Initiative de tract dessiné #3 (Le propos)

À Orange, sur un plateau de centre d’appels, une initiative de « tract syndical » en trois épisodes pour lutter contre le discours managérial…

Un tract dessiné réalisé par Claire Robert

Le travailleur et le collaborateur

Progressivement, le mot collaborateur tend à remplacer celui de travailleur. C’est du moins le rêve du management qu’il se généralise. On a pourtant là l’exemple type du « faux ami » : il laisse entendre que l’on est sur un pied d’égalité alors qu’on se trouve toujours dans le cadre du lien de subordination1.
A quoi tient cette croyance selon laquelle on aurait enfin dépassé les rapports de pouvoir dans l’entreprise, alors que le premier échange venu avec la hiérarchie suffit à nous rappeler qu’il n’en est rien ?
Dans cet épisode, Mark Damian fait l’expérience qu’il n’est pas digne d’être un collaborateur au sens où l’entend la direction. Sans être un contestataire dans l’âme, il fait partie de ceux qui ne peuvent « oublier » si facilement la réalité du système.
La directrice, au contraire, est un pur produit des séminaires d’entreprise. Organisés à échéance régulière, ils contribuent à fabriquer le sentiment que l’adhésion au mythe de la collaboration permet d’appartenir au cercle très fermé de l’élite de l’entreprise.
Le fait qu’elle se doive d’être toujours joignable et disponible participe également de cette adhésion. Elle est alors persuadée d’être reconnue, voire indispensable pour des hauts dirigeants qui n’ont d’yeux que pour le cours du CAC 40 – et bien sûr, cela ne les empêchera pas de la laisser choir, voire de la placardiser, si elle n’a pas su répondre aux exigences du business continuity plan. Cette croyance lui permet par la même occasion d’oublier que son hyper-disponibilité ne relève pas de son choix, car même en congé ou en arrêt maladie – si elle consent à y être – elle se doit de répondre à ses supérieurs.
A l’image de toutes les célébrations propres aux sociétés totalitaires, les séminaires d’entreprise sont donc organisés pour ressouder les croyances, produire des gens qui y croient… et qui soient à même de se la jouer d’une manière extraordinaire.
Il faut avoir participé à ces cérémonies, ces séminaires-chouquettes faussement décontractés (ou vraiment guindés, ce qui revient au même) pour s’apercevoir à quel point ce terme collaborateur cache un mélange d’égalitarisme cool et de poids hiérarchique omniprésent. Les pauses café, ou les petits buffets entre deux interventions de directeurs à la tribune, le révèlent à merveille : tout le monde se sent convié à donner son point de vue sur La Cause décrétée par Le Grand Maître et son staff, mais chacun sait la nécessité de devoir rester à sa place. Tous égaux, mais constamment rappelés à leur inégalité, telle pourrait être la devise implicite de collaborateurs…


1 En témoigne ce petit dialogue qui rend bien compte de l’hypocrisie du terme :
– Non, je suis pas d’accord : moi dans ma boîte, y a pas de subordonnés, on est collaborateurs.
– Est-ce que tu peux donner des ordres à ton employeur ?
– Non.
– Est-ce que tu peux lui donner des directives ?
– Non.
– Est-ce que tu peux contrôler son travail ?
– Non.
– Est-ce que tu peux sanctionner ses manquements ?
– Non.
– T’as raison, il est pas ton subordonné.