Retours sur la vague de suicides chez Renault : La faute inexcusable confirmée par la cour de cassation

220px-Sud_renaultC’est la conclusion des actions menées devant les tribunaux par trois des quatre familles de salariés du Technocentre qui s’étaient donnés
la mort entre 2006 et 2007. De mêmes événements tragiques en cascades allaient rapidement faire des dégats à PSA, France Télécom, etc…
Rappel des faits

Après avoir profondément restructuré Nissan au prix de milliers de licenciements, C. Ghosn prend la direction de Renault en 2005. De multiples projets de développements de nouvelles voitures avec de fortes contraintes de délais apparaissent que ce soit sous la marque Renault, Dacia, mais aussi en partenariat avec Nissan. En même temps les salariés du Technocentre à Guyancourt sont martelés par un discours réclamant sans cesse plus de performance, il faut satisfaire les actionnaires. En quelques mois, une logique financière remplace la logique industrielle. La pression s’accentue sur les salariés qui dans un contexte de stress généralisé grandissant travaillent très au delà des horaires légaux y compris le WE, uniquement pour satisfaire les objectifs de leur mission. C’est ainsi que certains craqueront, et que des drames surviendront.

Suite aux deux premières victimes, après le refus persistant du CHSCT dans lequel la CFE-CGC et la CFDT étaient majoritaires, de mener des expertises indépendantes, SUD, puis la CGT brisèrent le silence en médiatisant ces drames. La presse s’en fera le relais. Après le troisième décès, le débat deviendra public. Le procureur de la république sera saisi,  et les CHSCT confieront enfin une expertise à Technologia. Les conclusions seront sans appel sur l’organisation du travail et son management anxiogène.

Pour les familles durant les années qui suivront se succéderont les procès, appels et enfin cassation. Les dirigeants de RENAULT n’auront de cesse que de nier leur responsabilité. Condamnés à chaque fois pour faute inexcusable en appel, ils iront au moins dans un des cas jusqu’en cassation. Selon ces derniers les « éléments constitutifs d’une faute inexcusable n’étaient pas réunis de plein droit : la cour d’appel
n’avait pas apporté la preuve de leur responsabilité »¹. La cour de cassation, s’appuyant sur les faits constatés par les jugements précédents a cependant mis clos à un acharnement des responsables de RENAULT et de leur kyrielle d’avocats à l’égard de la famille du salarié.

Ces événements traumatisèrent fortement le personnel du Technocentre. Dans les mois qui suivirent la direction développa des cellules de veille psychologiques, rendez vous avec psy extérieurs, observatoire du stress, ou « la journée de l’équipe » (une 1/2journée pour chaque équipe de travail consacrée à se parler à égalité!- avec des sortes de jeux de rôle…) . Il y eu en façade un recadrage des horaires, mais peu efficace, car la direction de RENAULT ne s’est jamais opposée à l’utilisation par ses salariés des moyens informatiques à domicile. Mais la crise de surproduction dans le secteur automobile en 2008, et la bulle financière occulteront le fond du problème et donneront une « bulle d’air aux dirigeants de Renault ».

Depuis, les objectifs de gestion n’ont pas fondamentalement changé, la charge sur chaque salarié continue d’augmenter, en particulier pour les cadres. Les activités sont individualisées à outrance, en tendant de mécaniser le travail avec des processus théoriques et abstraits ponctués par des jalons bien concrets. Le manque de moyens pour effectuer ses missions pousse le personnel à accepter la coopération avec des centres délocalisés (après avoir formé les salariés) des pays « lows cost ». Dans le même temps il est expliqué à chaque salarié que son revenu est trop élevé par rapport un comparatif planétaire alors que les salaires ont très peu évolués depuis 2006. A cette politique de pression psychologique sur
une partie du personnel (essentiellement cadres), l’autre partie (plutôt
techniciens) se voit expliquer qu’il faut changer de métier, voire d’entreprise, ou que son activité sera externalisée à court terme. S’appuyant sur l’accord de compétitivité signé au printemps 2013, la direction de RENAULT/NISSAN veut ainsi restructurer en profondeur son ingénierie française, dans l’objectif de réduction drastique des coûts de
personnel.industrie

Pour mener à bien ses ambitions, la direction de RENAULT entend gérer  les « risques » psychosociaux, en se débarrassant des salariés à risques. Depuis plusieurs mois des lettres pour sanctions disciplinaires et  licenciements envers des salariés « inadaptés » ou en conflit avec leur hiérarchie et ayant des soucis de santé se multiplient. Cela n’empêche  cependant pas les drames. Mais les RH ont aujourd’hui suffisamment  d’expérience de terrain pour prendre en main la situation : dès qu’un  décès survient une chape de plomb s’abat autour de l’événement, avec différentes méthodes évitant l’ébruitement. Et les CHSCT toujours  contrôlés par les syndicats muselés (CFE−CGC/CFDT- signataires de l’accord de compétitivité) contribuent soigneusement à empêcher la constitution d’enquêtes.

Alors que la direction arrive encore pour le moment à cacher les causes des récents décès suspects, depuis ces derniers mois les signes alarmants se multiplient : le nombre de passages à l’infirmerie augmente fortement. Que ce soit à cause du burn-out ou par l’angoisse de perdre son travail ou d’une mobilité forcée, pour tous ces signes de détresse la responsabilité de l’employeur est flagrante.

La reconnaissance de la faute inexcusable plusieurs années après un décès est certes une justice pour la famille après une lutte acharnée, mais aujourd’hui nous constatons que cette reconnaissance n’apporte pas d’amélioration aux souffrances quotidiennes subies par les autres salariés, car cela reste un simple avertissement aux barons de l’automobile, qui gèrent la santé des travailleurs comme des variables d’ajustement, à la limite de l’insupportable collectif.

La condamnation de la direction de RENAULT est cependant un premier jalon pour la reconnaissance publique de l’in acceptabilité de ces méthodes de gestion du personnel. Une action en justice est actuellement menée par un salarié en maladie professionnelle pour cette même reconnaissance
suite aux mauvais traitements psychologiques qu’il a subi. Nul doute que de nombreuses autres actions nécessaires suivront.

Depuis 2007, d’autres suicides en entreprise notamment France Télécom, ont été médiatisés. Aujourd’hui c’est moins le cas . Le suicide de salarié s’est banalisé, c’est en multipliant les actions de mise en évidence de la faute inexcusable avant qu’il ne soit trop tard que les stratégies contraires à la « qualités de vie au travail » vantée par un accord creux signé cet été seront battues en brèche.
1 Pour qu’il y ait faute inexcusable, il faut que l’employeur ait eu conscience du danger, et qu’il se soit abstenu de prendre des mesures pour  la protection de son salarié.