Quand éducation populaire rime avec précaire… le cas des salarié-e-s de la MJC d’Oullins

Les Maisons des jeunes et de la culture “ont toutes pour vocation de favoriser l’autonomie et l’épanouissement des personnes. Elles permettent à tous d’accéder à l’éducation et à la culture, afin que chacun participe à la construction d’une société plus solidaire. La démocratie se vivant au quotidien, les MJC ont pour mission d’animer des lieux d’expérimentation et d’innovation sociale, répondant aux attentes des habitants. ”.

Les MJC sont des associations qui prônent des valeurs de solidarité et d’engagement, avec une organisation démocratique et solidaire. Ces formes d’organisation associative, sont un « lieu de mobilisation de la société civile [et] sont aussi devenues des actrices importantes de l’économie. Mais, contrairement aux entreprises capitalistes classiques, elles ne cherchent pas la plus-value économique : l’essence même de leur modèle économique est non lucratif. » Ainsi, la MJC de Oullins a réalisé en 2014 la 28e édition du festival de cinéma à Nous de Voir. Un moment « de rencontre entre cinéma & sciences », qui invite les « citoyens à se rendre acteurs de la culture » pour construire collectivement le festival, un travail vécu de manière très positive comme l’explique O, un des militants qui travaillait à la MJC  :
« on avait une équipe qui fonctionnait vraiment super bien […]. En trois ans on a réussi à développer le festival […] on a fait pour nous, un super boulot mais , c’était un cercle vertueux »
Au cours d’un échange avec deux autres salariées qui travaillaient à la MJC, elles expriment le plaisir qu’elles ressentaient de faire partie de l’équipe qui concevait le festival. Mais cette situation agréable et ce plaisir de travailler exprimés par les salarié-es à a basculé.
Pour O., ce festival où salariés et bénévoles étaient très impliqués humainement et professionnellement, s’est vu peu à peu limiter ses moyens humains et financiers, notamment à travers le non renouvellement de certains contrats. En conséquence, les salarié-es restants devaient assumer toutes les tâches avec moins de collègues. Beaucoup d’associations sont confrontées aux pressions économiques et notamment aux baisses de financements des pouvoirs publics. Les conditions de travail se précarisent, « plus qu’ailleurs, les associations sont à l’avant-garde de la flexibilisation et de la précarisation […] dans ce marché du travail c’est le salariat « atypique » qui est typique : CDD, temps partiel, travail en soirée, le week-end, stages, services civiques… Le monde associatif est un gros consommateur de contrats précaires. »

A la MJC d’Oullins par exemple, ce que vivent ou ont vécu les salarié-es au quotidien paraît être loin de la démocratie. Les employé-es de cette MJC ont commencé à donner des signaux d’alerte sur les conditions de travail et sur la fragilisation du festival. Les mesures prises par la direction se multiplient: fin des contrats aidés, ruptures conventionnelles de contrat de travail pour des salariés clés pour le bon déroulement des activités, non transparence dans la gestion économique, procédures dégradantes de licenciement…

Les salarié-es décident donc de se mobiliser face à cette situation. Depuis le début de l’année 2014, un collectif de salariés s’est crée pour rendre visible la situation de plus en plus critique au sein de la MJC et ainsi avoir un soutien de la population de la ville. Voici leur premier communiqué adressé à la population:

“ Depuis plusieurs années, la MJC fait face à une situation de crise financière de plus en plus critique et doit évoluer dans un bâtiment qui n’est plus adapté aux activités et projets déployés.
L’ensemble des actions menées auprès de la ville mais aussi au sein de la MJC (réduction temporaire d’activités, réduction des budgets, stratégies avec les pouvoirs publics…), n’a pas abouti à un travail satisfaisant de concertation entre salariés et l’employeur (Conseil d’administration MJC). Le dialogue social s’est progressivement détérioré.
Les premières décisions votées au Conseil d’administration concernent le non renouvellement de contrats CDD-CUI-CAE (1er départ le 18 avril). Ces départs impactent directement le devenir des projets et aucune solution n’est apporté quand à l’avenir des secteurs et les missions des salariés restants. De plus, les conditions d’accompagnement au départ du personnel sont inexistantes.
Face au manque de moyens, aux pressions exercées et à l’incertitude quant à l’avenir de la structure, des projets et des personnes, certains salariés négocient par dépit, des ruptures conventionnelles, d’autres sont en arrêt de travail.
Nous ne pouvons plus rester silencieux car pour ceux qui partent l’avenir est synonyme de chômage et de précarité et ceux qui restent sont impuissants devant le démantèlement de projets pour lesquels ils se sont investis. […]”

Cette situation n’est évidemment pas spécifique à la MJC d’Oullins. Car les emplois associatifs sont tout sauf anecdotiques : ils représentent un emploi sur dix dans le privé. Selon les estimations en 2014 du collectif des associations citoyennes (CAC), jusqu’à 200.000 emplois qui pourraient être supprimés d’ici trois ans.

