Le rapport Lecocq
Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée

A partir du constat de l’inefficacité (relative) du système de prévention des risques au travail en France, liée selon les auteurs à sa complexité et aux contraintes excessives de la réglementation, le rapport Lecocq propose de « fortement réorganiser le système dans son ensemble et en simplifier le fonctionnement pour gagner en lisibilité et en effectivité » afin de « favoriser l’accès des entreprises aux dispositifs de prévention. »

Une structure unique

Pour ce faire, il propose de mobiliser autour des objectifs du Plan Santé Travail 3, (qu’il qualifie d’exemplaires) tous les acteurs « réunis sous le même toit et sous une même bannière (France Santé au travail et des structures régionales de droit privé en étroite relation » (Toutefois il exclut d’emblée la MSA dont le fonctionnement est jugé très satisfaisant !) et de mettre ainsi à disposition des entreprises un « guichet unique » pour une offre de service incluant :
– Le suivi de l’état de santé des travailleurs ;
– Un accompagnement pluridisciplinaire en prévention des risques ;
– L’aide au maintien dans l’emploi ;
– L’accès à un centre de ressources diffusant les outils et guides utiles ;
– La formation des acteurs de l’entreprise à la prévention ;
– Le conseil aux entreprises dans le choix d’un intervenant externe habilité.

La structure régionale de prévention « Région santé travail » est l’interlocuteur privilégié, interface de proximité avec les entreprises ; elle a pour mission d’intérêt général la préservation de la santé au travail. Elle est dotée d’antennes locales permettant de maintenir la proximité géographique avec les entreprises. Elle rassemble les SSTIE, les agents de prévention des CARSAT, de l’OPPBTP, les compétences de l’ARACT . Elle peut s’appuyer sur un réseau de prestataires privés qu’elle habilite et anime.

L’activité de la sécurité sociale est donc scindée en 2 : la réparation/tarification reste à la Carsat, la prévention bascule à Région Santé Travail.

La fonction de contrôle de la conformité au droit est exercée par l’inspection du travail. Les MIRT, soulagés de l’agrément des SSTI, pourraient être rattachés aux agences régionales de santé (ARS). Ils retrouvent leur rôle dans les recours contre les avis d’aptitude/ inaptitude rendus pas les médecins du travail.

La gouvernance

  • La structure nationale assure le déploiement du PST :
    – Le pilotage est assuré par une double tutelle des ministères en charge du travail, de la santé et des affaires sociales, qui associe les autres ministères intéressés. Le COCT conserve son rôle d’instance consultative et de concertation placée auprès des ministres pour les orientations et le suivi des politiques en matière de santé
    – La structure nationale, organisme de droit public qui peut être un EPA, dispose d’un conseil d’administration où siègent à côté de l’Etat les seuls partenaires sociaux.
  • Les structures régionales assurent le déploiement opérationnel des PRST. Elles sont pilotées par les Direccte en lien avec les ARS. Leur CA est paritaire, où siège le représentant de l’Etat en région et regroupe les compétences des CA des SST, de l’OPPBTP, de la CRAT-MP, de l’Aract.

Le financement

Le rapport propose de « refonder le système de financement de la santé au travail pour gagner en transparence, lisibilité et efficacité » :

  • Les cotisations des entreprises (SST et OPPBTP) seraient regroupées avec celles des AT-MP et recouvrées par les URSSAF ;
  • Un fonds national de prévention regrouperait l’ensemble desressources destinées à la prévention(contribution de l’Etat, cotisatiosn des entreprises, fonds de la barnche aTMP affectés à la prévention, contribution de l’Agefiph, une participation des organismes de complémentaire santé…

Ce fonds financerait la structure nationale et les structures régionales, sous le contrôle de la structure nationale.

L’idéologie

Le rapport Lecocq pose d’emblée le postulat d’un comportement vertueux des entreprises, qui ne demanderaient qu’à améliorer les conditions de travail et à faire de la prévention leur priorité si elles y étaient aidées par des structures compétentes et bienveillantes, tant il est évident que la promotion de la santé des salariés va de pair avec la performance économique de l’entreprise !

A l’inverse trop de contraintes réglementaires et de contrôles font obstacle à l’engagement des entreprises dans la prévention. Il faut donc favoriser la liberté des entreprises et séparer radicalement le conseil et le contrôle. « L’obligation de sécurité de résultat, poussée à l’extrême, décourage la prévention » (page 65)

Ainsi il convient de « positionner la structure régionale comme l’interlocuteur de confiance pour les entreprises en matière de conseil en prévention n’exerçant aucune mission de contrôle. » (page 132).

