Les lois Rebsamen du 17 août 2015, puis la loi travail du 8 août 2016 et son décret d’application n°2016-1908 du 27 décembre 2016, et enfin l’ordonnance 2017-1386 du 22 septembre 2017 et son décret d’application du 15 décembre 2017 ont apporté de profondes modifications au dispositif de l’inaptitude.
L’inaptitude médicale est une incapacité, physique ou mentale, à tenir son poste de travail. Elle peut être partielle ou totale, provisoire ou définitive, au poste de travail occupé ou à tout poste de travail dans l’entreprise, avoir une cause professionnelle ou non professionnelle, avoir pour cause la maladie ou l’accident. L’inaptitude médicale pouvant conduire au licenciement, il est donc fondamental de bien connaître à quelles conditions elle peut se produire et être déclarée. Dans ces affaires il est évident que la prévention occupe une place essentielle pour éviter d’en arriver à cette extrémité, c’est-à-dire ne plus pouvoir travailler dans l’entreprise ou ne plus pouvoir travailler du tout.
En conséquence le médecin du travail est un acteur déterminant dans la préservation de la santé au travail. Son action est incontournable pour assurer le maintien dans l’emploi des travailleuses et des travailleurs dont les conditions de travail sont difficiles et pénibles. En effet le médecin du travail ou des membres de l’équipe pluridisciplinaire de santé au travail peuvent se rendre compte des atteintes à la santé du fait du travail (travail dans le froid, contraintes de posture, exposition à des produits chimiques…) à l’origine d’arrêts de travail ou de maladies professionnelles pouvant générer une incapacité temporaire ou définitive. Ils doivent surtout conduire des actions en milieu de travail, en prévention, comme le prévoit l’article L4622-2 du code du travail qui donne la définition de leurs missions.
Si on peut noter que la loi a renforcé les garanties formelles, harmonisé les régimes juridiques, en revanche la contestation de l’inaptitude va être rendue beaucoup plus hypothétique et les exigences de reclassement beaucoup plus restreintes.
1 – Les deux régimes d’inaptitude professionnelle et non professionnelle sont alignés
Jusqu’à la loi travail d’août 2016 l’inaptitude faisant suite à une maladie ou à un accident d’origine professionnelle ou non professionnelle obéissait à des règles différentes. L’alignement des deux procédures d’inaptitude représente une avancée certaine pour les salarié·es.
Toutefois il faut préciser que sur les questions indemnitaires des différences importantes vont continuer à subsister. Cf. § 7
2 – L’exigence du maintien dans l’emploi est renforcée
L’article L 4624-4 est fondamental car il précise les obligations du médecin du travail avant de déclarer un·e salarié·e inapte à son poste : « Après avoir procédé ou fait procéder par un membre de l’équipe pluridisciplinaire à une étude de poste et après avoir échangé avec le salarié et l’employeur, le médecin du travail qui constate qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n’est possible et que l’état de santé du travailleur justifie un changement de poste déclare le travailleur inapte à son poste de tra-vail. L’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail est éclairé par des conclusions écrites, assorties d’indica- tions relatives au reclassement du travailleur ».
Par ailleurs l’article R 4624-42 énumère les obligations du médecin du travail : « Le médecin du travail ne peut constater l’inaptitude médicale du travailleur à son poste de travail que :
1° S’il a réalisé au moins un examen médical de l’intéressé, accompagné, le cas échéant, des examens complémentaires, permettant un échange sur les mesures d’aménagement, d’adaptation ou de mutation de poste ou la nécessité de proposer un changement de poste ;
2° S’il a réalisé ou fait réaliser une étude de ce poste ;
3° S’il a réalisé ou fait réaliser une étude des conditions de travail dans l’établissement et indiqué la date à laquelle la fiche d’entreprise a été actualisée ;
4° S’il a procédé à un échange, par tout moyen, avec l’employeur ».
Ce qu’il faut retenir
• C’est le médecin du travail et lui seul qui peut déclarer un·e salarié·e inapte à son poste de travail après avoir réalisé :
– au moins un examen médical (au lieu de deux précédemment qui devaient être espacés de 15 jours) pouvant être accompagné d’examens complémentaires si nécessaire.
Toutefois s’il l’estime nécessaire le médecin du travail pourra en réaliser un second dans le délai de 15 jours après le premier examen. Dans ce cas la notification de l’avis médical d’inaptitude intervient au plus tard à cette date.