Le 28 janvier 2014 les travailleurs de la MJC sont en grève. Les revendications des salarié-es sont la pérennisation des emplois, l’amélioration des conditions de travail et la mise en application effective dès 2014 du plan de réhabilitation du Centre de la Renaissance, proposé par la municipalité et qui n’a jamais vu le jour. Le malaise instauré au sein de l’association non seulement à cause des coupures budgétaires mais aussi de l’attitude de la direction face à cette situation, augmente avec le temps. Des soutiens des habitants arrivent rapidement. Ils mettent en avant la nécessité de la MJC dans la ville, la qualité des activités organisées et la désolation de voir une organisation vitale verrai ses certaines de ses activités en danger.
Comment cette situation se répercute sur les salarié-es?
La reproduction des logiques hiérarchiques et autoritaires empêchant toute participation des salariés à la prise de décision et les situations de maltraitance des salarié-es, est contradictoire avec les principes de cette organisation déjà évoqués. Des démarches de mise à l’écart des salariés et du représentant du personnel dans le but d’empêcher qu’il soit informé de la situation ainsi que le déni du contexte problématique à la MJC, sont mises en œuvre par les instances de direction.. Comme O. nous raconte, le directeur disait toujours qu’il ne comprenait pas le problème, comme si tout allais bien. Certain.es salariées, sentaient qu’ils n’avaient plus la possibilité d’agir face aux problématiques puisque la direction devenait de plus en plus réticente aux propositions faites par les salariés pour sortir de l’impasse. En conséquence l’état de santé des salarié-es se dégrade au cours du temps, ils ne se sentent plus capables de réaliser leur travail ce qui aboutit à des arrêts maladie.. ”Plusieurs salarié-es se trouvent en arrêt maladie. Comment sont arrivés à ce stade plusieurs salariés de la MJC? Quelles sont les méthodes utilisées par la direction pour “informer” les salariés de leurs licenciements ou du non renouvellement des contrats, et dans quel but?

L’extrait d’une lettre d’un salarié en CUI (Contrat unique d’insertion) non renouvelé, est emblématique des méthodes pour se séparer des salarié-es. De même, elle est révélatrice des tensions vécues dans l’établissement et du mal-être face à l’attitude de la direction.

“Lundi 8 avril, il y a 8 jours exactement, le directeur de la MJC, m’apprenait en deux minutes trente, « profitant » de l’absence de P. et O., qu’il serait difficile de renouveler mon contrat qui arrivera à échéance vendredi 18 avril (10 jours avant). Je ne pense pas que je sois irremplaçable, mais je trouve qu’il y a une « manière de faire », un minimum de politesse, de forme à mettre et un minimum de cette considération dont je parle plus haut. Les raisons de ce non-renouvellement restent floues [..].

Cependant, d’une part, il me semble que la façon dont cela a été fait est très loin de toutes les valeurs éthiques et humaines que peuvent porter la MJC et le secteur associatif en général. En effet, me prévenir ainsi, […], présenter cette décision venue de nulle part dans un tel délai, sans que le bureau et le directeur, mandatés par le CA, ne m’en parlent avant, ce n’est pas correct. . Il semblerait donc qu’on souhaite d’abord « réorganiser » ou « restructurer » pour recevoir les gens qui restent et organiser avec les quelques personnes le « renouveau de la MJC ». […]Oui, vous n’avez pas été corrects avec moi, vous n’avez pas été polis, vous n’avez pas respecté la personne que je suis et ne parlons même pas de mon travail.

D’autre part, cela a été assez dit mais je pense qu’il n’est jamais inutile de le redire. Supprimer le poste de responsable logistique qui existe depuis plus de dix ans revient à mettre à mal le Festival. Les 24h (et quelques heures supplémentaires) durant lesquelles je travaillais, ne pourront pas être répercutées sur l’emploi du temps déjà surchargé de Pascale, O. et L. Le travail de ce poste, il est peut-être bon de le préciser, occupe largement ces 24h, il s’agit de toute la gestion des films du Festival et du pôle images, sciences et débats publics, anciennement lieu ressource, de la gestion des copies, de la prise de contact avec les boîtes de production afin d’établir une relation durable et une pérennisation de collaborations entre le Festival et ces boîtes de production (Folimage, CNRS, Centre vidéo de Bruxelles etc.).
[…] En se débarrassant d’une partie de ces professionnels, on se débarrasse d’une partie du projet, en se débarrassant d’une partie du projet, on le condamne à une mort lente et sans dignité comme cela a été le cas pour le Clacson. […]Les choses ne vont pas bien se passer pour mon départ, il n’y aura pas de pot, pas d’adieu, pas de tuilage… Le délai ne le permet pas, j’ai eu dix jours pour accepter cette décision, préparer mon départ, dix jours pour ne pas laisser trop de travail et user encore plus ceux qui restent, dix jours durant lesquels je dois également penser à moi et à mon avenir. Dix jours également pour prévenir les gens que j’ai pu rencontrer ici, les animateurs, les bénévoles, les amis, les voisins, car encore une fois, c’est aux salariés d’annoncer les (mauvaises) décisions/nouvelles à l’ensemble des gens qui fréquentent la MJC.”

