Le procès en appel de France Telecom

Le harcèlement moral institutionnel est confirmé : une victoire politique

Non seulement la condamnation des prévenu.es pour « harcèlement moral institutionnel » a été confirmée par la Cour d’appel de Paris le 30 septembre dernier, mais elle l’est d’une manière qui semble consolidée par rapport au délibéré de première instance (rendu le 20 décembre 2019). Il s’agit là d’une décision fondamentale dont il convient de prendre la mesure en rappelant la manière dont la Cour d’appel caractérise ce nouveau type de harcèlement :
« Le harcèlement institutionnel a pour spécificité d’être en cascade, avec un effet de ruissellement, indépendamment de l’absence de lien hiérarchique entre le prévenu et la victime. »
Et en affirmant qu’il existe des faits de harcèlement selon lesquels
« des dirigeants d’une grande entreprise peuvent se voir reprocher des faits de harcèlement moral résultant, non pas de leurs relations individuelles avec leurs salariés, mais de la politique d’entreprise qu’ils avaient conçue et mise en œuvre »,
ce verdict peut être un moyen de renouer avec les conflits de classes trop souvent étouffés par le « dialogue social ». À nous d’apprendre à nous en servir pour montrer comment certains dispositifs organisationnels (les réorganisations incessantes, les entretiens individuels, l’organisation matricielle également connue sous le terme « management par projets »…) peuvent créer « un climat d’insécurité permanente pour tout le personnel » et faciliter « la préparation et la consommation des délits de harcèlement moral » (Chambre criminelle de cassation déboutant en 2018 la demande de relaxe de deux complices des prévenu.es dans l’affaire France Télécom avant le renvoi de l’affaire en correctionnel).

De ce point de vue, le verdict du procès en appel doit continuer à alimenter les débats juridiques et par là-même les débats politiques sur la situation précarisée du monde du travail.
Deux exemples, parmi d’autres, qui montrent que la tendance semble déjà prise.

La faute originelle revient à l’organisation du travail

Dans le procès de la SNCF suite à l’accident de Brétigny, le 15 juin dernier, le réquisitoire du procureur commence par pointer la « faute originelle de désorganisation » avant de préciser que « ce n’est pas une mise en cause des cheminots [mais de la] lente dégradation des conditions de travail qui ont été impactées par des objectifs de rentabilité qui leur étaient imposés. » Ce réquisitoire montre que les arguments patronaux et conservateurs qui mettaient en avant les « responsabilités individuelles » ont fait long feu. Les lignes de force du débat public sont en train de changer. Le droit des affaires, ou le droit d’entreprendre de l’employeur, n’exclut pas de questionner ses « objectifs de rentabilité » dès lors que ceux-ci ne satisfont pas à ses obligations de sécurité et, c’est là que se situe le caractère novateur, de demander sa condamnation pénale sur le chef de harcèlement institutionnel, c’est-à-dire avant toute consitution d’une « faute inexcusable » de l’employeur en cas de victimes. (Le verdict du procès de la SNCF sera rendu le 26 octobre.)
Deuxième exemple, celui d’Aéroport de Paris. Lors d’un procès pour harcèlement qui s’est tenu les 20 et 21 septembre derniers (verdict attendu le 23 novembre), les avocats d’Aéroport de Paris se réfèrent à la qualification du harcèlement institutionnel de FT pour dire que la situation à ADP n’y est absolument pas comparable…
On peut donc dire que si le procès de France Télécom en appel ne fait pas l’actualité des médias, il fait en revanche l’actualité judiciaire.

Une part non négligeable de déception

L’autre côté de la pièce de ce verdict d’appel, c’est la disparition de toutes les condamnations fermes. L’arrêt s’excuse de maintenir les 15 000 euros d’amende, somme ridicule pour des patrons coupables d’avoir mis en place un système de harcèlement qui a fait plusieurs dizaines de morts et qui a brisé des milliers de vies. Incompréhensible est aussi la relaxe d’un des quatre prévenus jugés en tant que complices, et qui s’est montré particulièrement zélé dans la « politique d’entreprise condamnée ».
De nombreuses parties civiles ont vu leur indemnisation passer de 10 000 euros à 1 euro symbolique ! Et cela alors même que ces sommes ont déjà été totalement payées par l’entreprise suite à la mise en place d’un dispositif d’indemnisation parallèle à la procédure judiciaire s’appuyant sur le préjudice moral reconnu en première instance pour l’ensemble des salarié.es présent.es pendant la période concernée. Mais comment des victimes peuvent-elles accepter que ce travail douloureux de réparation soit ainsi effacé par la Cour d’appel ? Par ailleurs, la limitation du remboursement des frais d’avocats des parties civiles à 1 500 euros est-elle un message envoyé aux organisations syndicales, aux lanceurs d’alerte, pour les décourager d’engager une procédure ? Cette décision passe d’autant plus mal que les avocats des parties civiles ont, quant à eux, touché plusieurs dizaines de millions d’euros via les assurances des prévenus.

Les prévenus font un recours en cassation

Nous savions par ailleurs que le jugement en appel serait sans doute sous la menace d’une cassation, ce qui est aujourd’hui confirmé. Le monde réel ne doit pas tourner autour du droit, de la loi et des cours de justice. Si les patrons de France Télécom, condamnés pour harcèlement moral institutionnel sortent libres, avec seulement quelques milliers d’euros d’amende à payer, ils doivent être frappés d’indignité. Et il faudra que le monde du travail interpelle les élu·e·s de la nation pour durcir la loi sur le harcèlement moral institutionnel, avec des peines plus lourdes et des amendes dissuasives, mais aussi pour insister sur le recul de la prévention des risques dans les entreprises depuis les ordonnances Macron et la nécessité de rétablir les CHSCT sans lesquels ce procès n’aurait probablement pas eu lieu !

Autour du procès

Après la publication des chroniques de première instance, « La raison des plus forts », on a renouvelé l’expérience : des artistes, auteur·rices, sociologues ont de nouveau posé leurs regards croisés sur les audiences du procès en appel en se faisant chroniqueurs judiciaires d’un jour :
http://la-petite-boite-a-outils.org/category/proces-france-telecom/
https://proceslombard.fr/
Pour prolonger ce travail, un projet de documentaire est en cours d’élaboration, pour lequel un appel aux dons a été lancé, à faire parvenir à Sud PTT…