– deux études : l’une portant sur le poste de travail, l’autre sur les conditions de travail dans l’établissement, ces études pourront être réalisées par un membre de l’équipe pluridisciplinaire. – l’actualisation de la fiche d’entreprise : la fiche d’entreprise est un document sur lequel sont consignés les risques professionnels et les effectifs de salariés exposés dans chaque entreprise. Elle est établie et mise à jour par le médecin du travail (R 4624-46)
– et avoir eu un entretien avec l’employeur pour faire valoir ses observations et propositions.
Ce n’est qu’à l’issue de cette procédure que le médecin du travail pourra déclarer le ou la salarié-e inapte s’il constate en effet « qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n’est possible et que l’état de santé de l’intéressé·e justifie un changement de poste ».
• L’importance de l’entretien avec le médecin du travail
L’entretien avec le ou la salarié·e permettra de discuter des mesures d’aménagement, d’adaptation ou de mutation de poste ou encore de proposer un changement de poste. L’entretien portera aussi sur l’avis et les indications ou les propositions que le médecin adressera à l’employeur.
Rappel de l’article L 4624-3 : « Le médecin du travail peut proposer, par écrit et après échange avec le salarié et l’employeur, des mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d’aménagement du temps de travail justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge ou à l’état de santé physique et mental du travailleur ».
L’entretien avec le médecin du travail est un moment décisif à saisir par le ou la salarié·e pour faire valoir son point de vue et ses attentes au regard de son état de santé et de ses conditions -actuelles ou futures- d’emploi. Il est important d’y apporter les certificats médicaux du médecin traitant, du spécialiste, des préconisations que ces derniers peuvent faire en termes d’aménagement de poste de travail, de reclassement.
• Le contenu de l’avis du médecin du travail
Les indications du médecin du travail sur le reclassement doivent comprendre des éléments relatifs à la capacité du salarié à bénéficier d’une formation en vue de le préparer à occuper un poste adapté. L’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail est accompagné de ses conclusions écrites, assorties d’indications relatives au reclassement du travailleur. Cela signifie que cet avis doit être sérieusement circonstancié et motivé par le médecin du travail.
Le médecin du travail peut proposer à l’employeur l’appui de l’équipe pluridisciplinaire ou encore celui d’un organisme compétent en matière de maintien dans l’emploi pour réaliser les propositions du médecin du travail.
Il peut également consulter le médecin inspecteur du travail, avant de rendre son avis (article R 4624-43).
Le médecin du travail peut mentionner dans cet avis que tout maintien du salarié·e dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié·e fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. (cf. ci-après).
Précision importante : l’avis d’inaptitude peut être envisagé par le médecin du travail à l’occasion de toutes les visites auxquelles se rend le ou la salarié·e y compris lors d’une visite à la demande de ce/cette dernier·ère. L’avis d’inaptitude est transmis à l’employeur et à l’intéressé·e, une copie de cet avis figurera dans son dossier médical en santé au travail.
Commentaires
Si l’existence des deux visites obligatoires n’apportait pas de garanties supplémentaires aux salarié·e·s, il n’en va pas de même des obligations imposées au médecin du travail avant de se prononcer sur l’inaptitude. Toutefois il faudra s’assurer que ces garanties ne sont pas formelles mais bien effectives.
Ce qu’il faut reprocher au texte c’est de ne pas s’appuyer plus clairement sur les missions des services de santé au travail définies à l’article L 4622-2 du code du travail et tout particulièrement celle de « de prévenir ou de réduire la pénibilité au travail et la désinsertion professionnelle et de contribuer au maintien dans l’emploi des travailleurs ». En effet la question du maintien dans l’emploi est dans l’activité du médecin du travail, fortement liée à celle de l’inaptitude et si ce travail n’est pas assuré il y a fort à craindre que dans ces conditions l’inaptitude conduise inéluctablement au licenciement (95% des déclarations d’inaptitude débouchent sur un licenciement soit 120 000 par an).
Mais cette veille ne peut s’exercer que si le service de santé au travail dispose des moyens nécessaires (en personnel et en temps) pour que les visites médicales soient l’occasion d’échanger avec le/la salarié·e, de le/la questionner sur son travail et son état de santé, faire le lien entre les deux, étudier, analyser également les postes de travail, et ensuite proposer des aménagements ou des transformations du poste de travail, envisager un changement de poste, une reconversion ou réorientation professionnelle, solliciter les services compétents, et l’accompagner dans ses démarches.
