La direction de Renault condamnée pour harcèlement moral au Technocentre

Paulo, ingénieur Arts & Métiers, travaillait au Technocentre à Guyancourt (Yvelines), premier site tertiaire d’ingénierie qui concentre quotidiennement environ 14 000 personnes, parmi lesquelles 4 000 prestataires.

Après des années passées dans la recherche, Paulo apprend la suppression brutale de sa direction opérationnelle en 2013 pour cause de réorganisation. Muté dans un autre département comme ses collègues, il restera sans activité et sans projet de reconversion pendant plus de 6 mois. Chacun devra se débrouiller seul pour chercher un job, sans accompagnement RH ni hiérarchique.

Mai 2014, à 55 ans, Paulo trouve enfin un poste dans le secteur des systèmes d’aide à la conduite, dans le cadre d’une activité totalement nouvelle pour lui.

Il prévient d’emblée qu’il n’a pas d’expérience dans le domaine, que sa prise de fonction nécessitera des formations, mais il souhaite relever le challenge. Le N+1 et N+2 qui l’accueillent, le rassurent en expliquant que le travail n’est pas si difficile, qu’un temps d’adaptation est prévu, que le poste sera à périmètre réduit avec formation et montée progressive en compétence. Mais fin 2014, le ton change : L’entretien individuel sanctionne une atteinte partielle des objectifs et un bilan négatif. Les mêmes qui se montraient attentifs à l’embauche, deviennent critiques et cherchent à imposer un PPI (Plan de Progrès Individuel) déstabilisant, 7 mois seulement après la prise de fonction. Ils ne peuvent ignorer que la mise en place d’une telle procédure peut conduire à un licenciement pour insuffisance professionnelle.

Paulo ne se doutait pas qu’il allait être broyé par l’ambition de ses hiérarchies

Dès lors, Paulo va entrer dans un processus de souffrance qui ne connaîtra pas de pause. Démuni et culpabilisé, il cherchera en premier lieu le soutien de la médecine du travail, laquelle convoquera les hiérarchies pour tenter de tempérer leurs exigences. Plusieurs semaines d’arrêts de travail suivront.

Pourtant, malgré l’alerte des médecins et les mises en garde du représentant du personnel SUD, les hiérarchiques reprendront leurs manœuvres de culpabilisation à son retour : « Ton boulot, maintenant ce sont les autres qui le font ! Il n’y a pas de surcharge d’activité dans le service, tu es le seul à avoir un problème ! »

Devant le salarié qu’il a contribué à fragiliser, le N+1 pratiquera l’humiliation : « Pour ta formation prévue, tu attendras quelques semaines… des fois que d’ici-là, on t’ait mis à vider les poubelles ou nettoyer les chiottes… ». Après les formations refusées, Paulo apprendra que son activité est transférée à la sous-traitance. Cette mise au placard sera l’élément déclencheur d’une dégradation irréversible de sa santé et d’un accident du travail reconnu par la CPAM.

Les élus SUD demandent un CHSCT extra

Nous voulions une enquête afin d’identifier toutes les responsabilités et éviter que pareille situation ne se reproduise. Dans un premier temps, les élus CFE-CGC et CFDT majoritaires refusent notre proposition en prétextant vouloir rencontrer le service médical avant toute décision. A la seconde réunion, la responsable RH imposée par la direction aura fini de les convaincre « que tout avait été fait pour accompagner Paulo ». Toute relation entre les difficultés du salarié et le contexte du service ou la charge de travail, est réfutée, contre l’avis du médecin du travail. Bien que les risques psychosociaux fassent partie de ses missions, le CHSCT refusera définitivement notre demande d’enquête. Cette manœuvre bien huilée devait permettre à l’entreprise et aux hiérarchies de sortir irréprochables.

Il est bien regrettable qu’un tel résultat, obtenu sous la pression de la direction, intervienne dans un établissement historiquement marqué par plusieurs suicides 9 ans plus tôt.

Aidé d’élus obséquieux, RENAULT a fait le choix du pourrissement en couvrant les agissements de l’encadrement. Il ne restait ensuite qu’à activer la mobilité des personnes en cause. Si les 2 hiérarchiques se virent retirer toute autorité de management, ils purent néanmoins profiter de nouveaux postes motivants et valorisés. À l’inverse pour Paulo, ce sera une simple offre d’assistant technique, qu’il refusera. Même sous traitement, il n’aura jamais la force de revenir au Technocentre. Son licenciement suivra l’avis d’inaptitude à tout poste prononcé par le médecin du travail.

Saisi par le salarié et par SUD, le conseil des Prud’hommes a confirmé que l’ensemble de ces éléments étaient constitutifs d’un harcèlement moral, et a ordonné l’annulation du licenciement. RENAULT, qui n’a pas fait appel pour faire profil bas, sera condamné à verser une indemnité totale de 52 000 € au salarié, en compensation du préjudice subi.

Paulo ne réclamera pas sa réintégration, mais ce jugement constituera une réparation pour lui. Dans son malheur, il a eu la chance de ne pas rester isolé et de compter sur des élus qui l’ont soutenu jusqu’au bout.