Un suicide reconnu comme accident de service

Une jeune cadre de radiologie de l’hôpital Bichat à Paris met fin à ses jours à son domicile le 1er juillet 2008. Elle venait de reprendre son travail après 2 semaines de vacances. La famille a annoncé à la direction de l’établissement ce décès en leur précisant que leur fille avait laissé une lettre d’adieu expliquant son geste. Immédiatement la direction de l’hôpital Bichat s’est empressé de réclamer cette lettre au funérarium. La famille a catégoriquement refusé !!!

Les militants SUD santé demandent un CHSCT local après une logue enquête faite en amont auprès du service de radiologie et auprès de la famille. Des extraits de sa lettre d’adieu ont été produits par la famille à la direction dégageant la responsabilité du service de radiologie. Une expertise fut votée à l’unanimité du CHSCT.

Cette expertise met en lumière la charge de travail très importante de cette jeune cadre, seule après le départ de 2 collègues, alors que le service comptait 5 cadres, 3 ans auparavant. Elle a d’ailleurs accumulé plus de 153 jours supplémentaires en 16 mois !

L’expertise met aussi en lumière les difficultés à faire face et les appels au secours de cette jeune femme auprès de l’administration, ce qui permettra à l’institution de laisser penser que son suicide est dû à une fragilité et à des problèmes personnels.

Les militantes SUD Santé de l’hôpital Bichat prennent contact avec la famille, dévastée par le cynisme de l’Assistance Publique de Paris. Nous avons ainsi accès à l’intégralité du courrier d’adieu qui met totalement en cause l’institution. Dès lors certains syndicats nous accusent de « surfer sur la vague des suicides », et de vouloir chercher des responsables.
Une demande des parents de reconnaissance imputable au service est présentée à la commission de réforme de l’AP-HP composée de 2 membres de l’administration, 2 médecins du service de médecine statutaire et 2 représentants du personnel dont 1 SUD. La commission émet un avis positif à la reconnaissance en accident de travail le 16 mars 2010. Nous pensons avoir réussi à faire reconnaître l’imputabilité au service. Le 14 septembre 2010, contre toute attente, le Directeur de Bichat va à l’encontre de l’avis de la commission de réforme et refuse l’imputabilité au service du suicide.

SUD Santé a accompagné les parents à porter plainte au tribunal administratif en mai 2010, sachant que nous serons, en qualité de syndicat, débouté de l’intérêt à agir.

Le Tribunal administratif conclu à l’imputabilité au service le 21 juin 2012 et l’AP-HP renonce à faire appel.

Cette reconnaissance est une exception à l’AP-HP et dans toute la fonction publique hospitalière (en France). Cette reconnaissance fait jurisprudence pour tous les autres suicides qui pourraient survenir en dehors du lieu de travail.

Le juge a estimé que la charge de travail insupportable, les procédures d’alerte du CHSCT sur les cadres en général, le nombre de jours supplémentaires effectués ainsi que la lettre racontant son « calvaire » déterminent la cause de ce suicide, alors que l’AP-HP n’a rien pu produire sur des prétendus difficultés familiales.

Il a fallu batailler contre l’administration, mais aussi contre les autres syndicats très frileux sur le sujet reprenant les rumeurs et les ragots.

C’est grâce aux relations nouées par notre jeune équipe militante avec la famille que nous avons pu ester en justice et faire reconnaitre la responsabilité de l’AP-HP. Il est souvent difficile de nouer des contacts dans de telles circonstances, c’est pourtant indispensable pour agir.

Nous ne savons pas encore quel sera l’impact de ce jugement sur le temps de travail, les effectifs et les conditions de travail des cadres, mais déjà le nombre de formations professionnelles a augmenté et une formation à la prise de poste est organisée.