Cette approche est d’autant plus nécessaire que l’âge de départ à la retraite ne cesse d’être reculé, que le dispositif de prévention de la pénibilité reste très insuffisant pour être véritablement efficace et que les expositions à certaines substances sont réelles même en présence de dispositifs de prévention.
C’est donc tout ce travail en amont qui est à effectuer pour éviter d’en arriver au constat de l’inaptitude qui va déboucher sur le licenciement du ou de la salarié-e. Les possibilités d’intervention du médecin du travail en matière d’aménagement du poste de travail (articles L4624-3 à 6), la mise à jour des fiches d’entreprise (article R4624-46) et son devoir d’alerte lorsqu’il constate la présence d’un risque pour la santé des travailleurs (article L4624-9) existent mais la question est de savoir s’il en a les moyens et s’il s’engage dans cette mission.
3 – La contestation des avis médicaux se fera auprès du conseil de prud’hommes Art. L4624-7
Précision : la nouvelle procédure décrite ci-après ne s’applique qu’aux recours introduits à compter du 1erjanvier 2018.
Article L 4624- 7
I – « Le salarié ou l’employeur peut saisir le conseil de prud’hommes en la forme des référés d’une contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale en application des articles L. 4624-2, L. 4624-3 et L. 4624-4 » c’est-à-dire dans les situations suivantes :
– avis d’aptitude réservé aux salarié·e·s exposé·e·s à des risques particuliers (article L. 4624-2) ;
– propositions de mesures individuelles d’aménagement du poste de travail (article L. 4624-3) ;
– avis d’inaptitude et conclusions et indications relatives au reclassement du salarié (article L. 4624-4).
« Le médecin du travail, informé de la contestation par l’employeur, n’est pas partie au litige.
II – Le conseil de prud’hommes peut confier toute mesure d’instruction au médecin inspecteur du travail territoria-lement compétent pour l’éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence. Celui-ci, peut, le cas échéant, s’adjoindre le concours de tiers. A la demande de l’employeur, les éléments médicaux ayant fondé les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail peuvent être notifiés au mé-decin que l’employeur mandate à cet effet. Le salarié est informé de cette notification.
III – La décision du conseil de prud’hommes se substitue aux avis, propositions, conclusions écrites ou indications contestés.
IV – Le conseil de prud’hommes peut décider, par décision motivée, de ne pas mettre tout ou partie des honoraires et frais d’expertise à la charge de la partie perdante, dès lors que l’action en justice n’est pas dilatoire ou abusive. Ces honoraires et frais sont réglés d’après le tarif fixé par un arrêté conjoint des ministres chargés du travail et du budget. »
La contestation des avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail se feront désormais auprès du conseil de prud’hommes (au lieu et place de l’inspection du travail précédemment, c’est-àdire avant la loi travail). La contestation ne pouvant porter que sur des écrits s’appuyant sur des éléments de nature médicale, elle ne peut donc concerner une attestation de suivi.
L’ordonnance du 20 décembre 2017 a supprimé la désignation d’un médecin expert prévue par la loi travail et laissé au CPH le soin de saisir ou non le médecin inspecteur du travail qui pourra, s’il le souhaite à son tour, entendre le médecin du travail (article R 4624-45).
Il faut noter que la saisine du médecin inspecteur du travail n’est qu’une possibilité, tout comme celle d’entendre le médecin du travail. Le rôle du médecin inspecteur sera d’éclairer le CPH.
Par ailleurs l’employeur peut mandater un médecin pour obtenir communication des éléments médicaux qui ont fondé les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail. Le-la salarié·e sera informé·e de cette demande.
La contestation qu’elle émane du-de la salarié-e ou de l’employeur doit se faire dans les 15 jours à compter de la notification de l’avis ou de la mesure. Le demandeur en informe le médecin du travail qui en tout état de cause n’est pas partie prenante dans le litige.
Les frais liés à la procédure sont à la charge de la partie perdante, sauf si le conseil de prud’hommes décide d’en mettre la totalité ou une fraction à la charge de l’autre partie. Dans ce cas sa décision doit être motivée.
La décision du conseil de prud’hommes se substitue aux avis, propositions, conclusions écrites ou indications contestés.
Commentaires
Précédemment à la loi travail d’août 2016 l’arbitrage était effectué par l’inspection du travail en lien avec le médecin inspecteur du travail, c’est-à-dire par des professionnels qui connaissent bien l’entreprise en général et la médecine du travail. Après un entretien en commun avec le salarié puis avec l’employeur la décision rendue se substituait à l’avis du médecin du travail. De plus cette procédure était gratuite et globalement elle était favorable au salarié.
