après le CHSCT du 21 septembre 2012, nous avons rapidement compris qu’il serait très difficile de réunir la délégation au complet à chaque fois et cela allait s’avérer, de plus en plus rare, au fur et à mesure du temps. Nous aurions sans doute déjà du l’établir formellement dès le début mais il faut comprendre que ces membres n’étaient pas de même grade, ni de même administration et surtout n’avaient pas tout à fait les mêmes “intentions “ sous-jacentes .

En effet, même si les personnes désignées par le président ne sont pas vraiment des “représentants” de l’administration, ils ne peuvent s’empêcher de montrer une forme de loyauté envers l’administration qui les fait essayer d’atténuer ce qui pourrait mettre à jour une responsabilité  ou un dysfonctionnement de celle-ci . Dans le même temps, ils firent preuve d’une certaine suspicion sur le parti pris supposé des syndicalistes et de nous reprocher notre absence de neutralité. Ils ont raison, nous ne sommes pas neutres et d’ailleurs, personne ne l’est ! Cependant, nous devons et nous pouvons faire preuve d’honnêteté intellectuelle et recueillir et relater de façon totalement factuelle un certains nombre d’éléments qui eux, forgeront une conviction . C’est ce que nous avons  tenté de faire dans cette délégation d’enquête, si bien qu’au bout d’un certain temps, une certaine confiance dans l’objectivité des représentants syndicaux ainsi que la convergence des faits et des témoignages ont permis à ce que les réunions de travail puissent s’effectuer avec la participation d’une partie seulement de la délégation. Du coup les réunions furent plus fréquentes. Nous avons fait le choix de réunions étalées dans le temps car  il n’était pas possible de bloquer plusieurs semaines pour la plupart des membres de la délégation d’enquête.

La méthode :

Nous avons choisi trois supports pour établir notre rapport:

  • un questionnaire dont nous avons trouvé l’exemple dans le dossier de l’enquête faite à la gare du Nord avec des questions fermées et des questions ouvertes
  • des réunions d’information et des entretiens collectifs
  • des entretiens individuels

Le questionnaire nous a permis d’atteindre les agents compris dans le périmètre de l’enquête qui ne résident pas dans la circonscription de Chambéry et donc d’enrichir le panel mais aussi de faire un travail de statistiques intéressant.

Les réunions collectives ont permis de faire ressortir un malaise général en Douane, un sentiment d’insécurité lié à la “réforme permanente”et un “décrochage hiérarchique” issus à la fois de méthodes managériales ressenties comme agressives et une politique des indicateurs de performance inadaptée et jugée inefficace voire contreproductive. L’expression des agents y a été beaucoup plus importante et libre que nous ne nous y attendions !

Nous avons, sur proposition sur président du CHS CT, demandé la participation (deux fois) d’une psychologue, spécialiste  du travail afin de nous apporter des conseils sur la rédactions du questionnaire et des conseils méthodologiques globaux .

Une forme d’obstruction :

Normalement l’administration, par l’intermédiaire de l’assistante de prévention aurait du s’occuper de toute la partie “intendance” de la délégation . Dans les faits, les courriers officiels d’information aux services de la visite de la délégation sur les sites ont bien été envoyé aux chefs de service mais le travail d’explications, de publicité et d’informations des agents sur les modalités pratiques de ces réunions ou entretiens n’a pas été correctement effectué. A chaque fois, ce sont les représentants syndicaux qui ont du battre le rappel, s’entendre avec les chefs de service pour tenir ces réunions sur temps de service et organiser précisément les entretiens dont la majorité des agents n’avaient pas été averti. Les seuls réels apports logistiques fournis par l’administration ont été l’octroi d’une salle de réunion dédiée, la possibilité d’utiliser les véhicules de service pour les visites  et le bénéfice d’autorisations d’absence dédiées au travail de la délégation d’enquête.  Par ailleurs, nous aurions  du demander des autorisations d’absence pour le temps de rédaction du rapport et de retranscription des entretiens car, dans les faits, cette rédaction a été effectuée exclusivement sur temps personnel ! A l’usage, nous aurions du aussi nous occuper, nous-même, ou au moins suivre  plus précisément les courriers d’information envoyés aux agents , leur publicité et des explications des modalités de tenue des entretiens . Nous aurions ainsi atteints beaucoup plus de monde .

