Jour 30.1 – A dessein

L’audience du 25 juin 2019 du procès France Télécom, vue par la Compagnie Nous n’Abandonnerons Jamais l’Espoir (Jean Paul Ramat et Fabienne Brugel). La compagnie NAJE a notamment réalisé la pièce de théâtre forum « les impactés » en 2008-2009 sur la situation des salarié·es à France Télécom, visible ici.

Vous connaissez les images composées de centaines de points de toutes les couleurs répartis dans un désordre informel. En laissant flotter votre regard, tout d’un coup une image se distingue : un chiffre, un mot, un dessin qui était là en permanence, invisible . Si vous arrêtez de regarder il faudra refaire le travail d’accommodation pour retrouver le dessin, mais après plusieurs fois par contre il est toujours là, vous ne comprenez même pas comment il a pu être invisible.

Au fil des heures passées à l’audience le procès France Telecom m’apparaît progressivement ainsi.
C’est une succession de cas qui sont rapportés par l’ordonnance de renvoi devant le tribunal et qui se terminent tous par cette phrase :
« le délit de harcèlement moral est constitué »
Et chaque cas comporte des dizaines de faits concrets qui sont autant de ces points colorés formant une partie de l’image générale dont le dessin dit :

UN SYSTÈME DE MANAGEMENT BASÉ SUR LE HARCÈLEMENT MORAL

Alors la défense des prévenus : ceux qui ont fabriqué le système, s’emploie à faire disparaître l’image générale en discutant sur tous les petits détails possibles : non, telle mesure n’est pas du harcèlement, ici la personne a choisi, là ils racontent une autre histoire qui dit que l’ambiance était merveilleuse et que la guerre est jolie…

Les avocats de la partie civile doivent alors reprendre la main pour ramener de l’humain, redonner à chaque fait sa vérité, son importance, sa vraie valeur.
Mais pendant un moment nous avons perdu la vision de l’image d’ensemble et c’est bien à cela qu’ils travaillent.

Le premier témoignage aujourd’hui était fait par la personne elle-même et son témoignage commence par un préambule où elle nous rappelle que toutes les décisions prise dans ce management le sont forcément avec l’aval des plus hautes instances. Elle nous montre le dessein bien en évidence, puis elle nous raconte avec précision tous les avatars du harcèlement moral.
Elle, c’est un témoignage car elle n’a pas été prise en compte dans l’instruction, pour un problème de procédure. La défense des prévenus, vous savez ceux qui ont …a voulu empêcher son témoignage, on les comprend, il est accablant. La présidente du tribunal a souhaité l’entendre, elle a raison : son histoire dessine toute l’accusation.

Avant même qu’elle ne commence, là défense a dit qu’elle n’interviendra pas après, ni pour questionner ni pour répondre ou commenter, elle ne fait pas partie de la procédure : il y a irrecevabilité, ça c’est un mot fort, terrible même : IRRECEVABILITÉ ! Tout peut être vrai, d’ailleurs tout est vrai mais juridiquement n’existe pas, alors surtout ne pas lui donner d’existence : le mépris des dirigeants qui suinte des dossiers se manifeste en direct dans la salle d’audience.

Mais tout le monde a entendu les noms, les organigrammes de commandement.

Elle est bien organisée la défense, tellement d’avocats 10, 15 peut-être, un bloc sans un espace vide entre eux, et 3, 4 qui jouent la partie comme les avants d ‘une équipe de foot en se faisant tranquillement des passes devant les buts adverses.

De temps en temps parmi les prévenus 2 ou 3 sont amené à préciser un point.

Les « PREVENUS » comme si en 2007 ils n’étaient pas PRÉVENUS de ce qui se passait, cette année là nous avons écrit le spectacle « les impactés » sur la violence du management à France Télécom et oui ils étaient prévenus déjà, tout le monde savait…

Je regarde, j’écoute, je vois les scènes : chacune se joue à nouveau dans les descriptions des ordonnances de renvois : le ras le bol des techniciens, la honte de ne pas pouvoir satisfaire le client et même de devoir le tromper, la perte d’estime de soi, et le harcèlement des petits chefs, les fameux « n+1″eux mêmes harcelés par leur n+1.La souffrance des salariés et le cynisme des grands dirigeants les inventeurs de ce SYSTÈME DE MANAGEMENT BASÉ SUR LE HARCÈLEMENT MORAL.

J’entends des mots revenir régulièrement : sous-traitance, privatisations, baisse des effectifs, évolutions des techniques, adaptabilité, statut de fonctionnaire, hors statut,contractuels…les mêmes mots que ceux qui servent à débattre en ce moment à l’assemblée nationale de la réforme de la fonction publique, pour y mettre en place le système France Télécom.

Je regarde cette salle d’audience 2.01, salle Victor Hugo
En 2030 est ce que dans cette salle se déroulera un procès des manageur de la Nouvelle Fonction Publique pour :
DÉLIT DE HARCÈLEMENT MORAL …

Dessins de Claire Robert.