La convention internationale de l’OIT n°81 de 1947 garantit l’indépendance des agents de l’inspection du travail dans l’exercice de leur mission. L’article 6 prévoit que « Le personnel de l’inspection sera composé de fonctionnaires publics dont le statut et les conditions de service leur assurent la stabilité dans leur emploi et les rendent indépendants de tout changement de gouvernement et de toute influence extérieure indue. ». Concrètement cela veut dire qu’un inspecteur ou contrôleur décide seul de diligenter un contrôle dans les entreprises de son secteur et des suites qu’il donne. Il a un pouvoir d’appréciation et une latitude décisionnelle. La hiérarchie ne peut intervenir pour décider à sa place.
Dans « l’affaire TEFAL » cette indépendance a été violée.
Tout commence en avril 2013 où l’inspectrice du travail en charge de l’entreprise TEFAL est convoquée manu militari par son directeur pour un entretien qui durera plusieurs heures. Il lui est reproché son intervention dans l’entreprise et notamment son courrier remettant en cause la légalité de l’accord RTT. Le directeur demande à l’inspectrice de revoir sa position et de ne plus intervenir. L’inspectrice sous pression sera en arrêt maladie pendant plusieurs mois suite à cet entretien.
En octobre 2013, l’inspectrice reçoit un mail anonyme d’un salarié de l’entreprise TEFAL : « Je suis en possession de certains documents hyper confidentiels, prouvant que vous avez été victime de pression psychologique, je sais que le groupe Seb et la société TEFAL ont exercé via des personnes du MEDEF une pression sur votre responsable Mr X afin qu’il vous fasse taire. Je sais qu’une personne des RG dont je connais le nom et prénom a participé à cela. Je n’ai rien à vous proposer d’autre qu’une aide et la mise à disposition de ces documents sans aucune contrepartie. Je ne peux pas, et vous le comprendrez très bien vous donner mon identité .Sachez que je suis moi-même victime de pression psychologique de la part de mon employeur. ». De ces documents, il ressort que le DRH de TEFAL a actionné ses contacts RG et MEDEF et a pris rendez-vous avec le directeur du travail la veille de l’entretien avec l’inspectrice … pour discuter de son « comportement ». Le directeur a donc relayé les pressions. Un soutien intersyndical se met en place dans la région Rhône-Alpes (SUD-CNT-CGT-SNU) et interpelle directions et médias (articles Mediapart, Humanité et Libé).
Mais les relations plus qu’ambiguës entre TEFAL et la direction régionale du travail continuent…
En novembre 2014, l’inspectrice retourne dans l’entreprise avec plusieurs collègues pour y effectuer un contrôle. Elle met en demeure l’entreprise TEFAL, dans un délai d’un mois, de mettre en place un système de captage à la source au niveau de la pompe distributrice du produit Aluclean 250, dans un atelier de décapage où les salariés sont exposés. Ce produit chimique de nettoyage a des effets nocifs sur la santé qui sont largement connus et dénoncés par le CHSCT depuis juillet 2013 (article R.4222-12 du CT).. Suite au recours exercé par l’entreprise contre cette mise en demeure, la direction régionale du travail de Rhône-Alpes donne à TEFAL un délai… d’un an pour se mettre en conformité. Comme l’écrira Mediapart : « Un an pour réaliser des travaux que Tefal et sa maison-mère Seb peuvent largement payer, ce groupe, rentable, ayant en outre bénéficié de 4,9 millions d’euros au titre du crédit-impôt-compétitivité en 2014, pour ne citer qu’une aide publique. »
L’inspection du travail doit rester indépendance du pouvoir politique et du patronat.
La crainte est que le 2ème volet de la réforme de l’inspection du travail concernant les « nouveaux pouvoirs de l’inspection », prévu dans le projet de loi Macron par voie d’ordonnance, vienne fragiliser encore plus l’indépendance de l’inspection. En effet, il est prévu notamment de dépénaliser une partie des infractions au code du travail pour les remplacer par des amendes administratives qui seront fixées par la direction régionale du travail. Le direccte (directeur régional du travail) étant sous l’autorité du préfet, aura du mal à jongler entre les aides publiques accordées aux grosses entreprises en matière d’emploi (contrats aidés en tout genre, apprentissage) et le volet répressif en cas de non-respect de la législation du travail. Nous savons déjà de quel côté le choix se fera…