(suites de l’article paru dans le numéro 41)
Choisir l’expert : quel est l’enjeu ?
Concernant le choix de l’expert, l’État est là encore un employeur qui se
sur protège. Dans le secteur privé c’est le CHSCT qui choisit l’expert agréé et l’employeur ne peut que contester l’expertise décidée (et non le choix de l’expert) devant le Tribunal de Grande Instance (article L4614-13 du code du travail). Dans la fonction publique d’Etat, le décret mentionné plus haut ne précise rien. C’est la raison pour laquelle l’employeur public se retranche régulièrement derrière le prétexte d’obligation d’appel d’offres (marchés publics) pour prendre la main sur le choix de l’expert.
Dans ce domaine la jurisprudence est abondante et constante : il n’y a aucune obligation d’appel d’offres pour les expertises agréées demandées par les CHSCT. Les représentants du personnel au sein du CHSCT et le président de l’instance sont donc condamnés à s’entendre. Pour les expertises réalisées à la demande des CHSCT de l’ONF, les militants ont pris bien soin de préciser ce point dans les délibérations portant les demandes d’expertise : « Le CTHSCT sera associé à l’élaboration du cahier des charges, au choix de l’expert, à la mise en place et au suivi de cette expertise. » Quel est l’enjeu ? Le petit monde des experts agréés par le Ministère du travail se compose de plusieurs « tendances ». On y trouve des cabinets d’expertise résolument militants avec une déontologie forte comme on y trouve des cabinets se situant ouvertement dans l’accompagnement des politiques patronales. On y trouve des experts fondant leur démarche sur des références théoriques claires et connues (FRPS, Karasek, INRS, DARES…) et d’autres sur des concepts moins reconnus. Les différents experts ont forcément des expériences très variables des sujets qui nous préoccupent. Le choix de l’expert est donc tout sauf neutre. Et puis surtout si on fait, comme les CHSCT de l’ONF, le choix de piloter l’expertise avec l’appui d’un expert agréé et non celui d’une délégation totale de l’expertise au cabinet retenu, il va falloir travailler en continu avec cet expert. Là encore il y a des différences très notables entre les experts qui demandent ouvertement à travailler avec le CHSCT et ceux qui le souhaitent moins ouvertement. Il y a donc là aussi un enjeu important.
Le comité de pilotage ou de suivi de l’expertise
A ce stade l’expertise agréée demandée par le CHSCT est acceptée par l’administration. Le cahier des charges est, dans l’idéal, déjà rédigé dans ses grandes lignes dans la délibération du CHSCT demandant l’expertise. Un comité de pilotage ou de suivi de l’expertise comprenant des représentants du personnel au CHSCT et de l’administration doit être mis en place. Il est souhaitable d’y associer l’assistant du service social et le médecin de prévention siégeant au CHSCT. Le rôle de ce comité doit être à notre avis :
- de préciser le cahier des charges ou à défaut de le rédiger de A à Z si la délibération initiale est restée évasive sur le sujet
- de lancer une consultation des experts agréés proposés par les représentants du personnel et/ou par l’administration. Il est impératif que les représentants du personnel soient force de proposition vu l’enjeu que représente le choix de l’expert.
- d’auditer les experts ayant répondu à la consultation
- de choisir le cabinet qui fera l’expertise. Le choix de l’expert étant tout sauf neutre, l’Administration met le plus souvent tout en oeuvre :
– non pas pour faire retenir l’expert dont elle pense qu’il « serait bien » ou qui est le moins cher : le risque d’un blocage avec les représentants du personnel serait trop important.
– mais plutôt pour faire écarter celui ou ceux dont, renseignements pris, elle aurait le plus à craindre de leur indépendance et de leur déontologie et qui sont en général le premier choix des représentants des personnels…
Il convient pour les représentants du personnel de défendre fermement leur premier choix. Au-delà des arguments techniques liés au choix lui-même, il est toujours utile de rappeler que dans le secteur privé, l’expert est nommé par …le CHSCT alors pourquoi pas dans le public ? Et de questionner ouvertement l’Administration : que craint-elle au juste ?