Or s’il suffisait de conseiller avec bienveillance ça se saurait : les médecins et inspecteurs du travail, les contrôleurs des Carsat s’y emploient depuis des dizaines d’années. Le rapport méconnaît la réalité : les tensions qui traversent le monde du travail et le rapport de force très inégal dans lequel se traitent les questions de sécurité et santé. La présentation simpliste des entreprises vertueuses ne sert qu’à soutenir le socle du rapport : il faut alléger la réglementation, les contraintes et les contrôles et faire confiance aux entreprises « engagées dans une démarche proactive de prévention des risques et d’amélioration de la santé au travail » plutôt que les décourager avec des contrôles menaçants… L’esprit du rapport est donc dans le droit fil de la philosophie des ordonnances travail. Les belles intentions exprimées avec beaucoup d’enthousiasme : répondre aux besoins des entreprises au niveau local, surtout les plus petites d’entre elles, valoriser les métiers de la prévention, renforcer les équipes et redonner du sens à leur action…ne masquent pas les orientations de fond : réduire les obligations pour les entreprises et affaiblir les structures chargées de la prévention en milieu de travail en les réduisant à un simple rôle de conseil, sur demande des entreprises, sans aucune mission de contrôle.


Consulter le rapport Lecocq (PDF)


Les 16 recommandations du rapport

Recommandation n°1 : Donner davantage de visibilité nationale à la politique de santé au travail

Le Plan Santé Travail est présenté comme la référence absolue :
« Inscrire dans la loi l’obligation d’élaborer le Plan Santé Travail et prévoir un rapport régulier devant la représentation nationale ;
Faire du Plan Santé Travail le volet opérationnel de la politique de santé au travail de la Stratégie nationale de santé ;
Piloter le Plan Santé Travail sous l’égide du comité interministériel pour la santé ;
Mieux évaluer la mise en œuvre et l’impact du Plan Santé Travail, notamment en améliorant les indicateurs de réalisation et d’impact par des études évaluatives ciblées de certaines actions réalisées dans le cadre du plan.
»

Recommandation n°2 : Consacrer un effort financier dédié et significatif à la prévention

« A partir des excédents de la branche risques professionnels consacrer un effort financier significatif aux actions en faveur de la prévention dans les entreprises ;
Mettre en perspective lors des discussions parlementaires relatives à la loi de finances et à la loi de financement de la sécurité sociale les parts respectives consacrées à la prévention des risques professionnels.
»

Recommandation n°3 : Inciter les branches à s’emparer des questions de santé et de qualité de vie au travail

« Fixer une part minimale du 2 % des cotisations versées, prévu pour les prestations à caractère non directement contributif de solidarité dans le cadre d’un contrat de protection sociale complémentaire relevant du degré élevé de solidarité obligatoire, à consacrer aux actions de prévention collective. »

Recommandation n°4 : Inciter les entreprises à s’engager davantage dans la prévention par une approche valorisante

« Ne pas fonder l’incitation à la prévention sur la seule menace de la sanction ;
Augmenter significativement le montant des aides destinées aux entreprises et dédiées à la prévention ;
Financer les baisses de cotisations des entreprises s’engageant dans des actions de prévention innovantes ;
Accompagner les entreprises dans l’élaboration et le suivi d’indicateurs de performance en santé au travail, mis en perspective avec les indicateurs de performance globale pour leur donner à voir le retour sur leur investissement en matière de prévention ;
»

Recommandation n°5 : Mieux articuler la santé au travail et la santé publique pour une meilleure prise en charge de la santé globale des travailleurs

Dans cette recommandation plusieurs propositions pour introduire des campagnes de santé publique et faire évoluer le dossier médical partagé.
Ces propositions sont à double tranchant. Sous un premier abord de « bon sens » il y a un réel risque de brouillage des messages de prévention et de renvoi à la responsabilité individuelle. Il suffit d’entendre les messages publicitaires diffusés actuellement par Malakoff-Médéric pour se faire une idée de ce qui nous attend avec cette recommandation.

Recommandation n°6 : Renforcer le rôle de la structure régionale et du médecin du travail pour prévenir la désinsertion professionnelle

Cette recommandation redécouvre la problématique du handicap et du maintien dans l’emploi, (pourtant bien connue des acteurs de terrain depuis des dizaines d’années) et prétend résoudre la question en proposant une usine à gaz rénovée…
« Engager une réflexion pour une refonte complète du cadre juridique et institutionnel visant à clarifier et simplifier le parcours d’accompagnement e juridique et institutionnel visant à clarifier et simplifier le parcours d’accompagnement du travailleur handicapé et plus généralement de tout travailleur exposé à un risque de désinsertion consécutif à son état de santé… »