Comment est-il possible que ces espaces associatifs ne se différencient pas d’autres entreprises? « Les frontières entre les entreprises, les associations et l’administration sont de plus en plus poreuses en termes de vie au travail.” 4La reproduction des ces pratiques violentes du système capitaliste questionne profondément les valeurs de ces structures. Dans cette logique de mise en péril des activités et du travail des salarié-es, la MJC décide peu à peu de les licencier. Trois salarié-es qui étaient au cœur du festival à « Nous de voir » font l’objet d’une procédure de licenciement pour faute grave. Dans la lettre, l’inspectrice du travail reprend un des arguments de l’employeur pour licencier le délégué et rappelle les obligations de l’employeur :

« […] considérant qu’il est reproché à Monsieur C. d’être à l’origine d’une dégradation de l’état de santé du directeur et du Président de la MJC, alors que s’il incombe à l’employeur de veiller à la santé de ses salariés, il n’existe aucune réciprocité de ce principe faisant peser une telle obligation sur les salariés à l’égard de leur Direction, sauf situation de harcèlement moral ascendant qui n’est ici pas invoquée »

Le directeur accuse le salarié de la « dégradation de l’état de santé » de ses collègues, du directeur et du président et veut faire peser sur son dos cette responsabilité. C’est un des exemples des arguments qui composent un dossier monté et intenable.

Ces décisions de licenciement et cette mise en péril les activités de la MJC, sont en fait l’aboutissement d’un long processus commencé avec la grève dont nous avons parlé plus haut. Le directeur n’as pas du tout apprécié cette démarche mise en place d’un contre pouvoir à travers la création d’une section syndicale :

« C’est en rentrant au syndicat qu’on s’est rendu compte qu’il y avait un manquement à la loi et c’est aussi là que ça a commencé à sacrement merder avec l’employeur, […], c’est quand on a mis l’employeur face à la loi qu’il a commencé à s’enflammer et à nous descendre en flammes justement, […], le directeur était plus que réticent […] il a vu une menace arriver sur ses épaules[..] »
Un accueil pas très chaleureux pour la délégation. et l’employeur n’hésite pas à faire des entraves au fonctionnement de la délégation du personnel. D’ailleurs l’inspection du travail pointe du doigt cette anomalie dans la lettre de refus du licenciement d’un des salariés :
« […] l’enquête a révélé un fonctionnement irrégulier des institutions représentatives du personnel dans l’entreprise, depuis janvier 2015, qu’en conséquence il y a lieu de retenir un lien entre la demande d’autorisation de licenciement pour faute de X et son activité syndicale et de représentant du personnel »

Non seulement l’inspectrice du travail démontre l’entrave des instances, mais aussi elle associe la demande d’autorisation de licenciement à l’activité de représentant ce qui constitue une démarche de discrimination syndicale.

L’exemple de cette MJC met en évidence au sein de certaines associations les contradictions entre les valeurs démocratiques et humanistes qu’elles prônent et leurs pratiques. Ces structures ne sont pas épargnées de la dégradation des conditions de travail et de vie inhérentes au système capitaliste, même quand il s’agit d’associations prônant la solidarité. Ici le manque de communication et d’échange avec les salarié-es sur la situation économique de la MJC et sur les décisions prises de manière autoritaire, renforce le malaise général des salarié-es et la destruction d’activités qui trouvaient de plus en plus de participation. De plus les instances représentatives du personnel ne trouvent pas leur place et les salarié.es qui décident se syndiquer pour mener une lutte collective, sont discriminé.es. Un panorama de pratiques sociales dommageables concernant le traitement aux travailleur.ses qui témoigne de la nécessité d’une réflexion sur le fonctionnement de ces organisations d’éducation populaire, essentielles dans nos sociétés.

Pour aller plus loin : Matthieu Hély, Les métamorphoses du monde associatif, Presses universitaires de France, coll. « le lien social », 2009, 306 p.