Le rapport Frimat
Prévention et prise en compte de l’exposition des travailleurs aux agents chimiques dangereux

Chargé le 20 novembre 2017 par les ministres du travail et de la santé d’une mission relative aux risques chimiques, Paul Frimat a remis son rapport en avril 2018 mais il ne fut rendu public que fin août.

Le rapport et ses 23 propositions s’articulent autour de 3 thématiques :
– La prévention : comment améliorer la prévention de l’exposition des travailleurs aux agents chimiques dangereux ?
– La traçabilité : quel suivi de l’exposition des salariés aux agents chimiques dangereux ?
– La compensation : quelle prise en compte des spécificités des agents chimiques dangereux dans les règles d’indemnisation ?

Le terme d’agent chimique dangereux est un terme très large qui recouvre tout agent chimique pouvant présenter un risque pour la santé ou la sécurité des travailleuses et des travailleurs.

Ce qu’il faut retenir du rapport

Le renforcement de la prévention et de la traçabilité du risque chimique est un des axes forts du rapport Frimat qui s’inscrit donc à rebours des politiques précédentes et des propositions contenues dans le rapport Lecocq.

Améliorer le suivi et la traçabilité

Plusieurs mesures sont proposées, la plus importante étant la création d’un dossier ACD (agents chimiques dangereux) dans l’entreprise qui comporterait toutes les informations devant figurer dans le document unique d’évaluation des risques professionnels.

Ce dossier serait adressé au service de santé au travail et soumis au préalable à l’avis du CSE.

Le dossier d’entreprise comprendrait également les fiches de poste, les fiches d’entreprise, les observations des services de santé, ce qui permettrait à ce dernier d’assurer un meilleur suivi des expositions individuelles en faisant le lien entre dossier d’entreprise et dossier médical en santé au travail.

Le rapport préconise de fusionner les dispositions relatives aux ACD et aux agents CMR et par voie de conséquence d’harmoniser le suivi post-professionnel de ces salarié-es et de mettre en place un suivi post-professionnel pour les personnes exposées aux ACD.

Le rôle du service de santé au travail se trouve ainsi renforcé.

A noter que le rapport Lecocq envisage de supprimer le DUERP et la fiche d’entreprise.

Renforcer le contrôle sur les entreprises et sanctionner leurs manquements graves

Le rapport envisage deux types de nouvelles sanctions à l’égard des entreprises qui ne respecteraient pas leurs obligations en la matière : des amendes administratives et l’interruption temporaire d’activité.

A noter que le rapport Lecocq prévoit d’alléger le contrôle de l’inspection du travail sur les entreprises.

Accorder plus de droits aux salarié-es

Le rapport prévoit d’abonder le compte personnel de formation en cas d’exposition aux ACD dans certaines situations, d’expérimenter un parcours de retour à l’emploi pour les victimes de maladies professionnelles liées à des produits sensibilisants (hypersensibilité), d’actualiser la liste des ACD pour interdire aux salarié-es en CDD et aux intérimaires d’exécuter des travaux particulièrement dangereux.

Faciliter la reconnaissance des maladies professionnelles à effet différé

Cette proposition vise à améliorer la reconnaissance des maladies hors tableaux lorsque la preuve est difficile voire impossible à établir.

Développer la recherche

Quelques éléments d’analyse

Qu’entend t-on par agents chimiques dangereux ?

Au niveau juridique ils sont définis à l’article R 4412-3 du code du travail : il s’agit des substances et mélanges suivants :
– Les substances et mélanges répondant aux critères de classification relatifs aux dangers physiques, aux dangers pour la santé ou aux dangers pour l’environnement définis à l’annexe I du règlement (CE) n° 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008.
– Tout agent chimique qui, bien que ne satisfaisant pas aux critères de classification, en l’état ou au sein d’un mélange, peut présenter un risque pour la santé et la sécurité des travailleurs en raison de ses propriétés physico-chimiques, chimiques ou toxicologiques et des modalités de sa présence sur le lieu de travail ou de son utilisation, y compris tout agent chimique pour lequel des décrets prévoient une valeur limite d’exposition professionnelle.

Les agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR) sont quant à eux définis à l’article R. 4412-60 du code du travail. Il s’agit essentiellement des substances ou mélanges classés cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction de catégories 1A ou 1B au sens du règlement (CE) 1272/2008.

Quelques données statistiques sur les expositions des salarié·es

Les principales données sont issues de l’enquête SUMER [1] réalisée par la Direction Générale du Travail (DGT) et la Direction de l’animation de la recherche et des études statistiques (Dares) : 33 % des salarié-es ont été exposé-es à au moins un agent chimique dangereux et 10 % des salarié-es à au moins un produit chimique cancérogène au cours de la semaine précédant l’enquête, soit 2,2 millions de salariés.

L’exposition aux produits chimiques concerne :
– de très nombreux métiers industriels (maintenance, mécanique, métaux, textile, cuir, bois…) ;
– des professionnels des services aux particuliers et aux collectivités, comme les coiffeurs et les esthéticiennes, les aides à domicile et les aides ménagères ou les agents d’entretien, – des professionnels de la santé, et plus particulièrement les infirmiers et les sages-femmes ainsi que les aides-soignant-es. Le rapport distingue deux formes d’exposition aux produits chimiques la multi-exposition et l’exposition intense ou prolongée.

Les interventions de l’inspection du travail

La dernière campagne de contrôle nationale en matière de risque chimique a porté sur les secteurs de la réparation des véhicules automobiles et de la propreté et du nettoyage au cours du dernier trimestre 2010 a montré une très insuffisante application de la réglementation en matière de prévention et de traçabilité des expositions.

La prise en compte du risque chimique est mieux respectée dans les établissements où le nombre de salarié-es est important (+ de 50 salariés).

Le risque était également mieux appréhendé dans les établissements ayant fait l’objet d’un contrôle antérieur. Cette remarque contredit le rapport Lecocq qui affirme l’inefficacité des contrôles et la nécessité d’alléger les obligations réglementaires pour favoriser la prévention.

Sinistralité et pathologies professionnelles

Les accidents du travail liés aux agents chimiques représentent 1% des AT avec au moins 4 jours d’arrêt survenus en 2016 et 2 % des décès.

Sur les 48 762 maladies professionnelles reconnues en 2016, les pathologies liées à l’amiante sont au nombre de 3 345 (dont 1 409 cancers). Hors amiante 346 cas de cancer en lien avec une exposition aux ACD ont été reconnus dont 116 cancers de la vessie, 82 provoqués par des goudrons, 73 par les poussières de bois.

La règlementation actuelle : l’obligation d’évaluer les risques

C’est la première étape de la démarche de prévention des risques de la part de l’employeur qui doit déboucher sur des actions de prévention pour assurer un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleuses et travailleurs.

Il est important de signaler que les obligations des employeurs en matière de traçabilité ont été considérablement réduites depuis 2012. La fiche d’exposition spécifique aux agents chimiques dangereux et aux agents CMR (décret du 7 mars 2008) – ainsi que les attestations d’exposition- a été supprimée au 31 janvier 2012 et remplacée par la fiche de prévention des expositions à la pénibilité supprimée à son tour et remplacée par une déclaration de l’employeur à la Carsat des expositions à certains risques dont les ACD (y compris les poussières et fumées).


Consulter le rapport Frimat (PDF)


[1] Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels, enquête réalisée en 1994, 2002-2003, 2009-2010 et 2016-2017