Bref historique :
Les rapports en l’Etat et l’Office national des forêts (activités, financements, niveau d’emploi …) sont régis par un contrat pluri annuel en application d’une disposition législative en l’occurrence stipulée dans le Code forestier.
De 2002 à 2011, les contrats Etat/ONF provoquent une dégradation sans précédent des conditions de travail : suppressions massives de postes (– 17 %), accroissement de la charge de travail globale, réorganisation permanente et brutale, dérive éthique et commerciale, perte de sens …Cette dégradation génère un mal être profond et les suicides de forestiers sinistrent la maison ONF.
Malgré cela, le contrat 2012-2016 s’inscrit dans la ligne des précédents : destruction de 700 emplois sur 9000 et un nouvel accroissement de la charge de travail globale.
Courant 2012 les postes à supprimer sont annoncés territoire par territoire. Le SNUPFEN Solidaires, fort de ses 40% de représentativité nationale, décide de mettre en œuvre, en plus des moyens d’action syndicale classiques, une action coordonnée des CHSCT de chaque territoire (9 directions territoriales en métropole et 5 directions régionales hors métropole).
L’action des CHSCT territoriaux consistait à demander pour chaque territoire une expertise agréée afin de réaliser une projection des conséquences des suppressions de postes prévues sur les conditions de travail au sens large et sur la santé des personnels. L’expert était également sollicité pour proposer des mesures de prévention.
Cette possibilité de demander au président du CHSCT de faire appel à un expert agréé par le Ministère du travail est prévue par l’article 55 du Décret n° 2011-774 du 28 juin 2011 portant modification du décret n° 82-453 du 28 mai 1982 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la prévention médicale dans la fonction publique. L’article en question prévoit cette possibilité en cas de risque grave ou en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail.
Une expertise agréée : pourquoi faire ?
L’expert agréé par le Ministère du travail fournit, après étude approfondie, une évaluation des conséquences du projet de l’employeur sur la santé et les conditions de travail des salariés. Cet avis externe et « autorisé » rendu par un professionnel des questions d’organisation du travail, de l’ergonomie et des risques santé au travail permet au CHSCT de se prononcer en connaissance de cause et le légitime fortement pour proposer à l’employeur des mesures de prévention en lien avec le dit projet, des aménagements à ce projet voire son annulation pure et simple. Outre l’éclairage technique rendu, l’expertise agréée tend à développer la responsabilisation voire la responsabilité de l’employeur vis-à-vis des conséquences de son projet sur la santé des salariés.
Obtenir l’expertise demandée … pas gagné d’avance
Fin 2012, début 2013 les CHSCT locaux ont délibéré pour demander à leur président respectif (statutairement leur directeur territorial) une expertise agréée. Suivant une directive nationale officieuse, les présidents ont refusé en bloc de donner une suite favorable aux demandes exprimées par les CHSCT locaux.
Explication : l’Etat est un employeur qui se sur protège. Dans le secteur privé c’est le CHSCT qui décide de nommer un expert agréé et l’employeur ne peut que contester l’expertise décidée devant le Tribunal de Grande Instance (article L4614-13 du code du travail). Dans la fonction publique d’Etat, c’est d’après le décret mentionné plus haut l’autorité administrative qui décide de faire appel ou pas à un expert agréé.
En cas de refus de faire appel à un expert, l’autorité administrative doit motiver son refus. A l’ONF, les prétextes invoqués par la direction ont été les suivants :
les demandes des CHSCT ont été jugées « trop générales, trop vagues », les suppressions de postes n’étant pas à ce stade déclinées service par service.
la direction se dit consciente des impacts potentiels des suppressions de postes et prête à discuter des mesures de prévention en CHSCT
la diminution des effectifs ne peut être remise en cause
Le décret prévoit qu’en cas de désaccord persistant entre le CHSCT et l’employeur, il peut être fait appel à la médiation de l’ISST (inspecteur santé et sécurité au travail). Certains CHSCT locaux ont donc fait recours à l’ISST avec des résultats très variables : refus du président du CHSCT de recourir à l’ISST (donc d’appliquer le décret), accord du Président et médiation sans résultat, accord du Président et résultat en faveur de la demande d’expertise.
Dans tous les CHSCT, les militants ont profité des quelques mois les séparant de la déclinaison précise des postes à supprimer, service par service, pour affûter leurs arguments, préciser l’objet de la demande avec l’appui d’experts agréés et définir le cahier des charges de l’expertise à venir.
Le moment venu, les CHSCT ont produit une seconde demande d’expertise. Les directeurs territoriaux, présidents de CHSCT, ont cette fois ci tous répondu favorablement. On peut bien sur penser que ce revirement général de la direction de l’ONF est due en bonne partie aux dispositions mêmes du décret. En effet après une médiation infructueuse de l’ISST et la persistance du désaccord, le décret prévoit le recours à l’inspection du travail. Pour notre part nous pensons que si une direction peut s’inquiéter d’un avis (rien de plus) de l’inspection du travail, ce qui est finalement décisif c’est bien le travail réalisé en amont par les militants (nouvelles demandes plus précises et plus étayées, intégrant souvent le cahier de charges) et leur forte détermination appuyée localement par le soutien physique des collègues.
Quoi qu’il en soit, en mars 2013 la plupart des CHSCT locaux avaient obtenu l’expertise demandée.
Enseignements à tirer : il convient de fournir d’emblée un gros travail pour établir la délibération du CHSCT portant la demande d’expertise. Il faut être précis sur le contexte dans lequel s’effectue la demande et sur ce qu’on attend de l’expertise (définition dés ce stade d’un cahier des charges). Il faut également être au clair sur la manière dont on entend travailler par la suite avec l’expert : de l’appui de l’expert au CHSCT avec implication des militants à tous les stades de l’expertise à la totale délégation de l’expertise à l’expert, il y a plusieurs façons d’envisager la suite …Voir plus loin.
A l’expérience, il faut préparer la demande d’expertise dans l’état d’esprit suivant : soyons surs que la direction va tout faire pour refuser la demande alors rédigeons la le plus précisément possible en vue d’ors et déjà d’un recours à l’ISST voire à l’Inspection du travail mais aussi pour manifester à l’employeur notre totale détermination à aller jusqu’au bout.
Pratique : dés ce stade, se rapprocher de Solidaires pour glaner de précieux renseignements et contacter plusieurs experts agréés pour demander conseil. Ces cabinets savent se montrer disponibles pour tout échange et même, gracieusement, pour des rencontres de travail sur le sujet. Cette démarche permet également de découvrir les différentes approches de ces experts et prépare le CHCHT à l’étape qui suit l’acceptation de la demande d’expertise : le choix de l’expert.
A suivre dans les prochains numéros du bulletin:
- choisir l’expert: quel est l’enjeu?
- le choix des experts concrètement;
- l ‘expertise en soi: les réussites, les échecs, les utilités;
- ce qu’on n’attendait pas
- les suites.