La responsabilité de l’employeur à l’égard des visites médicales obligatoires

En fonction d’une jurisprudence constante, l’employeur qui ne s’assure pas que les salariés bénéficient du suivi médical auquel ils ont droit est considéré comme ayant manqué à son obligation de sécurité. La surveillance médicale des salariés qu’il s’agisse de la visite d’embauche, de la visite périodique ou encore de la visite de reprise est considérée comme un des éléments essentiels de la protection des salariés et l’employeur et le non respect de cette obligation représente un préjudice pour le salarié.
Voici quelques jurisprudences intéressantes qui illustrent ces principes :

  1. Le décès d’un salarié intérimaire après un malaise cardiaque alors qu’il était en mission avait été reconnu par la caisse d’assurance maladie comme un accident du travail.
    Les ayant droits du salarié avaient engagé une action pour faire reconnaître la responsabilité de l’employeur qui n’avait pas fait passer la visite d’embauche au salarié pendant sa période d’essai.
    Les juges ont estimé que la faute inexcusable de l’employeur était caractérisée dès lors que le salarié avait été privé d’un examen médical, sans qu’il soit nécessaire de discuter du lien de causalité exact entre l’absence de visite médicale et l’accident cardiaque.
    Ce que met en évidence ce nouvel arrêt c’est le principe constamment affirmé en vertu duquel l’employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des salariés dans une entreprise.
    (Cass.2e civ., 14 mars 2013, n° 11-27.989)
  2. De même les visites médicales complémentaires prescrites par le médecin du travail relèvent également de l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur.
    Dans cette affaire un salarié après un arrêt de maladie, avait été déclaré « apte sous réserve d’un suivi par le médecin traitant. Examen complémentaire prévu». Or l’employeur n’a pas fait pratiquer cet examen complémentaire et a par ailleurs décidé de détacher le salarié auprès d’une filiale. Deux ans plus tard le salarié reconnu victime d’une maladie professionnelle (syndrome dépressif) est licencié pour inaptitude.
    La cour de cassation a déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse au regard du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, qui n’a pas organisé la visite complémentaire ni n’a demandé l’avis du médecin du travail à propos du détachement. La visite médicale aurait pu permettre au médecin de déconseiller le changement de poste de travail au regard de l’état de santé du salarié et éviter le déclenchement de la maladie professionnelle.
    (Cass.soc., 26 septembre 2012, n°11-14.742)
  3. La visite médicale d’embauche a un caractère obligatoire y compris pour les salariés en contrat précaire. Par ailleurs elle doit avoir lieu avant la fin de la période d’essai.
    Dans plusieurs affaires la cour de cassation a estimé que des employeurs avaient manqué à leur obligation de sécurité en n’organisant pas de visite médicale d’embauche qu’elle que soit la durée d’emploi des salariés. Peu importe par ailleurs le lien entre l’absence de visite et une dégradation de l’état de santé du salarié (qui aurait pu être décelée par le médecin du travail).
    En outre la cour de cassation rappelle que le salarié a automatiquement droit à des dommages et intérêts, l’absence de visite médicale d’embauche cause nécessairement un préjudice au salarié.
  4. Mais l’obligation de sécurité ne s’étend pas à toutes les situations.
    Une salariée reprochait à son employeur de ne jamais lui avoir fait passer de visites médicales et entendait obtenir des dédommagements au titre du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. Elle demandait également réparation du « préjudice de perte de chance », en estimant que l’examen médical aurait permis de détecter le cancer (non professionnel) qu’elle avait développé et qui aurait donc pu être soigné plus tôt.
    Les juges ont écarté la responsabilité de l’employeur car le cancer étant gynécologique, il n’aurait pu être détecté par le médecin du travail. En revanche l’employeur a du verser 5000 euros au titre du préjudice subi par la salariée pour n’avoir pas bénéficié de visites médicales.
    On voit dans cette affaire que l’objet de la visite médicale obligatoire est là pour déceler les symptômes apparents d’une maladie (et non de faire un bilan de santé) et qu’en cas de carence l’employeur est tenu d’en réparer les conséquences.
    (CA Versailles, 27 novembre 2012, 6e ch., n°11/03208)

Ces jurisprudences doivent nous interroger sur les moyens des services de santé au travail. Car si les employeurs ont des obligations encore faut-il qu’ils aient en contrepartie les moyens nécessaires de respecter le code du travail et disposer notamment de médecins du travail en nombre suffisant. Or le rapport de la cour des comptes1 a montré que les visites périodiques étaient loin d’être systématiques pour défaut de temps médical disponible lié à la pénurie de médecins du travail mais aussi parce que les autres visites (d’embauche, de reprise et occasionnelles) sont en augmentation, certaines d’entre elles étant considérées prioritaires au regard des sanctions encourues par l’employeur.
Les moyens des services de santé doivent être à la hauteur des enjeux et de l’obligation de santé et de sécurité au travail faite à tout employeur, pour Solidaires il y a urgence. Cette urgence a été signalée auprès du ministre du travail par le conseil d’orientation des conditions de travail : « La diminution du nombre de médecins du travail constitue un problème grave. Il apparaît nécessaire que les pouvoirs publics envisagent toutes les mesures aptes à ce que les services de santé au travail disposent des médecins et des infirmiers ainsi que des intervenants en prévention des risques professionnels qui leur sont nécessaires ».

1 Les services de santé au travail interentreprises : une réforme en devenir novembre 2012