- de suivre le déroulement de l’expertise par des points d’étape réguliers avec l’expert. Nous évoluons dans des environnements de travail techniques et culturels dont certains aspects importants peuvent facilement échapper à un acteur extérieur. Il convient au cas où, de s’en apercevoir avant la fin de l’expertise. Par ailleurs, le cas peut se présenter (vu à l’ONF) d’un pré rapport d’expertise rejeté à l’unanimité par les représentants du personnel d’un CHSCT: éléments tronqués, mal analysés, ambigus, préconisations surprenantes de faiblesse et pour certaines tellement tendancieuses qu’elles semblent dictées par le patron, contre-vérités du type « les conflits sociaux paralysent l’établissement » … Dans ce cas, sans un suivi en continu qui a permis de faire sérieusement « rectifier le tir », l’expertise demandée par le CHSCT n’aurait servi à rien en terme de prévention. L’Administration aurait même pu s’en servir pour justifier ce projet là mais également par la suite pour appuyer sa stratégie de long terme.
Les expertises CHSCT à l’ONF : tout ça… pour ça
Chacune des 9 directions territoriales que comprend la métropole ainsi que le siège de l’ONF à Paris ont fait l’objet d’une expertise agréée. Au final ce sont 10 rapports d’expertise qui ont été produits par 5 experts agréés différents. Chaque rapport comporte en moyenne 160 pages d’études, d’enquêtes, d’analyses, d’alertes et de préconisations.
Le travail mis en avant
- Le travail au milieu des années 2010 à l’ONF : c’est quoi ? Dans chaque territoire, pour chaque métier, pour chacun ? En quoi le travail y est-il malade et de quoi souffrent les personnels ? Comment-en est-on arrivés là ? Mêmes causes, mêmes effets : que risque-t-il de se passer ? Que faire? Les expertises répondent. Par cette démarche, le collectif s’est doté d’un
outil d’exception. - Favoriser l’expression des salariés sur leur travail : Ces expertises s’appuient sur l’expression directe des personnels et de tous les acteurs au travers de centaines d’entretiens personnels ou collectifs menés et analysés par des experts extérieurs le plus souvent indépendants. A l’ONF comme ailleurs, le caractère représentatif des organisations syndicales est ouvertement remis en cause par direction et gouvernement : d’après eux les syndicats noirciraient le tableau et de ce fait seraient responsables du malaise ambiant !!! Personne n’est dupe : au-delà d’un discours anti syndical primaire, c’est bien l’expression des salariés qu’ils veulent passer sous silence. Avec ces expertises, le déni de la direction n’est plus possible car les rapports produits confirment, territoire par territoire, point par point, les analyses que nous portons depuis des années sur le travail et la souffrance des personnels. Ces expertises agréées rendent l’expression des salariés sur leur travail désormais incontournable et toute leur légitimité à ceux qui les représentent au quotidien.
- Le travail réel dit par ceux qui le font : Le travail réel est le grand oublié des gestions par objectifs dont le postulat peut se résumer à : seul le résultat compte, aux salariés de se débrouiller du comment atteindre ce résultat. Les expertises ont permis de revenir au travail réel décrit par ceux qui le font. Outre l’intérêt de faire parler travail dans un contexte croissant d’omerta décrit par les experts, la démarche a permis de démontrer en quoi l’écart entre travail réel et travail prescrit est générateur de souffrance à l’ONF : injonctions contradictoires, défaut de reconnaissance du travail réellement fait donc de celui qui le fait, mésestime de soi, inadéquation objectifs/moyens, débordement, usure …Bien comprendre ce processus et le faire comprendre à tous les acteurs est essentiel car porteur d’avenir en matière de santé au travail.