Par jugement du 13 mai 2015, le tribunal administratif de Rennes a décidé d’annuler la décision du 17 décembre 2012 du directeur régional des finances publiques d’Ille-et-Vilaine qui niait tout lien entre l’arrêt maladie et le travail, et l’a enjoint « de reconnaître comme imputables au service les congés de maladie pris par Mme X du 19 mars au 20 avril 2012.
Au départ de cette affaire : un désaccord sur des éléments du compte rendu d’évaluation professionnel de l’agent concerné.
À la demande de l’agent, le syndicat est intervenu pour faire rectifier les éléments contestés et lors de la remise définitive du compte rendu corrigé, l’agente a du « faire face à l’attitude agressive et menaçante de son chef de service ». Choquée, elle a regagné son bureau en pleurs. Il s’en est suivi un arrêt de travail de trois semaines que son médecin traitant a considéré comme ayant un lien avec le travail.
Sur les conseils du syndicat Solidaires Finances publiques, elle a dans un premier temps rédigé une « fiche de signalement d’agression » transmise au CHSCT puis dans un deuxième temps elle a fait une demande pour que son arrêt de travail soit reconnu comme accident de service (évènement soudain, précis et daté).
La transmission de la fiche de signalement puis de la déclaration d’accident ont conduit le CHSCT à décider de mener une enquête pour analyser les conditions de travail dans ce service.
L’objectif de l’enquête votée par le CHSCT était d’analyser le travail, son organisation, ses contraintes afin d’évaluer la probabilité de l’existence de risques psychosociaux dans le service.
Les représentants du CHSCT ont constamment mis en avant que l’objet de l’enquête n’était pas de rechercher des responsabilités individuelles mais d’éviter la survenue d’un autre accident.
Il est à souligner qu’en CHSCT, la direction a bien tenté de contester le bien fondé de l’enquête, prétextant qu’il ne s’agissait pas d’un accident de service puisque la commission de réforme n’avait pas rendu son avis! Les représentants de Solidaires Finances lui ont rappelé que c’était le CHSCT qui décidait de mener une enquête et qu’il ne pouvait s’y opposer.
Avant la réunion de la commission de réforme, l’agente a été reçue par un expert médical agréé. Son rapport comporte des observations contestables comme celle-ci « un conflit professionnel ou hiérarchique ne relève pas de l’accident de travail » ; toutefois il ne conteste pas le bien fondé de l’arrêt de travail et il conclut ainsi : « l’existence réelle ou non d’un lien de causalité entre d’éventuelles lésions l’entretien avec le chef de service, relève de l’administration ou de la justice ».
Le rapport de l’expert comme celui du médecin de prévention ont été transmis à la commission de réforme qui a conclu qu’il n’y avait pas de lien entre l’arrêt de travail et l’environnement professionnel.
La direction a suivi l’avis de la commission de réforme et refusé de reconnaître l’accident de service, ce qui a conduit l’agente à contester cette décision devant le tribunal administratif.
Quant au tribunal administratif il en a jugé tout autrement : en s’appuyant sur les éléments du dossier et notamment les certificats du médecin traitant, le rapport du médecin de prévention, les témoignages de collègues il a considéré :« l’existence d’un lien direct et certain entre les conditions de travail de l’intéressée et plus précisément l’entretien d’évaluation et son état de santé à l’origine de son placement en congé de maladie doit être regardée comme établie».
Dans un courrier du 9 juin la direction a requalifié l’arrêt de travail en accident de service !
La pugnacité de l’agent et le soutien du syndicat ont permis d’aller au bout d’une démarche pour faire reconnaître le lien entre les difficultés rencontrées par les agents dans leur travail et l’impact potentiel sur leur santé. .
Sans réaction de l’agente qui a rempli la fiche de signalement des agressions et déclarer ce qui s’était passé comme un accident de service, cette démarche n’aurait pas pu aboutir. À la lumière de ce dossier, il est donc essentiel, pour les agents, de signaler, voire de le déclarer en accident de service, tout incident ayant un lien avec le travail.
Quand dans un service, une direction, les agents n’hésiteront plus à remplir la fiche de signalement suite à une agression physique ou verbale qu’elle vienne de l’intérieur – d’un collègue ou de la hiérarchie ou de l’extérieur (des usagers) et à les déclarer ensuite (en fonction de la nature de l’agression) en accident de service, les responsables administratifs ne pourront plus faire comme s’ils ne savaient pas qu’il y a des difficultés ou que la situation est tendue dans un service.
Si la déclaration d’accident ou de maladie imputable au service est essentielle pour préserver les droits des personnels, elle a également un intérêt pour les militants siégeant dans les CHSCT. En effet les directions doivent communiquer à ses membres les déclarations d’accidents, pour qu’ils puissent les analyser, proposer des mesures de prévention afin d’éviter un nouvel accident, ou encore décider de mener une enquête pour mettre en évidence l’ensemble des causes qui en sont à l’origine. Comme dans cette affaire, une enquête décidée à la suite d’un « pétage de plomb » peut révéler une situation de travail dégradée et dégager des pistes pour améliorer la situation dans le service. Il est essentiel que toutes les questions liées aux conditions de travail et les accidents en font partie puissent être débattues dans l’instance dédiée à l’amélioration des conditions de travail.
Tout accident est par ailleurs porté à la connaissance du médecin de prévention qui doit remettre obligatoirement un rapport écrit à la commission de réforme dans certaines situations.
Quand y –a-t-il accident ?
Selon les tribunaux un accident du travail pour être considéré comme tel doit répondre à plusieurs critères :
- la soudaineté de l’événement ou d’une série d’événements survenus à une date certaine (c’est l’événement soudain qu’on peut dater qui différencie l’accident de la maladie professionnelle.
- l’existence d’une lésion qui peut être physique (externe comme une coupure, ou interne comme un infarctus, un malaise), ou psychique (choc émotionnel suite à un entretien qui s’est mal passé, altercation avec un collègue), la lésion peut également être une douleur,
- l’accident doit survenir par le fait ou à l’occasion du travail.
Précision importante pour la fonction publique : il n’existe pas de délai réglementaire pour formuler une demande de reconnaissance de l’imputabilité d’un accident ou d’une maladie (imputable au service) ce qui signifie que bien après l’accident (ou la maladie) l’agent peut demander que ceux-ci soient reconnus imputables au service.
Solidaires Finances publiques entend faire bouger les lignes sur ces questions où les directions freinent des quatre fers pour reconnaitre des pathologies psychiques liées au travail (accidents ou maladie imputable au service), dans un domaine où la fonction publique accuse par ailleurs un retard important. A la différence du secteur privé un fonctionnaire doit prouver le lien de l’accident avec le travail. A la lumière de décisions récentes du Conseil d’Etat (voir l’Unité n° 1033 du 16 septembre 2014) Solidaires Fonction publique s’est adressé à deux reprises à la Ministre de la fonction publique pour qu’elle fasse évoluer les droits des fonctionnaires et qu’elle « engage une révision de la notion d’accident de service dans la fonction publique, pour qu’elle soit formalisée juridiquement dans le sens d’un alignement sur le régime général ».
Dernière minute et faut-il y voir un lien avec notre interpellation ? La ministre de la Fonction publique vient d’annoncer une nouvelle concertation sur la santé et la sécurité au travail portant sur les quatre thèmes suivants : les acteurs et instances de prévention ; le reclassement, l’inaptitude, les instances médicales et les accidents et maladies professionnels ; les risques professionnels ; la pénibilité.