Malgré l’obstination du gouvernement à faire passer à coup de 49.3 son projet de loi travail, l’utilisation de la répression contre les mouvements qui luttent depuis le 9 mars, tout le monde, sauf le Medef et la CFDT déteste la loi travail. En effet, les trois quarts de la population rejettent ce projet de loi et ne supportent plus un gouvernement au service du capitalisme, dont la soif de régression sociale n’est jamais assouvie. Le gouvernement parle de modernisation, de compétitivité, comme si ces phénomènes relevaient de causes naturelles, alors qu’ils sont la conséquence de choix politiques assumés, au service des intérêts d’une classe : celle des dominants !
Non contents de proposer une loi qui va subordonner les libertés et droits fondamentaux de la personne aux seules nécessités de l’entreprise (article 1), remettre en cause la hiérarchie des normes (article 2) en octroyant aux accords d’entreprises une primauté qui aboutira à des normes sociales (salaires, temps de travail…) en baisse et à un dumping social sans fin. Cerise sur le gâteau, le projet de loi travail va également tracer la route de la destruction programmée de la médecine du travail, du moins ce qu’il en reste, au profit d’une médecine de sélection.
Aujourd’hui, la situation de la médecine du travail n’est certes pas idéale : pénurie de médecins du travail, mise en place difficile de l’équipe pluridisciplinaire, pas assez débattue, … Pour autant, les missions des médecins et des services de santé au travail sont clairement au bénéfice des travailleurs-ses :
– conduire les actions de santé au travail dans le but de préserver la santé physique et mentale des travailleurs-ses tout au long de leur parcours professionnel ;
– conseiller les travailleurs-ses et leurs représentants, les employeurs, sur les dispositions et mesures nécessaires afin d’éviter ou de diminuer les risques professionnels, d’améliorer les conditions de travail, de prévenir la consommation d’alcool et de drogue sur le lieu de travail, de prévenir ou de réduire la pénibilité au travail et la désinsertion professionnelle et de contribuer au maintien dans l’emploi des travailleurs ;
– assurer la surveillance de l’état de santé des travailleurs-ses en fonction des risques concernant leur sécurité et leur santé au travail, de la pénibilité au travail et de leur âge ;
– participer au suivi et contribuer à la traçabilité des expositions professionnelles et à la veille sanitaire.
Pour résumer, les services de santé au travail ont donc pour mission d’éviter toute altération de la santé des travailleurs-ses du fait de leur travail. Leur mission est donc essentiellement préventive.
De plus, grâce à l’article L 4624-3 du projet de loi travail, le médecin qui constate la présence d’un risque pour la santé des salarié-e-s, devrait proposer par écrit des mesures visant à la préserver. L’employeur devrait prendre en considération ces propositions, et en cas de refus il devrait faire connaître ses motifs. Les propositions et les préconisations du médecin ainsi que la réponse de l’employeur seraient tenues à leur demande, à la disposition du CHSCT (ou à défaut des délégués du personnel), de l’inspecteur du travail, et de tout organisme de prévention.
Désormais, le projet de loi travail risque d’introduire de nombreux éléments défavorables aux travailleurs-ses. Dans tous les cas de figure (accident du travail, maladie professionnelle, maladie ordinaire, et quel que soit le contrat, CDD ou CDI ), le projet de loi permettrait la rupture du contrat : « la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’entreprise ». Pour les autres cas, où cette « mention expresse » n’existerait pas (inaptitude avec proposition de reclassement), elle ajoute : « l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé (…) un poste prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail ».
Ces éléments vont clairement faciliter les licenciements pour inaptitude, sans risque pour les employeurs. Il s’agirait donc d’une véritable médecine de sélection. Pour l’essentiel, il s’agirait de cas de « souffrance au travail » et de situations d’usure des travailleurs-ses ayant effectué-e-s des travaux pénibles (Refonte du L 4624 – 1 qui devient les L4624- 1 à 7 et qui concernent à la fois l’ensemble du suivi médical, la question des postes de sécurité et le maintien dans l’emploi).
La logique d’une médecine de sélection apparaît encore plus limpide au regard de la mise en place d’une aptitude aux postes de sécurité (L 4624-2) : ce point pose un problème majeur à la plupart des médecins du travail et aurait nécessité un véritable débat impliquant professionnels médicaux, du droit, et acteurs de l’entreprise.
Les articles suivants L 4624-3 à 6 concernant le maintien dans l’emploi pourraient être forts s’ils n’étaient pas noyés dans les autres : la sélection aux postes de sécurité et la contestation des avis devant le conseil de Prud’hommes (L 4624-7).
Avec les dispositions de la loi actuelle, la contestation de l’avis médical est adressée à l’inspecteur du travail qui intervient dans l’entreprise. Celui-ci peut ainsi agir de concert avec le médecin inspecteur régional du travail, qui peut avoir accès au dossier médical. Le secret médical est ainsi conservé. Il peut alors rentrer en contact avec le salarié et le médecin du travail. L’avantage de cette procédure est qu’elle est confiée à ceux qui connaissent le monde du travail et les questions de santé au travail (et qui de fait sont en faveur des salarié-e-s).
Quant à le projet de loi travail, son article L 4624-7 renverrait les salarié-e-s devant le conseil des Prud’hommes qui ne pourrait qu’entériner la décision du médecin expert, lequel n’y connaît rien en santé au travail, et est l’incarnation même du pouvoir médical. Il n’y aurait aucune prise ne compte de la réalité du poste de travail et de l’entreprise. Cette disposition traduit jusqu’à la caricature la médicalisation, (déjà bien présente dans la pratique des acteurs en santé au travail ainsi que dans le discours dominant du monde du travail : fragilité des individus, etc.). Il s’agirait donc d’un recul majeur.
En résumé, les mesures prévues par le projet de loi travail nous orientent clairement vers une médecine de classe, dévoyée vers la sélection et les seuls intérêts de l’entreprise. Il faut donc résister à tout prix et imposer des revendications qui préservent la santé des travailleurs-ses.
La santé au travail, ça ne se négocie pas !