Même s’il faut saluer l’abandon du recours à un médecin- expert, les changements apportés sont importants, voire inquiétants, même s’il est difficile d’en évaluer aujourd’hui toutes les conséquences.
Les nouvelles modalités de contestation de l’avis du médecin du travail risquent de dissuader les salarié·e·s d’y recourir ou de leur être défavorables du fait que le délai pour saisir le conseil de prud’hommes n’est que de 15 jours (avant le délai pour saisir l’inspecteur du travail était de 2 mois), que leur situation ne sera pas toujours examinée par un médecin spécialisé en médecine du travail et qu’enfin ils risquent d’avoir à payer les frais de procédure.
De plus compte tenu du faible nombre de médecins inspecteurs du travail, ils ne sont que 31, la procédure risque d’être particulièrement longue.
Ces nouvelles modalités vont être très défavorables au/à la salarié·e du fait qu’il n’y aura pas de saisine automatique du médecin inspecteur du travail (MIRT) ou du médecin du travail qui de par leurs fonctions ont une connaissance du travail et de l’entreprise et du lien travail-santé.
En outre l’autorisation donnée à l’employeur de demander les éléments médicaux qui ont fondé les avis et conclusions écrites du médecin du travail est inacceptable à plus d’un titre. Elle s’inscrit dans la logique de contrôle qu’affectionnent tout particulièrement les employeurs et de leur suspicion permanente vis-à-vis des arrêts de travail pour raison de santé. C’est aussi une disposition qui jette un doute sur le travail du médecin du travail et sur son impartialité et qui risque d’affaiblir son positionnement. Enfin cette disposition particulièrement intrusive pour les salarié·e·s est en totale opposition avec l’article L 1110-4 du code de la santé publique qui affirme « Toute personne … a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant ». Dans un courrier du 14 février 2018 le conseil national de l’ordre des médecins a alerté le syndicat des médecins du travail de cette disposition. Le Cnom considère que les médecins ne sont pas tenus à une telle obligation de communication, qui pourrait entraîner une « rupture dans la relation de confiance entre les salariés et les médecins du travail ».
Aussi il faut appeler les salari·é·es à s’opposer clairement par écrit à tout employeur qui demanderait communication des éléments médicaux des avis et conclusions écrites du médecin du travail.
4 – Le périmètre de reclassement est restreint
Lorsque le ou la salarié·e est déclaré·e inapte à reprendre l’emploi occupé précédemment, l’employeur a l’obligation de rechercher un reclassement et de lui proposer un autre emploi « approprié à ses capacités » et comparable au précédent « au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail ». Les propositions de l’employeur doivent tenir compte de :
– de l’avis des délégué·e·s du personnel/ du comité social économique (CSE). Les DP/CSE sont consultés sur toutes les propositions de reclassement faites après une déclaration d’inaptitude au poste quelle qu’en soit l’origine. L1226-2 et L1226-10.
– Des conclusions écrites du médecin du travail.
L’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 a restreint l’obligation de reclassement en cas d’inaptitude au territoire national lorsque l’entreprise appartient à un groupe.
En conséquence l’employeur n’a plus à rechercher des postes de reclassement dans les sociétés du groupe situées à l’étranger. C’est d’ailleurs la même restriction qui s’applique en matière de licenciement économique.
L’ordonnance 2017-1718 du 20 décembre 2017 a modifié la définition du groupe: la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante dont le siège social est situé sur le territoire national et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L. 233-1(la filiale étant une société détenue à plus de 50% du capital), aux I et II de l’article L. 233-3 (définition du contrôle d’une société sur une autre), et à l’article L. 233-16 (définition du contrôle exclusif d’une société sur une autre) du code de commerce.
De plus les postes proposés au reclassement seront ceux qui permettent une permutabilité de tout ou partie du personnel (Article L 1226-2 et L 1226-10).
5 – Le licenciement pour inaptitude est facilité
Un·e salarié·e déclaré·e inapte peut être licencié·e, sans obligation pour l’employeur de lui proposer un reclassement, dès lors qu’existe « la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi ». (Article L1226-12)
Les deux autres motifs de licenciement pour inaptitude sont maintenus :
• lorsque l’employeur est dans l’impossibilité de proposer un autre emploi au salarié et dans ce cas il doit lui en donner les motifs par écrit.