Les entretiens :

Nous avons effectué les entretiens collectifs avec la totalité des membres de la délégation d’enquête, mais nous avons effectué les entretiens individuels à seulement deux membres pour ne pas “impressionner”  les collègues . Les cadres hiérarchiques de notre collègue décédé ont souhaité témoigner individuellement ainsi que son épouse , après qu’elle ait été avertie de la tenue d’une enquête dans le cadre du CHS CT de la Savoie et de la possibilité qu’elle avait d’y témoigner . Son témoignage est essentiel car elle nous a ffirmé que notre collègue ne rencontrait pas de problèmes familiaux importants et de plus, elle nous a fourni beaucoup de documents (certificats médicaux, journal intime, mèls personnels …) qui ont éclairé l’enquête et ont été mis en pièces annexes du rapport.

Le travail de dépouillement des questionnaires, de re-transcription des entretiens collectifs et des entretiens individuels a été effectué par l’ensemble de la délégation. L’essentiel des entretiens collectifs a été retranscris par l’ISST. Chaque membre de la délégation, en coordination avec son co-auditeur, a retranscrit les témoignages auxquels il a assisté et a participé au dépouillement du questionnaire et à l’élaboration des résultats statistiques. Ensuite les représentants syndicaux se sont chargés de faire la synthèse des questions “ouvertes” du questionnaire .

Le rapport :

Quand nous sommes parvenus à la partie rédactionnelle de l’enquête, les membres de la délégation nommés par l’administration nous ont expliqué qu’ils ne souhaitaient pas participer à la rédaction du rapport . Ils nous soumettraient simplement quelques suggestions ponctuelles . Il est à noter que rapidemment , quand tous les éléments ont tendus à démontrer de façon indiscutable  un lien  avéré entre le suicide et des facteurs professionnels, le directeur des services fiscaux s’est considérablement désengagé de l’enquête . Si bien qu’il n’était pas présent lors de la présentation et du vote du rapport le 18 septembre 2013 . Il a fait parvenir un mèl au président du CHS CT sur un petit désaccord formel mais par lequel il acceptait avec les autres membres de la  délégation, le rapport présenté .

Le travail de rédaction et de collation des différentes parties a pris plusieurs semaines  en étant systématiquement soumis aux autres membres par mèl et s’est donc fait sur temps autre que service, les représentants syndicaux se chargeant chacun d’un chapitre. L’un de nous a été désigné pour collationner les différentes parties et homogénéiser l’ensemble du texte.  Nous avons même du nous charger du travail de photocopies du rapport et de toutes ses pièces annexes ainsi que l’envoi du rapport aux membres titulaires du CHS CT de la Savoie. Nous nous sommes constamment heurtés à la volonté des “représentants” de l’administration, de ralentir notre travail sans s’y opposer franchement toutefois .

Le rapport final :

Nous nous étions fixé comme date “butoir” la date anniversaire du premier CHSCT que nous avons quand même dépassée de quelques jours . En effet, le rapport de la délégation d’enquête est une pièce essentielle de la commission de réforme chargée d’instruire une demande de reconnaissance en accident de service, il est donc important de ne pas  laisser trainer en longueur sa présentation au CHSCT et surtout son acceptation par un vote dudit CHS CT .

Le président du CHSCT de la Savoie n’a exprimé aucune opinion sur le rapport mais, en revanche, s’est évertué à en circonscrire le plus possible la diffusion . Ainsi il s’est opposé à le communiquer à la famille, aux autres CHS , et a même re -demandé leur exemplaire aux membres du CHSCT de la Savoie qui n’étaient pas présents le 18 septembre 2013 . Il s’est servi de menace sur le devoir de secret professionnel et de confidentialité, avec le soutien de l’ISST,  pour empêcher la communication du rapport . Les représentants syndicaux, peu avertis  en ce qui concerne  le droit sur la communication de ce genre de rapport, ont préféré obtempérer au moins temporairement

Enregistrer