Recommandation n°7 : Mobiliser efficacement la ressource de temps disponible des médecins du travail et des personnels de santé

  • Moderniser les outils du quotidien (systèmes d’information interconnectés, plateformes internet pour la prise de rendez-vous, développer la télémédecine…)
  • Au profit d’un investissement plus grand envers certains salariés :
    – présentant des problèmes de santé susceptibles d’entrainer leur désinsertion professionnelle qu’il s’agisse de motifs d’inaptitude à leur poste dans l’entreprise ; de pathologies chroniques nécessitant des mesures pour le maintien dans leur poste ;
    – appartenant à des populations à risques telles que les apprentis, les jeunes salariés ou les salariés vieillissant… ;
    – dans des formes d’emploi précaires ;
    – en situation de handicap.

Recommandation n°8 : Former les différents acteurs de la prévention dans un objectif interdisciplinaire

– Référentiel national de compétences en matière de pratiques de prévention ;
– Formaliser l’ensemble du corpus théorique et méthodologique en matière de santé travail, accessible à l’ensemble des acteurs.

Recommandation n°9 : Mieux prendre en charge la prévention des risques liés aux organisations de travail et à leurs transformations

Cette recommandation concerne les RPS : formation (des intervenants en prévention, managers de proximité et membres du CSE, des conseils extérieurs en entreprise…), formation initiale des managers et ingénieurs, recherche sur les liens entre santé et transformations du travail, développer l’ingénierie et le déploiement des démarches participatives impliquant les salariés dès la phase de conception et de mise en place de nouvelles organisations du travail…

Recommandation n°10 : Mettre en place au sein de chaque structure régionale une cellule spécifiquement dédiée à la prise en charge des RPS

« Cette cellule figurant obligatoirement dans l’offre de service minimale de la structure régionale, interviendrait :
– À la demande d’une entreprise souhaitant engager une démarche de prévention ;
– A la demande d’un salarié ou travailleur indépendant souhaitant bénéficier d’un appui à la gestion de ses RPS, indépendamment de l’entreprise et dans le respect de la confidentialité ;
– En cas de signalement de RPS laissant craindre des facteurs pathogènes dans une entreprise, une organisation ou un secteur d’activité.
»

Recommandation n°11 : Organiser au sein de la structure régionale un guichet unique

« La structure régionale doit rendre le service de proximité envers les salariés et les employeurs en mettant en place une structure d’accueil permettant une prise en charge personnalisée ;
Cet accueil doit être en capacité de répondre à toute demande du socle d’offre de service relative à la santé et à la qualité de vie au travail en orientant le demandeur vers le bon interlocuteur de la structure ou vers un intervenant extérieur habilité sur son territoire.
»

Recommandation n°12 : Permettre l’exploitation collective des données à des fins d’évaluation et de recherche et généraliser l’interopérabilité des systèmes d’information

Cet objectif est en effet inatteignable dans l’organisation actuelle. Il nécessite une structure unique pour les SST.

Recommandation n°13 : Simplifier l’évaluation des risques dans les entreprises pour la rendre opérationnelle

– Limiter la formalisation de l’évaluation aux risques majeurs dans les plus petites entreprises ;
– Rendre obligatoire un seul document pour toutes les entreprises : le plan de prévention des risques, qui intégrera les éléments d’évaluation des risques se substituant ainsi au document unique d’évaluation des risques (DUER) ;
– Faire accompagner les entreprises pour l’élaboration de leur plan de prévention par les structures régionales et supprimer en conséquence la fiche d’entreprise.

Recommandation n°14 : Proportionner les obligations et les moyens à déployer dans les entreprises en fonction de leur spécificité et des risques effectivement rencontrés par les salariés

Rendre les décrets applicables à titre supplétif lorsque l’entreprise adopte des dispositions de prévention qui répondent au même objectif que la réglementation sans en suivre les modalités d’application concrètes. Une telle logique, sans rien céder à l’exigence de sécurité, serait de nature à réduire l’écart entre les exigences réglementaires et les contraintes du tarvail réel et à améliorer l’effectivité de la prévention.

Recommandation n°15 : Donner les moyens aux partenaires sociaux de participer à la conception, la mise en oeuvre et au suivi des politiques publiques en matière de santé au travail

Il s’agit surtout du financement du paritarisme avec une priorité sur la participation aux politiques de santé au travail.

Recommandation n°16 : Conduire une réflexion pour l’amélioration de la santé et de la qualité de vie au travail de la fonction publique

« Les nombreux témoignages provenant des fonctions publiques incitent la mission à proposer que les recommandations qui peuvent être transposées prennent part dans la réflexion conduite sur la réforme dans les 3 fonctions publiques. »