• Lorsque le/la salarié·e refuse l’emploi proposé alors que l’employeur a respecté les conditions prévues à l’article L1226-2 et L1226-10 (prise en compte de l’avis des élu·e·s, des conclusions du médecin du travail …)
L’employeur est réputé avoir rempli son obligation de reclassement si l’emploi proposé est adapté aux capacités du salarié·e, s’il a consulté les DP/le CSEet enfin si l’avis et les indications du médecin du travail sont pris en compte. Une jurisprudence de la cour de cassation a précisé que pour un·e salarié·e exerçant une activité sur un site de moins de 11 salarié·e·s il ou elle sera rattaché·e à un établissement distinct ayant plus de 11 salarié·e·s pour être traité·e sur un même pied d’égalité. (Cass, soc., 7 décembre 2016, n°14-27 232)
Commentaires
La remise en cause du principe de l’obligation de reclassement de l’employeur dans certaines situations est inacceptable.
Même s’il est difficile de savoir quelles vont être les situations pour lesquelles les médecins vont à l’avenir utiliser la formule qui dispense les employeurs de leur obligation de reclassement elles seront lourdes de conséquences pour les intéressé·e·s.
Ce qui ne parait pas très clair dans les textes est la notion « d’emploi » : s’agit-il de l’emploi occupé dans l’entreprise ou de l’emploi apprécié de façon générique c’est à dire inapte à tout emploi ou seulement inapte à tout emploi dans l’entreprise ?
6 – Ne pas confondre inaptitude et invalidité
La reconnaissance de l’invalidité d’un·e salarié·e relève du code de la Sécurité sociale et n’a pas d’incidence sur le contrat de travail.
Une personne sera considérée comme invalide si à la suite d’une maladie ou d’un accident non professionnel, sa capacité de travail ou de gain est réduite d’au moins 2/3. La reconnaissance de l’invalidité est effectuée par le médecin conseil de la Sécurité sociale.
Il existe 3 catégories d’invalidité (article L 314-4 CSS) :
1ère catégorie : Invalides capables d’exercer une activité rémunérée
2ème catégorie : Invalides absolument incapables d’exercer une profession quelconque
3ème catégorie : Invalides qui, étant absolument incapables d’exercer une profession, sont, en outre, dans l’obligation d’avoir recours à l’assistance d’une tierce personne pour effectuer les actes ordinaires de la vie
La reconnaissance d’une invalidité de 2e ou 3e catégorie n’entraîne pas automatiquement l’inaptitude au travail qui ne peut être constatée que le médecin du travail.
Être considéré·e invalide permet de percevoir une pension en compensation de la perte de salaire entraînée par l’état de santé. En pratique, le plus souvent l’invalidité 1ère catégorie permet au salarié de travailler à temps partiel (modification du contrat de travail) en maintenant le même niveau de revenu. L’invalidité 2ème catégorie n’est pas incompatible avec la poursuite de l’activité professionnelle (mais la pension d’invalidité n’est versée qu’à hauteur de la perte de salaire).
7 – Les indemnités versées en cas de licenciement pour inaptitude au travail
Dans le cas d’une inaptitude d’origine non professionnelle le-la salarié·e bénéficie uniquement de l’indemnité légale de licenciement.
Dans le cas d’une inaptitude professionnelle le-la salarié·e bénéficie d’une indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité de préavis et d’une indemnité spéciale de licenciement qui représente le double de l’indemnité légale.
8 – Quelles pratiques syndicales ?
Pour l’Union syndicale Solidaires l’inaptitude est un dispositif centré sur une approche médicale individuelle qui ne devrait être qu’exceptionnel et n’intervenir que lorsqu’on a vraiment tout essayé en termes d’adaptation. La délivrance d’un certificat d’inaptitude médicalement justifié devrait être réservée aux salarié·e·s qui sont dans des situations telles que la poursuite de leur activité présente des risques pour leur santé.
En tout état de cause la sortie de l’entreprise par l’inaptitude ne doit pas se substituer ou tout simplement faire écran à l’intervention du médecin du travail que ce soit par l’alerte ou la prévention ni à d’aux autres modalités de rupture du contrat.
Mais il est vrai aussi que l’inaptitude est devenue un moyen de quitter « facilement » l’entreprise en cas de difficulté et tout particulièrement dans les situations de souffrance au travail.
Toutefois si le ou la salarié·e ne se manifeste qu’au stade de l’inaptitude, il sera très difficile aux militant-es d’intervenir. Aussi les équipes syndicales devront être attentives aux démarches et aux actions pour prévenir l’inaptitude et assurer le maintien dans l’emploi que ce soit dans un cadre individuel ou collectif.
