La loi du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte fait suite à un certain nombre de scandales sanitaires de ces dernières années (amiante, médiator..) On peut également citer le scandale de PIP (Poly Implant Prothèse), entreprise qui fabriquait des prothèses mammaires défectueuses à cause de la présence d’un gel artisanal non-conforme. Cette loi a été votée pour inciter les salariés d’entreprises similaires à dénoncer les scandales.
La loi institue une nouvelle procédure d’alerte dans les entreprises, elle garantit un statut pour les salariés et renforce les obligations de l’employeur en matière d’information des salariés.
En dépit de certaines limites et tout particulièrement dans les moyens donnés au CHSCT (pas de véritable enquête conjointe, pas de droit à l’expertise…), ce nouveau droit représente une avancée qu’il faudra savoir utiliser en fonction des circonstances et exiger de l’employeur le respect de ses nouvelles obligations.
Le décret du 11 mars 2014 est venu préciser les modalités de consignation de ce nouveau droit qui s’applique depuis le 1er avril 2014.
L’alerte peut venir d’un salarié et/ou d’un représentant au CHSCT
- le salarié qui estime de bonne foi¹ que les produits ou procédés de fabrication utilisés dans son établissement font peser un risque grave sur la santé publique ou l’environnement alerte immédiatement son employeur.
- le représentant au CHSCT qui constate notamment par l’intermédiaire d’un salarié qu’il existe un risque grave pour la santé publique ou l’environnement doit alerte immédiatement l’employeur.
Dans les deux cas l’alerte est consignée par écrit sur un nouveau registre spécial (décret 2014-324 du 11 mars 2014).
Sur ce registre la personne à l’origine de l’alerte doit y indiquer les produits ou procédés de fabrication dont elle estime qu’ils présentent un risque grave pour la santé publique ou l’environnement, le cas échéant les conséquences potentielles sur la santé ou l’environnement ainsi que toute autre information jugée utile. Les alertes doivent être datées et signées.
L’employeur doit tenir ce registre spécial à la disposition des représentants au CHSCT.
L’entrée en vigueur est intervenue au 1er avril 2014.
Ce nouveau droit présente d’importantes différences avec le doit d’alerte et de retrait déjà existant : d’une part il est question de risque grave pour la santé publique ou l’environnement et non plus de danger grave et imminent et d’autre part il n’est pas assorti d’un droit de retrait. Par risque grave il faut entendre « un danger éventuel plus ou moins prévisible ».
Les suites de l’alerte et les obligations de l’employeur
- L’employeur doit informer le salarié ou le représentant du CHSCT des suites qu’il entend donner à l’alerte. Si l’alerte est donnée par un membre du CHSCT, l’employeur doit examiner la situation avec lui.
- En cas de divergence sur le bien fondé de l’alerte ou en cas d’absence de réponse dans le délai d’un mois le salarié ou le membre du CHSCT peut saisir le préfet à qui il reviendra de saisir les services compétents en vue d’une expertise ou encore de faire remonter l’information directement auprès des ministres pour qu’ils saisissent directement les agences concernées. Il faut noter que le législateur n’a pas prévu de lancer une enquête conjointe.
- L’employeur qui n’aura pas respecté ses obligations en vertu des articles L 4133-1 et 4133-2 perdra le bénéfice de l’exonération de responsabilité du fait de produits défectueux (si l’employeur prouve qu’en l’état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit n’a pas permis de déceler l’existence d’un défaut, il ne peut être considéré comme responsable).
- Le CHSCT est informé de toutes les alertes transmises à l’employeur, de leurs suites ainsi que de toute saisine du préfet. Il sera réuni en cas d’événement grave lié à l’activité de l’établissement ayant porté atteinte ou pu porter atteinte à la santé publique ou à l’environnement (L4614-10).
- L’employeur est désormais tenu dans le cadre de l’article L 4141-1 d’informer les salariés « des risques que peuvent faire peser sur la santé publique ou l’environnement les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l’établissement ainsi que des mesures prises pour y remédier ».
La protection du lanceur d’alerte
Le salarié qui lance une alerte est protégé par le code du travail et par le code de santé publique d’éventuelles représailles de l’employeur. Toute décision de l’employeur présentant un caractère discriminatoire est entachée de nullité.
En revanche le salarié qui aura lancé une alerte de mauvaise foi ou avec l’intention de nuire encourt une peine de 5 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Création d’une commission nationale de la déontologie et des alertes
Cette instance est notamment chargée d’émettre des recommandations, elle sera consultées sur les codes de déontologie, et de transmettre les alertes dont elle est saisie aux ministères concernés. Elle peut être le dernier recours d’uns salarié ou d’un CHSCT dont l’alerte est restée sans suite. En effet la commission peut être saisie par une organisation syndicale de salariés représentative au niveau national ou une organisation d’employeurs.
Commentaires
Même si sa protection est garantie par les textes, il faudra éviter de laisser un salarié s’exposer de manière isolée sur ces questions et lui recommander de passer plutôt par l’intermédiaire des représentants au CHSCT. En effet il parait préférable d’utiliser ce droit de façon collective pour que le CHSCT s’en saisisse et contraigne l’employeur à débattre, à apporter des réponses. Il est par ailleurs tenu à respecter un certain nombre d’obligations d’information du CHSCT et des salariés.
Il parait utile et indispensable que les équipes syndicales réfléchissent collectivement à la stratégie à mettre en œuvre, lorsqu’une situation de risque grave pour la santé ou l’environnement est constatée. Cela pourra se produire en cas de travaux dans un bâtiment par exemple (déchets pas conditionnés comme ils le devraient…) ou bien en fonction de l’activité menée dans une entreprise, un laboratoire, un service, cela pourra concerner les produits fabriqués ou utilisés et dans ces situations le droit d’alerte pourra alors être actionné.
L’existence de ce droit pourra également déboucher sur des actions ultérieures : s’interroger sur la nature des produits fabriqués, sur les modes de production, leurs conséquences sur l’environnement et la santé des populations, travailler avec des associations extérieures dont c’est le domaine de compétences, lancer ou coordonner des campagnes au sein d’une entreprise par exemple à partir du travail d’une équipe syndicale dans un CHSCT….
La commission santé et conditions de travail de Solidaires est preneuse des initiatives des équipes syndicales autour de ce nouveau droit.
Les textes
– Loi 2013-316 du 16 avril 2013 et décret 2014-324 du 11 mars 2014
– Articles du code du travail : L4133-1 à L4133-5 et D4133-1 à D4133-3
1 comme pour le droit d’alerte en cas de danger grave et imminent il est reconnu au salarié une part de subjectivité. N’étant pas toujours un expert en la matière, c’est sa bonne foi qui sera appréciée.