« De bon matin »

Jean-Marc MOUTOUT nous revient. Après « Violence des échanges en milieu tempéré » où il dénonçait en secteur tertiaire ce que J-P le Goff appelle « La barbarie douce », c’est à nouveau une grande claque que l’on reçoit de plein fouet ! Ce film, tiré d’une histoire vraie, raconte la dégradation progressive, professionnelle puis personnelle, d’un cadre de banque qui va finir par se suicider après avoir exécuté ses 2 supérieurs hiérarchiques. Tout est dit et montré avec une précision qui dénote d’un travail de recherche et d’introspection minutieux : la crise, la déshumanisation, la rentabilité immédiate, le management par les objectifs, le délitement du collectif de travail, la solitude et le désespoir de celui que l’on met sur la touche. C’est un film dur, violent même. Il vient nous percuter, y compris dans notre engagement militant. Il nous fait comprendre que le mal est profond et qu’il touche toutes les couches professionnelles et hiérarchiques. Le personnage magistralement interprété par J-P DARROUSSIN, ni sympathique, ni antipathique, ni jeune ni vieux, c’est en fait chacun de nous face à la précarité des situations de travail et des emplois occupés. Il ne comprend pas ce qui lui arrive. Où il parle de travail et de clients, on lui répond chiffres et statistiques. Il parle de fidélité et de confiance à des interlocuteurs qui ne l’entendent pas. Alors bien sûr, dans cette banque pas de présence syndicale visible. Mais il ne s’agit pas pour autant de se soulager de ce constat. Quand on sort de la salle, KO debout, on se demande comment, intervenant auprès de ce personnage, on aurait pu empêcher ça. Toutes les pistes que l’on donne à nos collègues pour ne pas se laisser emporter par cette souffrance (réagir, interpeller les collègues, se battre, se faire accompagner, se préparer à changer de travail) sont tentées ici. Quelques heures après, quand on a digéré toutes ces émotions brutes, l’évidence apparaît enfin. Ce qu’il fallait ici, c’était une réaction collective. Pas d’autre solution !!! Une façon brutale de revenir à cette réalité que nous ne cessons de marteler dans les syndicats de Solidaires : on peut et on doit aider individuellement toutes celles et ceux qui souffrent au travail. Mais la transformation véritable des pratiques de gestion des entreprises ne pourra pas se passer du combat collectif.

« Les cadres se laissent déborder parce qu’on leur a mis un costume et une cravate, alors qu’ils ne sont que de la main d’œuvre. Si tous les gens qui travaillent à La Défense y venaient en bleu de travail, comme à l’usine, ils comprendraient mieux ce qui se passe pour eux! Le fait de porter les attributs du pouvoir les empêche de prendre conscience à quel point ce sont des OS. »
Jean-Pierre Darroussin