Elles pourraient demander au médecin du travail d’en rendre compte dans son rapport annuel et notamment de faire apparaitre le nombre d’inaptitudes (en distinguant celles prononcées avec la mention expresse), leurs causes (quels risques professionnels et quelles pathologies sont concernées) et de mettre en avant les difficultés qui empêchent de réaliser le maintien dans l’emploi.
Cela pourrait être facilement réalisable d’autant que le bilan social établi dans les entreprises de plus de 300 salarié·es doit faire figurer le nombre de salarié-es déclaré-es inaptes par le médecin du travail ainsi que le nombre de salarié·es reclassé·e·s dans l’entreprise à la suite d’une inaptitude. A partir de ces données il sera plus facile aux équipes syndicales de travailler en amont pour prévenir les risques avant leur apparition. Il est donc essentiel :
– de faire lien avec l’évaluation des risques professionnels que l’employeur doit retranscrire dans un document unique, d’examiner de près les fiches d’entreprise présentées au CHSCT/CSE en même temps que le bilan annuel de la santé, de la sécurité et des conditions de travail (Article R4624-48) ;
– de s’appuyer sur les possibilités d’interventions du médecin du travail
a) qui peut proposer par écrit « des mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d’aménagement du temps de travail justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge ou à l’état de santé physique et mental du travailleur ». (Art. L 4624-3)
« L’employeur est tenu de prendre en compte l’avis et les indications du médecin du travail… » « En cas de refus, il a l’obligation de faire connaître par écrit tant au travailleur qu’au médecin du travail les motifs qui s’opposent à ce qu’il y soit donné suite. » (Art. L 4624-6)
b) qui peut alerter l’employeur lorsqu’il constate un risque pour la santé des salarié·e·s. (Art. L4624-9)
Il est aussi nécessaire que les équipes syndicales fassent remonter les difficultés rencontrées lors des contestations qui ne vont pas manquer.
9 – La cour de cassation a clarifié les compétences des juridictions en matière d’indemnisation…
En présence de deux affaires similaires mais aux jugements différents en appel, la cour de cassation a voulu définir précisément la compétence et la fonction du juge prud’homal. Compte tenu de ces jugements contrastés la chambre sociale de la cour de cassation a clarifié les compétences respectives du Conseil des prud’hommes (CPH) et du tribunal des affaires de Sécurité Sociale (1) (TASS) en cas d’inaptitude.
• Le TASS est seul compétent pour déterminer l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail qu’il soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. Il revient également au TASS de prononcer le cas échéant sur la faute inexcusable de l’employeur qui si elle est reconnue ouvre droit à une indemnisation complémentaire.
• Le CPH quant à lui est seul compétent pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour attribuer le cas échéant une indemnisation au titre d’un licenciement abusif ou sans cause réelle et sérieuse dont le montant est désormais plafonné (2). Cela signifie que devant cette juridiction les salarié-es pourront plaider la violation de l’employeur de son obligation de sécurité de résultat.
Dans sa note explicative la cour de cassation rappelle que la rente versée à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle indemnise, d’une part, les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité et, d’autre part, le déficit fonctionnel permanent. Quant à la perte de l’emploi et des droits à la retraite elle est réparée par l’application des dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale.
En conséquence le juge prudhommal ne peut indemniser la perte des droits à la retraite consécutive à un accident du travail.
…et confirme qu’en cas de faute inexcusable le licenciement est nécessairement injustifié
Au travers de ces deux arrêts la cour de cassation confirme qu’un licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse s’il est démontré que l’inaptitude a pour cause un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
« Le licenciement, même fondé sur une inaptitude régulièrement constatée par le médecin du travail, trouve en réalité sa cause véritable dans ce manquement de l’employeur. Si cette solution n’est pas nouvelle elle est désormais affirmée avec netteté par la chambre sociale et doit être reliée au principe selon lequel il incombe aux juges du fond de rechercher, au-delà des énonciations de la lettre de licenciement, la véritable cause du licenciement. »
(Cass.soc., 3 mai 2018, n°16-26850 et n°17-10306)
(1) Au 1° janvier 2019 le contentieux de la sécurité sociale est transféré vers les tribunaux
de grande instance
(2) Sauf en cas de violation d’une liberté fondamentale (harcèlement et discrimination).
Dans ces situations le licenciement est nul ou illicite.