Traité ONU pour mettre fin à l’impunité des multinationales

D’où ça vient

En 2014, le conseil des droits de l’homme à l’ONU déclare que « les sociétés transnationales et autre entreprises ont l’obligation de respecter les droits de l’homme » et adopte la résolution 26/9 sur l’élaboration d’un instrument international juridiquement contraignant sur les multinationales et autres entreprises et les droits de l’homme. Un tel instrument peut contribuer à mettre fin à l’impunité dont bénéficient trop souvent les multinationales pour les violations des droits humains commises, en particulier dans les pays du Sud, et assurer l’accès à la justice pour les personnes et communautés affectées.

La décision intervient un an après l’effondrement du Rana Plaza, au Bangladesh, qui avait coûté la vie à plus de 1 200 travailleuses et travailleurs du textile. Beaucoup de ces victimes travaillaient dans des ateliers de confection, qui alimentaient de grandes marques de vêtements occidentales.

Il s’agit-là d’une décision historique. Depuis 50 ans, toutes les tentatives antérieures d’adoption par les Nations Unies de normes contraignantes pour les multinationales avaient échoué, du fait de l’opposition des pays du Nord et des grandes entreprises. Aujourd’hui, les textes de référence de l’ONU, de l’OCDE ou de l’OIT donnent des principes directeurs non contraignants pour les états et les multinationales : l’obligation de protéger qui revient à l’État lorsque des tiers, y compris des sociétés, portent atteinte aux droits humains ; la responsabilité de respecter les droits humains qui incombe aux entreprises ; la nécessité d’un accès plus effectif à des mesures de réparation par des mécanismes judiciaires et non-judiciaires.

S’il arrive un jour à son terme, ce traité serait le premier à valeur contraignante. Il s’agit de créer, dans le cadre des Nations Unies, un instrument juridiquement pour obliger les multinationales à respecter certains des droits humains les plus fondamentaux, partout où ces dernières et leurs filiales sont implantées. Une première ébauche de ce traité international a vu le jour trois ans après le début des discussions à l’ONU.

Les parties présentes aux sessions du conseil des droits de l’homme

Le groupe intergouvernemental de travail (GIGT), créé à la suite de la résolution 26/09 est piloté par l’Équateur et l’Afrique du Sud, à l’initiative du projet. Le GIGT est chargé de rédiger le texte et de présider aux sessions de négociation. Tous les états inscrits à l’ONU peuvent participer aux négociations mais ne se bousculent pas pour appuyer le GIGT. L’ensemble des pays européens siégeant à l’ONU avec les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud, avaient voté contre la formation du GIGT.

Le patronat est représenté par l’OIE (organisation internationale des employeurs). Les organisations patronales considèrent que le projet de traité est « contre-productif » et « met en péril le consensus atteint avec les principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme ». Parmi les craintes exprimées par l’OIE, le risque de freiner les investissements dans les pays industriels, émergents et en développement. Le jeu de l’OIE est clairement de faire en sorte qu’un tel traité ne voit pas le jour !

Du côté des ONG, le projet de traité bénéficie du soutien d’une myriade de collectifs de la société civile. La plupart sont regroupées au sein de la Global Campaign, lancée en 2012, la campagne mondiale est un réseau de 250 mouvements sociaux : ONG, syndicats (Solidaires et CGT côté français), communautés affectées qui résistent à l’ac­caparement des terres, à l’extractivisme, à l’exploitation des travailleurs et travailleuses, et à la destruction de l’environnement causés par les multinationales.

Elle revendique trois priorités qui doivent guider l’élaboration du traité :
– affirmer la suprématie des droits humains et de la protection de l’environnement sur les droits des investisseurs et des multinationales ;
– mettre fin au régime d’arbitrage entre les investisseurs et les États ;
– rétablir la souveraineté des États en ce qui concerne les politiques publiques et les priorités nationales.
En France, il existe une coalition composée des Amis de la terre, ATTAC, AITEC, Actionaid, CCFD-terre solidaire, Collectif éthique sur l’étiquette, France Amérique latine, Sherpa, Solidaires et CGT. Elle agit pour amener la France à se positionner clairement en faveur de ce traité, et qu’elle porte ce positionnement au niveau européen.

Où en est-on après la dernière session ?

La cinquième session du conseil des droits de l’homme s’est tenue à Genève du 15 au 19 octobre. Au programme, la négociation sur le contenu du projet de texte. La présence importante des délégué·es des états a montré l’intérêt croissant pour ce projet. Contrairement aux sessions précédentes, l’Union européenne ne conteste plus la légitimité du processus. Elle est cependant restée muette sur le fond, arguant de l’absence de mandat de négociation de la part des états membres de l’UE. D’autres pays, opposants plus ou moins assumés ont tenté de saboter la suite des débats. Il s’agit de la Chine, le Brésil et la Russie. Au final, si la version actuelle du traité reste très insuffisante, le processus va se poursuivre, et la participation des ONG est confirmée, même si elle a été un temps remis en cause par les mêmes pays opposants.

Pour Solidaires, des législations internationales sont nécessaires mais ne verront le jour et ne seront effectives que si un rapport de force international se met vraiment en place.