Le CHSCT a contribué à faire émerger les pressions au travail et les souffrances d’un nombre croissant de salarié-es. Mais le bilan des CHSCT reste contrasté avec souvent bien des difficultés pour faire appliquer le code du travail, pour s’approprier les prérogatives de l’instance, comprendre la réglementation et sa mise en pratique. Par ailleurs, les logiques d’institutionnalisation de l’instance font parfois dégâts avec des tensions entre les syndicalistes qui s’accommodent des situations et celles et ceux qui remettent en cause le pouvoir patronal. Malgré ces difficultés, des CHSCT (mais pas forcément la majorité) ont beaucoup alertés, mobilisés, agit en justice et mis en cause l’arbitraire patronal. Instance proche des salarié-es, ce sont essentiellement les mobilisations et les possibilités d’agir en justice que le patronat veut remettre en cause avec leur suppression .
La fin de l’action syndicale sur les questions de santé, conditions et organisation du travail ?
Le pire n’est pas forcément écrit et s’il faut continuer à critiquer sans réserves la politique à Macron et la suppression des CHSCT, il faut aussi s’organiser dans le contexte des évolutions du code du travail et ne pas se laisser envahir par un défaitisme sclérosant. Les obligations de l’employeur (règles générales de prévention, obligations de sécurité de résultats), les obligations légales qui s’imposent (sur l’altération de la santé par autrui, sur la mise en danger etc.) ne sont pas supprimées ni atténuées.
Les prérogatives actuelles des CHSCT sont transférées au CSE (Conseil Social et Économique) avec la création, obligatoire dans les entreprises de plus de 300 salarié-es, d’une commission : la CSSCT (Commission Santé, Sécurité et Conditions de Travail) qui peut se voir confier par le CSE « tout ou partie de ses attributions ». Cette commission n’aura à pas de droit de vote car les délibérations restent une prérogative du CSE. Il n’y a pas de secrétariat envisagé et pas forcément de compte-rendu ou de PV. Autant dire le poids qu’aura l’employeur dans cette instance qui n’a plus rien à voir avec le CHSCT.
La composition de cette commission fait la part belle aux employeurs. Elle sera présidée par l’employeur avec une participation permettant une présence très importantes des « collaborateurs » de l’Entreprise. « L’employeur peut se faire assister par des collaborateurs appartenant à l’entreprise et choisis en dehors du comité. Ensemble, ils ne peuvent pas être en nombre supérieur à celui des représentants du personnel titulaires. Code du travail L2315-39 » . La cour de cassation vient de confirmer un jugement pour entrave (avec des amendes de 1000 à 5000 euros) déclarant les représentants d’une direction « coupables d’entrave au fonctionnement régulier du CHSCT pour avoir, lors d’une réunion (…) créé une surreprésentation du personnel de direction, sans assentiment préalable des membres du comité ». La multiplication des représentants de la Direction dans la CSSCT change la nature de cette instance.
Les membres de la CSSCT sont obligatoirement membres du CSE. « les membres de la CSSCT sont désignés par le CSE parmi ses membres » L2315-11du code du travail. Cela ne laissera aucune marge pour impliquer des militant-es nouveaux ou désigner dans des secteurs où il y a des risques particuliers… Et même si des accords permettaient une extension avec des non membres du CSE, ils ne seraient pas salarié-es protégé-es.
Les attributions de la commission… « La CSSCT se voit confier, par délégation du CSE, tout ou partie des attributions du comité relatives à la santé, à la sécurité et aux conditions de travail, à l’exception du recours à un expert prévu à la sous-section 10 et des attributions consultatives du comité. (Code du travail L2315-38) » Transférer des attributions à cette commission, c’est donc retirer des moyens au CSE (et notamment à une majorité de ses membres). Il y a donc nécessité d’une réflexion pour ne pas transférer d’attributions qui amputeraient le CSE (le nombre de membre du CSE est très supérieur aux membres de la CSSCT et très supérieur aux membres de CHSCT actuels).
Au dessus de 300 salarié-es, une CSSCT est obligatoire. Mais transférer « tout ou partie des attributions du comité relatives à la santé, à la sécurité et aux conditions de travail » c’est se priver de moyens pour l’actions syndicale sur les questions du travail… Faut-il transférer le droit d’alerte pour danger grave et imminent, les enquêtes après accidents ou maladies professionnelles, les enquêtes risques graves ? Dans une entreprise de 850 salarié-es par exemple, faut-il confier ces attributions au mieux à 6 membres de la CSSCT (dans l’hypothèse d’un accord qui remette au niveau des ex CHSCT) ou aux 15 membres du CSE ?
Saisir la justice, rendre un avis motivé, décider d’une expertise restera prérogative du CSE. La question qui se pose est donc celle du transfert ou non des attributions du CSE à cette commission. Les seules attributions que nous devrions accepter de transférer, pourraient être la préparation des 4 réunions du CSE consacrées aux questions de santé travail. Transférer d’autres attributions, ce serait se tirer une balle dans le pied.
Et si le travail, son organisation, les questions de démocratie et de liberté dans le travail devenait un enjeu syndical et un outil de reconstruction du rapport de forces ?
A l’inverse de ce qu’attendent les employeurs, si les équipes syndicales mettent une priorité sur les questions liées à l’organisation du travail, à la démocratie et aux libertés dans le travail, et avec des moyens pour une prise en charge politique de ces questions, on pourrait aboutir à des résultats supérieurs aux prises en charge actuelles des CHSCT… La spécialisation des CHSCT avaient des avantages mais aussi des inconvénients et des limites. Dans les CSE, le lien entre gestion (lié aux attributions des ex CE) et les conséquences sur les conditions et l’organisation du travail devrait logiquement être facilité.
Les employeurs craignent peu les échanges dans les instances mais sont sensibles à au moins 3 questions: l’image de marque de l’entreprise notamment dans les médias, les mobilisations internes et externes (et pas seulement les grèves) et les actions en justice qui loin de remplacer les mobilisations peuvent les renforcer. La contestation des politiques économiques, de gestion des entreprises devrait donc être au cœur de l’activité du CSE et des équipes syndicales :
– pour permettre des actions devant les tribunaux ce qui nécessite des droits d’alertes, des PV qui développent les atteintes à la santé, des expertises, des interpellations des médecins du travail etc…
– avec des initiatives dans et hors des entreprises en travaillant en réseaux avec des chercheurs, experts, universitaires…
– avec des expertises risques graves (qui restent financées par l’employeur) nécessitant de préparer des dossiers solides (alertes, preuves, enquêtes, PV, inspection du travail, Carsat, médecine etc.).
Ces initiatives peuvent permettre d’alimenter le débat public et ainsi accentuer la pression sur les employeurs et contribuer aux mobilisations sur ces questions.