Le harcèlement moral fait l’objet de nombreuses recours de salariés, trois décisions récentes permettent de préciser que de mauvaises conditions de travail à l’origine de situations de souffrance ne caractérisent pas de facto un harcèlement moral.
Rappel : Le harcèlement moral est défini par l’article L1152-1 du code du travail : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ».
La définition donnée par le code du travail ne précise pas ce que peuvent être les agissements de harcèlement moral mais se fonde sur ses conséquences, c’est-à-dire une dégradation de ses conditions de travail susceptible soit :
- de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié,
- d’altérer sa santé physique ou mentale,
- de compromettre son avenir professionnel
Ces 3 éléments ne sont pas cumulatifs et n’ont donc pas à être tous réunis.
- il revient à la victime d’établir les faits permettant de présumer l’existence d’un harcèlement
- il appartient à l’employeur au vu de ces éléments de prouver que ces agissements sont justifiés par des éléments subjectifs c’est-à-dire étrangers à tout harcèlement.
Ensuite le juge forme sa conviction : il doit appréhender tous ces faits dans leur ensemble (et non isolément) et rechercher s’ils permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.
La prévention du harcèlement revient à l’employeur (article 1152-4 du code du travail). Il lui appartient de prendre toute mesure en ce sens du fait de son obligation de sécurité de résultat et d’infliger des sanctions disciplinaires aux salariés qui ont eu de tels agissements
1. Dans une première affaire, le salarié faisait valoir qu’il était victime de harcèlement moral en invoquant le fait « qu’il travaillait dans des conditions matérielles déplorables et subissait la pression de son employeur ». Les juges ont considéré que « la mauvaise organisation du travail, la vétusté du matériel ou l’absence de matériel » ne caractérisent pas un harcèlement moral, en l’absence de faits précis d’agissements répétés de la part de son employeur et en l’absence d’éléments médicaux sur la dégradation de son état de santé.
Cour d’appel de Pau du 7 mai 2014 n°14/01617
2- Dans cette seconde affaire, à l’appui de sa demande de reconnaissance de harcèlement moral1 le salarié faisait valoir une surcharge de travail, deux arrêts de travail et enfin un « burn out » qui avait débouché sur une inaptitude médicale dument constatée. Le salarié avait fourni de nombreuses pièces portant sur l’augmentation de sa charge de travail, des témoignages de salariés évoquant un chantage aux heures supplémentaires, des refus de congés suite au retard dans le service …Il avait également produit des certificats médicaux de son médecin traitant qui faisait état d’un harcèlement professionnel remontant à plusieurs années ayant entraîné un syndrome dépressif, d’un spécialiste « attestant de souffrances psychiques en rapport avec des problèmes professionnels. », et plusieurs écrits du médecin du travail qui a constaté son inaptitude professionnelle. Enfin l’employeur n’a pas apporté d’éléments crédibles permettant d’écarter la suspicion de harcèlement mise en avant par le salarié.
En définitive les juges ont conclu que la rupture du contrat de travail est consécutive au harcèlement moral dont a été victime le salarié.
Cour d’appel de Versailles du 13 mai 2014 n°13/01740
3- La troisième affaire concerne le licenciement d’un salarié pour faute grave pour des faits de harcèlement moral sur d’autres salariés. Les juges n’ont pas donné gain de cause au salarié qui demandait l’annulation de son licenciement.
C’est à la suite de deux plaintes portées par des salariés (dont l’une a eu arrêt de travail de plusieurs semaines et qui à son retour a du être affectée dans un autres service) auprès de leur employeur sur les agissements de collègues, que la direction a enquêté auprès d’autres personnes du service. Ces dernières ont fait état d’un « climat tendu, voire malsain, dans lequel elles étaient contraintes de travailler et le comportement générateur de stress et d’angoisse » auquel participait directement le salarié licencié.
De nombreux griefs lui étaient reprochés : « dénigrement systématique de la hiérarchie et de la direction de l’entreprise, comportement irrespectueux, voire insultant à l’égard de ses collègues, tentatives permanentes de démotiver l’ensemble de l’équipe et d’en dresser les membres les uns contre les autres ».
En outre, le risque de porter atteinte de manière permanente à la santé des salariés, avait été abordé au cours d’une réunion du CHSCT.
Au vu des éléments apportés, les juges de la cour d’appel ont caractérisé les faits reprochés au salarié comme « des agissements répétés de sa part ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail de plusieurs autres salariés, susceptibles de porter atteinte à leurs droits et à leur dignité, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel. »
Ils ont donné raison à l’employeur qui devait réagir rapidement et mettre fin à cette situation en vertu de son obligation de sécurité de résultat. Les faits de harcèlement moral établis à l’encontre du salarié rendaient impossible son maintien dans l’entreprise.
Cour d’appel de Versailles du 14 mai 2014 n°12/04953
Au travers de ces 3 jugements on voit qu’il ne suffit pas d’invoquer de mauvaises conditions pour caractériser un harcèlement moral.
Ces dernières années le contentieux en la matière s’est étoffé au vu des principes édictés notamment par la Cour de Cassation.
La cour a ainsi admis que des pratiques de gestion appliquées à l’ensemble du personnel peuvent relever de la qualification de harcèlement moral mais qu’à l’inverse un management rigide provoquant un climat mal vécu par les salariés n’en relève pas.
La notion de harcèlement moral n’a pas pour objet de traiter des problèmes de souffrance au travail mais de sanctionner un comportement spécifique inacceptable dans toute relation humaine.
1 Le salarié avait saisi le conseil des prud’hommes pour requalifier son licenciement pour faute grave en licenciement nul